Deux heures passèrent. Barthélemy Knut restait assis à cheval sur la chaise en bois, observant les paupières, limites attrayantes de la fille. Dehors, il pleuvait déjà. Raison pour laquelle il avait dû utiliser des seaux sales pour encaisser les gouttes d'eau qui fuitaient depuis le toit un peu partout.
Barthélemy n'avait jamais vraiment apprécié la pluie. Encore moins dans une cabane qui ressemblait plus à un dépotoir qu'à autre chose. Mais où pouvait-il aller ? Pas de famille, pas de véritables amis. Seul, dans une ville qui ne voulait pas de lui. Il savait très bien que cela n'était pas dû à sa curiosité insatiable. Non. Ce sentiment de culpabilité, ces remords et ces regrets venaient de quelque part. Et il avait beau essayer de chercher la paix, son passé le rattrapait. Peut-être était-ce pour ça que depuis, il s'était juré de venir en aide à toute personne qui était dans le besoin, peu importait qui ils étaient. Il pensait qu'il y trouverait une rédemption. Toutefois, ce n'était pas le cas. Chaque fois qu'on lui rappelait ce qu'il avait fait, une envie suicidaire s'en prenait à lui et ça, il avait du mal à s'en défaire.
Pendant qu'il était occupé à réfléchir aux causes de son sentiment de culpabilité, l'étrange fille commençait à remuer sous son survêt tout en grognant de fatigue. Le temps qu'il s'en rende compte, ses paupières étaient déjà ouvertes. Le plus surprenant dans ce réveil brusque était dû au fait qu'elle demeurait dans cette même position fœtale sous le survêt de Barthélemy. Seuls ses yeux étaient grands ouverts et ses sourcils, froncés de... de colère. Oui. Elle était en colère.
Tout à coup, ses yeux se levèrent vers Barth. La colère qui émanait d'elle fit frémir le vieil homme qui perdit l'équilibre et tomba de sa chaise. Le tonnerre gronda et un cri déchirant s'en suivit.
— Drôle de façon de se réveiller, commenta-t-il en se massant la nuque.
Il s'efforça de sourire pour paraître rassurant, mais sa colère ne s'atténua pas pour autant. Elle posa ses pieds sur le plancher et constata qu'elle était nue. Elle se toucha ensuite sur les épaules tout en grimaçant, balayant la pièce d'où une lampe à pétrole était posée sur la table à côté, du regard.
— J'imagine que tu dois te sentir perdue, continua Barth. Je ne t'en blâme pas.
Elle retourna son regard vers lui et se contenta de le fixer. Barth en ressentit une petite gêne, mais il se pencha vers les habits qu'il avait sortis de la grange.
— Je t'ai trouvée, perdue dans la forêt. Alors, je me suis dit que tu avais peut-être besoin d'aide. Mais j'imagine que t'es un de ces êtres au don spécial qui n'a pas besoin de beaucoup d'effort pour mettre K.O. un vieil homme comme moi. Tu vois ? (Il leva ses mains vers elle en signe de soumission.) Alors, ce serait généreux de ta part de ne pas me prendre comme bouc émissaire, tu veux bien ?
Elle sembla se calmer un moment et prit les vêtements.
Elle parvint après un peu de mal à se les enfiler proprement.
— Alors... Tu sais... ? Tu me rappelles vaguement un personnage imaginé par Ethan. Tu brilles dans le noir, tu as des magnifiques et longs cheveux blonds, des yeux scintillants. Une histoire qu'il m'a promis d'ailleurs de commencer. Déjà que j'ai été agréablement surpris par son introduction. Comment il a nommé la protagoniste en fait ? Ah... oui ? Écarlate.
Il redressa la chaise et s'assit dessus pendant qu'elle enfilait maintenant un bonnet sur la tête.
— Tu sais... ? Il se fait tard. Je ne pense pas que le bonnet te soit utile désormais. À moins que tu ne dormes pas... À moins que... (il s'avança vers elle.) Écarlate... Tu as un chez-toi ?
Elle finit de se vêtir et se remit à fixer intensément Barth. Le tonnerre gronda dehors, suivi de son habituel bruit déchirant le ciel.
— On dirait que le ciel est contre nous aujourd'hui. Après la terrible tempête, nous voilà sous une averse. Tu veux te couvrir ?
Sa bouche se tordait. Comme si elle essayait de parler sans trouver les mots. Barth dut penser qu'elle ne comprenait pas sa langue, alors il se mit à parler en gesticulant.
— Peut-être que tu es une étrangère... Que tu ne sais pas parler français ! Tu comprends au moins ce que je dis ?
Elle hocha la tête pour répondre « oui. » Après avoir avalé une petite gorgée de salive. Barth en sourit et se détendit.
— Au moins, tu comprends, continua-t-il de parler avec des gestes. Tu viens de quelque part ?Elle répondit lentement « non » de la tête avant de détourner son attention en direction de la fenêtre qui faisait luire la pluie dehors. Puis, sans prévenir, elle articula d'une voix sifflante à peine perceptible :
— E-CA-RLA-TE...
— Je ne vais pas mentir sur le fait que ta voix fasse un peu peur, lui répondit Barth qui faillit tomber à nouveau. Tu dois avoir encore froid, j'imagine.
Il se pencha vers elle et lui tâta le front de sa main. Son étonnement s'accrut quand cette dernière se laissa faire. Sa respiration était lente, et ses pupilles suivaient de près sa paume.
— Tu aimes ça, on dirait. À part Ecarlate, quel autre mot tu sais prononcer ?
— Écarlate...
Elle se leva et se mit à marcher dans la pièce. Probablement à la recherche de quelque chose. Elle ne cessait de répéter : « Écarlate... Écarlate. »
— Comme tu le vois, il n'y a rien dans cette pièce qui puisse attirer les voleurs. À moins que tu sois fan de fusil, de tête de biche à la porte là.
— Écarlate...
Elle se tourna vers lui et dessina un éclair invisible avec son doigt. Barth dut froncer les sourcils pour essayer de deviner ce qu'elle essayait de lui illustrer.
Seule sa lampe à pétrole éclairait un tant soit peu la pièce.
— Écarlate...
— On dirait que tu cherches un... éclair ?
Son visage se froissa, comme s'il avait l'impression qu'un souvenir longtemps enfoui refaisait surface.
— Ne me dis pas que... l'éclair écarlate... ! Tu es à la recherche de l'éclair écarlate, conclut-il en gesticulant. (La fille répondit « oui » de la tête.)
Mais d'où connaissait-il cette information ? Il était vrai que durant la tempête, le ciel avait pris une teinte écarlate. Mais cela ne justifiait pas comment il venait de deviner ce qu'elle cherchait. Il devait se creuser les méninges pour le savoir. Il pensa alors à Ethan. Ce garçon saurait quoi faire. Car ce qui était sûr : il avait l'impression d'avoir déjà entendu parler de l'éclair écarlate et de sa gardienne depuis un bon moment. Mais il se ressaisit : il était trop vieux pour s'embrouiller la tête alors qu'il avait sommeil. Il y penserait, demain, à l'arrivée d'Ethan.
— Tu sais quoi ? bâilla-t-il. Je vais aller dormir. Et j'espère que tu n'en profiteras pas pour t'échapper. Vu que tu es spéciale, tu risques de ne pas passer inaperçue si tu te promènes en ville. Sans compter le fait que je n'ai plus le droit d'y mettre les pieds... En plus, il fait un peu frisquet dehors.
Il ramassa une natte et un oreiller puis le posa à côté du feu.
— C'est tout ce que j'ai... j'espère que tu pourras quand même dormir. Moi, je préfère dormir loin de toi. Je ne sais pas de quoi tu es capable, et je ne tiens pas à être à côté au cas où tu viendrais à péter un plomb. (Il soupira et s'assit à côté.) Ethan saura quoi faire. Écarlate. (Il s'allongea sur le plancher.) Écarlate... j'aime bien. Peut-être que c'est ton nom. Écarlate. Oui, je t'appellerai... (Il bâilla et le sommeil s'en prit à lui.) Écarlate.
Il s'en dormit sur la surface en bois du plancher.
Écarlate se leva du canapé et marcha à quatre pattes vers la cheminée dont le feu s'était éteint à cause de la pluie. Arrivée, elle s'assit et ne bougea plus, observant à tour de rôle le dos de Barth, et la fenêtre, pendant que la pluie continuait de gronder dehors.

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ECARLATE
ActionEthan, jeune adolescent passionné d'écriture et ayant pour projet d'enfin commencer un véritable roman, voit ses plans changés par la venue d'une créature céleste à l'apparence féminine qui le soupçonne de savoir où se dissimule son éclair. Pendant...