Nous avions peut-être poussé le bouchon du couple amoureux un peu loin et, passée l'euphorie, le retour sur terre avait été relativement rude.
Après avoir défilé dans les couloirs de l'université, nous étions entrés dans l'amphithéâtre où je devais faire cours. J'avais pris place sur l'estrade tandis que Maelie était allée s'asseoir au milieu de ses camarades, comme si de rien n'était et sans se soucier guère du fait que tous les regards étaient rivés sur elle. La voir ainsi s'assumer quand je savais combien elle était peinée hier soir était tout bonnement incroyable. Cette fille avait décidément des nerfs d'acier et une force de caractère absolument hors normes. Elle ferait sans doute une procureure redoutable. Elle avait toutes les qualités pour ça.
Je m'apprêtais à débuter mon cours quand j'en fus empêché par une visite pour le moins impromptue. Le doyen de l'université, en personne, venait de faire irruption dans la salle. Il disait avoir à me parler. Je lui répliquai que je m'entretiendrai avec lui avec grand plaisir dès la fin de mon cours. Alors, il me fixa d'un air furax et décréta que mon cours était annulé. Son annonce suscita de vives réactions des étudiants et un brouhaha intense s'éleva soudain des travées.
Je doutais que ce type, tout doyen qu'il soit, puisse ainsi disposer de mon cours comme bon lui semblait mais j'étais aussi conscient qu'il était préférable de veiller à ne pas envenimer les choses. Dans ce souci, je n'opposai aucune résistance particulière et j'acceptai de le suivre jusque dans son bureau. Juste avant de quitter l'amphithéâtre, j'échangeai un bref regard avec Maelie pour constater que son assurance s'était envolée au profit d'une grande inquiétude. Je tentai de la rassurer en lui lançant un sourire juste avant que la porte de la salle ne se referme derrière moi.
Le bureau dans lequel je fus conduit était à l'image de son occupant, vieux et austère. En fait, il ressemblait à s'y méprendre à un musée. Il était occupé dans ses quatre coins par de hautes étagères encombrées de tout un tas de reliques et de parchemins qui devaient bien se trouver là depuis la construction de l'université, et dieu savait qu'elle ne datait pas d'hier. Qu'est-ce que tout cela m'inspirait ? Pas grand chose si ce n'était qu'il était grand temps de renouveler le directoire de l'université et ainsi de redonner un peu de force vive à une politique éducative qui en manquait cruellement.
Il me somma de m'asseoir, ce que je fis, et alla à son tour prendre place dans son fauteuil en face de moi. Il laissa s'imposer un bref instant de silence. Après quoi, il me dit d'une voix rauque :
_ Je pense que vous savez comme moi pourquoi vous êtes là.
Évidemment que je le savais. Mais je fis comme si ce n'était pas le cas car je ne voulais sûrement pas donner l'impression de cautionner cette convocation dont le motif n'avait de toute évidence rien à voir avec mon travail. Il s'agissait là d'une nouvelle ingérence dans ma vie privée que je considérais comme étant totalement inadmissible. Aussi, j'étais déterminé à ne pas me laisser faire.
_ Pour être honnête, je ne vois vraiment pas ce que je fais là alors même que je devrais être en train d'enseigner à mes élèves.
_ Bien. Dans ce cas, laissez-moi éclairer un peu votre lanterne.
Voilà qu'il employait un vocabulaire du Moyen Âge. Il semblait décidément avoir vécu à une autre époque que la nôtre.
_ Je vous en prie, dis-je, d'un air sarcastique.
_ Vous n'êtes pas sans savoir que certaines photos circulent sur internet.
_ Je le sais, en effet. Et, d'ailleurs, j'ai bien l'intention de prendre toutes les dispositions qui s'imposent pour faire cesser au plus vite cette violation de mon intimité, affirmai-je, résolu.
Le doyen se redressa dans un grincement strident dont j'étais incapable de dire s'il venait de son fauteuil ou de ses articulations. Ensuite, il me répondit :
_ Vous faites bien ce que vous voulez mon cher.
Avant d'ajouter :
_ Du moment que ça ne nuit pas à la réputation de ma faculté.
_ Je peux savoir ce que vous insinuez ? dis-je, piqué au vif.
_ Je vais vous parler franchement. Votre amourette avec Mademoiselle Aurano, vous allez me faire le plaisir d'y mettre fin sur-le-champ.
Ce vieillard commençait dangereusement à me taper sur le système. S'il croyait pouvoir m'impressionner, il se fichait le doigt dans l'œil. Je n'avais rien à me reprocher et je n'allais pas me laisser malmener sans rien faire.
_ Sinon quoi ? le défiai-je aussitôt avant de poursuivre, comme un recadrage. Vous ne pouvez pas me sanctionner pour des faits qui ne relèvent pas de mon travail de professeur. Ma vie privée ne regarde que moi. Aussi, je vous prierais de ne pas vous en mêler.
Il poussa un soupir tout en me fixant d'un oeil empreint de condescendance avant de dire :
_ Vous savez, je suis dans le milieu depuis très longtemps maintenant. J'ai enseigné dans les plus grandes universités du pays et je connais pas mal de monde. Des gens haut placés qui ont le pouvoir de faire et de défaire des carrières en claquant des doigts. Par conséquent, si vous tenez à la vôtre, je ne saurais que trop vous conseiller de faire ce que je vous ordonne et de cesser de fréquenter cette étudiante.
_ Vous n'avez donc rien compris ? J'aime Maelie Aurano et à choisir entre elle et ma carrière, je n'hésiterai pas une seconde. Je la choisirai elle. A présent si vous voulez bien, je vais y aller. Je crois que nous nous sommes tout dit, répliquai-je, scandalisé avant de me lever pour aussitôt me diriger vers la porte du bureau.
Il me retint :
_ Je vous donne jusqu'à la fin de la semaine pour faire ce que je vous demande. Après quoi, je m'emploierai à vous faire payer cher le prix de votre insolence.
_ Faites ce que bon vous semble. Je n'en ai que faire. Je ne changerai pas de position, ajoutai-je encore, sûr de mon fait, avant de partir.
Il y avait encore de cela quelques semaines, ce petit coup de pression aurait sans doute eu des effets sur moi. Alors, je n'aspirais qu'à une chose, m'ouvrir les portes des facultés les plus prestigieuses pour y devenir le plus grand spécialiste du pénal en France. Ainsi, j'aurais prouvé à tous ceux qui avaient un jour douté de moi ce dont j'étais capable. Mais, à présent, je me rendais compte que tout cela n'avait plus aucune importance à mes yeux. Pour l'amour de Maelie, j'étais prêt à renoncer à cette soif de reconnaissance par mes pairs qui avait pourtant en grande partie guidé mon choix de travailler dans la recherche et l'enseignement. Et s'il me fallait sacrifier ma carrière d'universitaire au nom de cet amour, j'y étais disposé. De toute façon, le monde juridique étant vaste, je pourrai tout à fait exercer le droit ailleurs qu'à l'université.
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Love and Justice
RomanceQue seriez-vous prêt à sacrifier par amour ? Votre travail ? Votre ambition ? Votre honneur ? Vos fiançailles ? Votre famille ? Et a-t-on le droit d'aimer n'importe qui ? Jusqu'où Alex Mavri, jeune professeur en droit privé et spécialiste du droit...