Je m'apprêtais à appeler Élodie. Je venais seulement de me rendre compte que je ne l'avais pas fait la veille. Elle avait pourtant été claire. Elle voulait entendre la voix de son futur mari tous les jours et je ne doutais pas qu'elle me réserverait un accueil assez frais pour avoir ainsi manqué à mon engagement.
Je composai son numéro et portai mon téléphone à mon oreille. Quelques secondes s'écoulèrent avant qu'elle ne décroche :
_ Allô ? dit-elle d'abord d'un ton effectivement glacial.
_ Coucou ma chérie, c'est moi, lui lançai-je avec un emballement qui trahissait ma volonté de me faire pardonner.
_ Ce n'est pas trop tôt, se fendit-elle en retour, bien décidée à ne pas me rendre la tâche trop facile.
_ Je sais que j'avais promis de te téléphoner quotidiennement... reconnus-je avec un air de mea-culpa comme pour devancer ses réprimandes.
_ Une promesse est une promesse, renchérit-elle.
_ Je sais... Mais je croule sous le boulot en ce moment, m'efforçai-je tant bien que mal de me justifier.
_ Dois-je comprendre que ton travail passe avant ta fiancée ?
Réponse cinglante mais prévisible que j'avais bien cherchée. Je venais bêtement de lui donner le bâton et elle allait se faire un plaisir de me battre avec si je ne trouvais pas rapidement de quoi me rattraper. Élodie avait un sens aiguisé de la répartie. Elle en était parfaitement consciente et n'hésitait pas à s'en servir. C'était sûrement ce qui m'avait le plus séduit chez elle.
Pour me sortir de ce mauvais pas, j'optai tout simplement pour un compliment. C'était une stratégie d'une grande banalité mais à l'efficacité déjà maintes fois éprouvée avec Élodie qui avait aussi un goût prononcé pour le romantisme. A ce titre, elle était particulièrement friande des grandes déclarations d'amour et des mots doux. Il m'arrivait donc souvent d'en user pour désamorcer des conflits et, d'ordinaire, ça fonctionnait toujours. Cette-fois-ci n'échappa pas à la régle.
_ Rien ne saurait être plus important à mes yeux que toi ma chérie, lui lançai-je.
Elle se radoucit presque aussitôt :
_ Tu as de la chance d'être si mignon tu sais ?
_ Ça veut dire que tu me pardonnes ?
Elle marqua un bref instant d'hésitation, comme pour instaurer une sorte de suspense qui n'en était pas vraiment un car je savais déjà que c'était gagné. Puis elle dit d'un air amusé, confirmant cette certitude :
_ En effet Alex Mavri. Je te pardonne officiellement cette bévue mais que ça ne se reproduise pas, d'accord ?
_ Évidemment, répondis-je, soulagé de m'en tirer à si bon compte.
J'avais corrigé mon impair avec Élodie sans grande difficulté. J'aurais donc dû m'en sentir pleinement satisfait. Et, pourtant, je me trouvais habité d'un étrange sentiment de culpabilité. Pourquoi donc ? Peut-être parce que je venais de mentir à ma future femme en lui assurant que rien dans ma vie n'avait plus d'importance qu'elle. Il y avait encore quelques semaines c'aurait été vrai. Mais, désormais, je n'avais de cesse de penser à une autre : Maelie. D'ailleurs, ce n'était pas un mal de le reconnaître. Après tout, je n'avais pas fauté et je n'avais donc pas à m'en vouloir de quoi que ce soit.
Je repris ensuite comme si de rien n'était le fil de ma conversation téléphonique avec ma compagne :
_ Et toi alors ? Comment vas-tu ? lui demandai-je.
_ Crevée, comme d'habitude. Mais c'est malheureusement le lot de tous les personnels soignants dans l'hôpital public aujourd'hui, déplora-t-elle.
_ Je sais bien... Pense à prendre du temps pour toi quand même.
_ Tu es gentil mais ne t'en fais pas pour moi.
_ Il est normal que je m'en fasse pour ma future femme, la corrigeai-je.
_ J'adore quand tu dis « future femme ». Je suis tellement heureuse qu'on se marie !
Puis, sans perdre une seconde, elle ajouta d'une voix teintée d'excitation :
_ Au fait, il faut que je te dise un truc.
_ Quoi donc ?
_ Je te prépare une petite surprise ! dit-elle avec un enthousiasme débordant.
_ Une surprise ? demandai-je, curieux.
_ Je te vois venir mais tu ne sauras rien de plus.
_ Pourquoi tu m'en parles si tu ne veux rien m'en dire ? Je reste sur ma faim du coup.
_ Ça doit être à cause de mon petit côté sadique, me taquina-t-elle. Il va falloir t'y faire si tu veux m'épouser.
Mon attention fut soudain détournée de mon téléphone par le grabuge qui régnait dans le couloir de mon étage. Deux personnes semblaient être en train de s'affronter verbalement. L'une était un homme reconnaissable à sa voix si grave qu'elle en était presque caverneuse. C'était lui le plus menaçant. L'autre était une femme qui essuyait comme elle le pouvait les assauts répétés de son coriace interlocuteur. La concernant, je connaissais sa voix. Elle tournait en boucle dans mon esprit depuis le moment où je l'avais entendue pour la première fois. C'était celle de Maelie.
Ce type était en train de s'en prendre à elle. Je ne pouvais pas rester là à ne rien faire. Je me devais d'intervenir. J'en ressentais l'envie irrépressible. Plus qu'une envie, c'était même un besoin viscéral. Je décidai donc d'écourter mon appel avec Élodie, prétextant un accident culinaire :
_ Il faut que je te laisse ma chérie. J'ai mis un poulet au four et je crois bien qu'il brûle.
_ Décidément, toi et la cuisine ça fait deux. Bon courage alors et essaye de ne pas mettre le feu à ton appartement.
_ Ne t'en fais pas. Je maîtrise la situation. Je te rappelle bientôt. Bisous, je t'aime.
_ Je t'aime aussi.
Aussitôt après avoir raccroché, je m'approchai de ma porte d'entrée pour ainsi pouvoir capter quelques bribes de la lutte qui se jouait dans la montée.
Pour le peu que j'en comprenais, la dispute portait sur une histoire de loyer. L'odieux personnage qui osait causer du tort à ma voisine préférée devait être son bailleur. Son comportement agressif et sa mauvaise foi ne me plaisaient guère. Je poussai la porte de chez moi afin de pouvoir guetter la scène depuis mon palier.
Maelie avait de quoi être sur la défensive. Son assaillant n'avait rien d'un enfant de chœur. Bien au contraire, il ressemblait davantage à un mafieux venu lui soutirer de l'argent. Son discours était fondé sur l'intimidation. Se croyant sans doute intouchable, il faisait pression sur elle au mépris de toutes les règles élémentaires de respect et de politesse. En voilà un qui méritait une bonne leçon de civisme et je n'allais pas me priver de la lui donner.
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Love and Justice
RomantiekQue seriez-vous prêt à sacrifier par amour ? Votre travail ? Votre ambition ? Votre honneur ? Vos fiançailles ? Votre famille ? Et a-t-on le droit d'aimer n'importe qui ? Jusqu'où Alex Mavri, jeune professeur en droit privé et spécialiste du droit...