Chapitre 59 (Maelie)

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Si mes études en droit venaient à échouer, je pourrai toujours me reconvertir dans le cinéma. Pour être honnête, j'étais assez fière de ma prestation. J'avais incarné à merveille la jeune femme terrifiée qu'un bandit patenté se soit introduit dans son domicile. Et Alex Mavri, bon prince, s'était empressé de montrer les muscles et de m'accompagner chez moi dans l'intention d'écarter la menace. Non, franchement, ce petit numéro mériterait presque un Oscar et Marion Cotillard n'avait qu'à bien se tenir.

Restait à savoir comment mon charmant professeur allait réagir en découvrant que je lui avais menti. J'avais conscience qu'une telle mise en scène risquait de ne pas lui plaire mais il s'était obstiné à repousser toutes mes tentatives de rapprochement jusque-là, m'obligeant donc à être plus entreprenante. Trop entreprenante ? Peut-être mais je n'avais aucun regret car j'étais prête à tout pour qu'il se décide enfin à baisser la garde et à me faire une place dans son coeur.

Alex Mavri avait d'abord assez mal pris la situation. Se fendant d'un ton colérique beaucoup trop marqué pour paraître sincère, il se disait déçu par mon attitude. J'aurais bien sûr pu m'en inquiéter si toutefois je l'avais cru. En réalité, je n'étais pas convaincue par sa prétendue déception. Je pensais qu'il était plutôt vexé que je l'ai mené par le bout du nez. D'autant que ce n'était pas la première fois. En outre, je croyais aussi déceler dans son regard un zeste d'admiration. Je n'hésitai d'ailleurs pas à lui faire part de cette dernière impression. En retour, il nia. Évidemment car Monsieur devait soigner son ego blessé.

Mauvais joueur, il voulut même quitter mon appartement. Avec tous les efforts que je venais de déployer pour l'y amener, je ne pouvais pas le regarder faire en restant les bras croisés. Alors, je m'étais lancée à sa poursuite pour finalement le retenir par la main, mettant ainsi en échec sa petite tentative d'évasion. Après quoi, il comprit enfin que, ce soir, c'était moi qui était à la baguette et il accepta de dîner avec moi sans trop rechigner. Je l'accueillis donc à ma table, ravie que mon plan se déroule pour l'instant sans accrocs.

_ Je m'excuse par avance pour la simplicité du menu. Ce sera des restes de pâtes. Je n'ai pas eu le temps de préparer autre chose puisque vous m'avez contrainte à faire des pieds et des mains pour vous convaincre d'honorer mon invitation, me justifai-je tandis qu'il prenait place à table.

_ Ce n'est rien. Les choses les plus simples sont souvent les meilleures. Et puis, je ne vais pas faire le difficile alors que moi-même je ne sais pas cuisiner.

_ C'est vrai ? Bizarre, je ne m'en serais pas doutée, le taquinai-je.

_ Que me vaut ce charmant préjugé ?

_ Je ne sais pas. C'est juste que vous n'avez pas l'air d'un cordon bleu. Cela dit, vous êtes un maître en droit pénal. C'est déjà pas mal.

_ Il faut bien que je sois bon quelque part, dit-il d'un air amusé.

Nous échangeames un sourire complice. Il y eut ensuite un bref instant de silence gêné. J'espérais qu'il se décide à y mettre fin mais il n'en fut rien. Il ne daigna pas prononcer un mot. Le fait qu'il reste ainsi sur la réserve m'était un peu étrange. Ça ne collait pas au Mavri que je connaissais. Fort heureusement, j'avais une sorte de don pour faire parler les gens.

Je lui lançai d'abord avec la volonté de le piquer au vif :

_ Vous n'êtes pas très bavard... Ne me dites pas que je vous intimide ?

Comme je l'imaginais, il s'empressa de me corriger :

_ Moi, intimidé ? Certainement pas.

Avant d'ajouter :

_ En revanche, je ne suis pas très à l'aise.

_ C'est ce que je dis. Je vous intimide, renchéris-je.

_ En effet, peut-être un peu, reconnut-il finalement, bien malgré lui.

_ Et pourquoi je vous intimide ? demandai-je encore, trop curieuse de connaître sa réponse.

_ Vous ne lâchez jamais ?

_ Jamais. Je suis une vraie tête de mule vous savez.

_ Je sais. J'ai déjà pu m'en apercevoir à plusieurs reprises.

_ Ah oui, c'est vrai. Le mémoire, me souvins-je.

_ En effet, le mémoire.

_ D'ailleurs, je ne sais toujours pas pourquoi vous vous en étiez pris à moi au beau milieu de votre cours ce jour-là ?

_ La vérité ?

_ Je préfère.

_ Je ne supportais pas que vous vous teniez à l'écart de moi.

_ C'est pourtant ce que vous me demandez de faire à nouveau, répliquai-je en relevant sa contradiction.

_ Je reconnais que c'est un peu paradoxal.

_ Un peu oui, ajoutai-je, pantoise. Et donc vous comptez faire comment cette fois-ci pour vous passer de moi si, à tout hasard, je décidais de vous exaucer en acceptant de mettre de la distance entre nous ?

Il marqua un instant d'hésitation avant de me dire, usant de franchise :

_ En fait, je n'en ai pas la moindre idée. Mais quelle importance au fond puisque ce n'est clairement pas votre intention. Je me trompe ?

_ Bien vu Monsieur Mavri. Pour tout vous dire, je tends plutôt à ce que nous nous rapprochions.

Ma réflexion ajouta encore à la tension qui ne le quittait plus depuis qu'il avait mis les pieds chez moi. Je devais bien avouer que je prenais un certain plaisir à le déstabiliser de la sorte. Il était sur la corde raide. Je le sentais et j'entendais bien en profiter. J'insistai :

_ Alors ?

_ Alors quoi ?

_ J'attends toujours votre réponse. Pourquoi est-ce que je vous intimide ?

_ Vous êtes impossible, dis-il en laissant échapper un soupir.

_ Sûrement. Et donc ? dis-je encore, toujours aussi déterminée.

Il me fixa d'un regard suppliant durant quelques secondes, comme pour me prier de renoncer à attendre sa réponse. Il pouvait toujours rêver car je voulais savoir. Finalement, voyant que je n'avais aucune intention de lui faire une faveur, il me confia dans un élan de sincérité qui, une nouvelle fois, me prit de court :

_ Je désire votre beauté. Je suis impressionné par votre esprit. J'admire votre force de caractère. J'envie cette volonté inébranlable qui vous habite. Je m'inspire de votre audace. Et, pour tout vous dire, je m'étonne qu'une seule et même personne, si jeune au demeurant, puisse être douée de toutes ces qualités à la fois. Des qualités qui, je crois, font de vous une femme d'exception. Partant de ce constat, il est évident que vous m'intimidez et il me semble que tout homme sensé qui aurait la chance de se trouver à ma place serait tout autant intimidé que je le suis en ce moment même.

Alex Mavri avait décidément le don de faire surgir les compliments là où je ne les attendais pas. Et quels compliments. Je pouvais dire avec certitude que jamais quelqu'un n'avait dressé un portrait si élogieux de moi. Je m'en trouvais émue à tel point que je sentais les larmes me monter aux yeux. Comme quoi, s'il lui arrivait parfois d'être terriblement énervant, il savait aussi être d'une grande tendresse et, à cet instant plus qu'à aucun autre avant lui, je lui vouais un amour infini.

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