Chapitre 6 (Maelie)

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Les bancs de cet amphithéâtre ne m'avaient pas manquée. Ils étaient si inconfortables qu'après deux heures de cours vous sortiez avec la désagréable impression de vous être fait botter le cul par un kangourou. C'était à tel point que certains étudiants n'hésitaient pas à venir avec un coussin pour s'assoir dessus. Ridicule peut-être mais très efficace. Et je ne disais pas ça parce-qu'il m'était arrivée de le faire.

Il était déjà neuf heures passées de dix minutes et toujours pas de trace du professeur. Il fallait avoir un certain culot pour se pointer en retard dès le premier cours. J'avais bien peur que l'on ne soit encore tombé sur un de ces enseignants-chercheurs qui attachaient autant d'importance à leurs recherches qu'ils délaissaient leur travail d'enseignement. Il ne vaudrait mieux pas car la matière était très coefficientée et serait, à ce titre, déterminante pour la validation de l'année et la sélection en master 2.

En attendant, nous passions le temps en discutant de choses et d'autres avec les filles. Julie commença par nous raconter comment sa vieille Peugeot 106 avait rendu l'âme cet été et manqué de prendre feu sur un parking. Puis Sofia nous apprit presque la larme à l'oeil qu'elle venait tout juste de se séparer de son copain. La pauvre. J'en étais bouleversée pour elle. Ils étaient si mignons tous les deux et le type avec qui elle sortait m'avait semblée être quelqu'un de bien. De toute évidence, c'était une fausse impression puisque leur séparation tenait au fait qu'il l'avait trompée avec sa sœur. Il ne valait mieux pas que je le croise un jour sinon je croyais bien que je lui arrangerais le portrait comme il se devait pour avoir causé tant de chagrin à mon amie.

Nous fûmes arrachés à nos conversations quand une voix teintée d'autorité s'éleva dans l'amphithéâtre. C'était celle du professeur qui semblait être apparu d'un coup d'un seul sans que personne ne s'en aperçoive. Quand je posai les yeux sur lui, je fus prise de sidération.

Et pour cause. Notre enseignant de droit pénal pour le semestre n'était autre que le type que j'avais croisé dans l'ascenseur ce matin-même. Alors ça pour une coïncidence. Moi qui avait fait le voeu de le revoir, j'allais être plusieurs fois exaucée. Je ne savais pas trop quoi en penser. En revanche, ce dont j'étais certaine c'était qu'il était fidèle à l'impression magnifique qu'il m'avait laissée tout à l'heure.

Plus je le regardais et plus il me plaisait. Il était spectaculairement beau dans son costume cintré et pour ne rien gâcher il était aussi éloquent ce qui le rendait plus attirant encore. Je n'étais d'ailleurs pas la seule à être sous son charme. C'était peu ou prou le cas de toutes les filles dans l'amphithéâtre qui le fixaient déjà d'un regard amoureux et buvaient chacune de ses paroles.

Ce qu'il était en train de dire n'avait pourtant pas de quoi nous réjouir mais devait plutôt nous effrayer. Après s'être présenté comme étant Alex Mavri et avoir étalé son CV qui avait de quoi complexer le plus diplômé des bureaucrates, il détailla les modalités d'évaluation de la matière et elles s'annoncaient corsées. Il venait d'annoncer qu'à l'examen nous aurions le choix entre un commentaire d'arrêt et un cas pratique. Et comme personne ou presque ne savait faire de commentaire d'arrêt digne de ce nom, nous en serions tous réduits à nous rabattre sur le cas pratique. Or un cas pratique en procédure pénale c'était à peu près aussi complexe que de faire décoller une fusée. En bref, la tâche serait presque impossible.

Il en vint ensuite à donner quelques consignes à respecter pendant ses cours. Il fut à cet effet d'une clarté implacable et je pus ainsi lui découvrir ses premiers traits de caractère : autoritaire et très direct apparement.

_ Quelques mots sur le déroulé des cours magistraux que je suis tenu de vous dispenser. Il y a trois règles essentielles à respecter. La première tombe sous le sens : quand je parle vous la fermez et vous écoutez. Ensuite : vous relisez vos cours avant chaque séance sinon vous n'allez rien comprendre, vous allez poser des questions débiles et ça va m'énerver. Or je ne suis pas le genre de type qu'il est bon d'énerver. Enfin, si mon cours ne vous intéresse pas ou si vous n'avez pas envie de venir pour une raison ou une autre qui vous appartient, surtout ne venez pas. Je préfère avoir dix personnes motivées et investies face à moi plutôt qu'un amphi rempli d'étudiants qui viennent en cours pour regarder des séries Netflix ou pour s'acheter des chaussures sur internet. Je vous le rappelle mais vous le savez. Les cours magistraux ne sont pas obligatoires alors profitez-en. Bien, après cette brève mise au point qui me semblait nécessaire, nous allons pouvoir entrer dans le vif du sujet et commencer le cours qui, vous allez vous en rendre compte, est très dense.

Sans transition aucune, Alex Mavri s'exécuta et se lança dans une introduction dont la complexité ne pouvait que faire craindre la suite du programme. Nous passâmes ainsi les deux heures qui suivirent à taper frénétiquement sur nos claviers des phrases dont la signification nous semblait le plus souvent obscure.

Quand le cours fut terminé, je me dépêchai de rassembler mes affaires et, avec les filles, nous filions d'un pas pressé vers la sortie de l'amphithéâtre car le timing était particulièrement serré avant le prochain cours.

Au moment de quitter la salle, nous tombâmes nez à nez avec notre tout nouveau professeur qui était lui aussi sur le départ. Pour la seconde fois de la journée, il posa ses yeux sur moi et je me sentis totalement déstabilisée par l'intensité qu'ils dégageaient. Il me soutint ainsi du regard pendant plusieurs secondes devant mes amies qui assistaient avec curiosité à la scène.

Comme nous étions incapable de trouver quoi lui dire, ce fut finalement lui qui se décida à parler, se détournant soudain de moi pour s'adresser plus particulièrement à mes camarades :

_ Est-ce que l'une d'entre vous pourrait avoir l'amabilité de me dire où se trouve l'amphi 19000 ? J'y suis attendu d'ici...

Il consulta sa montre un instant avant de poursuivre :

_ D'ici deux minutes à peine. Et je n'ai aucune idée d'où il se trouve.

_ C'est tout en bas du campus, précisa aussitôt Julie.

_ A côté du bâtiment d'accueil, ajouta Sofia.

_ Très bien, je vous remercie, répondit-il sobrement tout en nous laissant pour s'empresser de s'y rendre.

Dès lors qu'il fut parti, la tension qui avait saisi chacune d'entre nous retomba et Julie confia :

_ Et bien ! Ce prof c'est quelque chose. De loin il a déjà de l'allure mais de près il tient du chef d'oeuvre.

_ C'est vrai qu'il est très agréable à regarder, compléta Sofia visiblement conquise elle-aussi.

Je restai de mon côté silencieuse, sans doute un peu vexée et aussi un peu jalouse qu'il ait préféré questionner mes amies plutôt que moi. C'était oublier que celle sur qui il avait posé son regard en premier et celle sur qui il avait surtout maintenu ce regard, c'était moi et personne d'autre. Et ça, ça voulait dire beaucoup.

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