ECARLATE

CHAPITRE 39

Les premiers rayons du soleil filtraient à travers la forêt aux arbres recouverts de neige, en s'étendant vers la tente dans laquelle dormait Barth. Il avait entassé avec l'aide d'Ecarlate, des vêtements pour faire le lit. Et dehors, le feu de bois peinait à s'éteindre.

Ecarlate n'avait pas dormi de la nuit, ce qui lui avait permis de raviver les flammes au cas où elles étaient sur le point de s'éteindre. Au cas contraire, la tente n'aurait pas suffi à les protéger du froid du dehors.

Lorsque Barth ouvrit les yeux, il aperçut Ecarlate à travers l'ouverture de la tente. Elle était assise sur la neige et lisait un livre. Le vieil homme se redressa et relaxa ses muscles avant de marcher à quatre pattes vers elle.

— Tu as lu toute la nuit ? lui demanda-t-il.

— Oui.

— 400 pages toute la nuit ?

— J'ai lu et relu. Je trouve ça intéressant.

— Quoi ? Le livre ?

— Oui... mais aussi lire. Je trouve que lire, c'est intéressant.

Barth se pencha par-dessus son épaule et lit à travers la couverture : « Intelligence émotionnel – Daniel Goleman. »

— La conscience de soi, la confiance en soi et le self contrôle.

— Je ne pense pas qu'un tel livre t'apprenne quelque chose. Je trouve que c'est plus orienté vers : « Comment réussir sa vie professionnelle ? ». Essaie de lire un roman, une fiction plutôt.

— Une fiction ? demanda-t-elle en refermant le livre.

— Tu sais ce que c'est ? Une fiction ?

— Une histoire imaginée qu'on retranscrit sur un support, généralement en papier.

— C'est ça.

— Pourquoi lire une histoire qui met en scène des personnages imaginaires alors qu'il y a des livres qui parlent de ce que l'on peut vivre dans le monde réel ?

— Bah... (Barth se sortit de la tente et s'assit à côté d'elle.) parce que parfois, les fictions abordent des thématiques liées aux réalités qui sont plus proche de ce monde. Qu'elles soient sociales, politiques et tant d'autres. Qu'un roman soit imaginaire ou pas, on ne peut pas nier qu'il aborde avec une vision précise certaines de nos réalités.

— Vous aimez lire ?

— J'aimais. Maintenant, à part les livres écris en très grand caractère, j'ai du mal. C'est pour cela que c'est Ethan qui me lisait des histoires... La plupart des cas, c'étaient ses histoires.

— Ethan imagine des mondes ?

— Il ne fait pas qu'imaginer des mondes. Il les fait vivre à travers ce qu'il écrit.

— Il aborde aussi des thématiques ?

— La plupart de ses livres abordent des thématiques sociales. Il adore par-dessus tout travailler l'alchimie des personnages. Il est vrai qu'il y a certains livres qui sont du n'importe quoi, mais... à chacun ses gouts.

— Est-ce pour ça que vous m'aviez assuré qu'il pouvait retrouver mon éclair ?

— Je ne sais pas. Généralement, je trouve que c'est plus facile pour quelqu'un qui imagine des mondes, de comprendre ton cas. Je dirais qu'un vrai auteur est une personne qui sait se mettre à la place des autres. Car pour créer des personnages aussi variés et marquant qu'il ne le fait, il doit être eux.

— Un peu comme... des psychologues ?

— Peut-être. Oui.

— Mais Ethan ne se met à ma place. Il ne capte pas à quel point l'éclair est important pour moi.

— Ethan est un cas spécial. Un auteur comme lui a plus de chance d'être bipolaire.

— C'est-à-dire ?

— Qu'il dispose d'une personnalité différente de quand il écrit... d'une autre quand il n'écrit pas. Ça peut arriver. Comme toi par exemple : Qui es-tu sans ton éclair ? Qui es-tu avec ton éclair ?

— Je comprends.

Le feu de bois voulut s'éteindre mais Ecarlate eut le temps de le réanimer avec du charbon de bois.

Barth, se rendant compte que la température baissait, se leva, et alla chercher dans la malle, des vêtements chauds. Il n'y en avait qu'un. Il préféra les lui donner.

— Tiens... il commence à faire froid.

— Merci.

Elle prit le vêtement et le porta.

— Pourquoi écrire ? reprit-elle. Pourquoi ce n'est pas tout le monde qui écrit alors ?

— Avoir une idée est donné à tout le monde. Mais la retranscrire, c'est tout autre chose. C'est un peu comme certains professeurs. Il y en a qui connaisse leurs matières, mais ne savent pas le faire comprendre à leurs élèves. C'est pour cela que certaines écoles délivrent des grilles d'évaluations, pour savoir si c'est un bon professeur. Pas seulement pour savoir s'il dispose de connaissances suffisantes. Voilà pourquoi écrire n'est pas donné à tout le monde.

— Et pourquoi écrire ?

— J'essaierai de répondre à cette question par rapport à une histoire d'Ethan. Il me l'avait lue la première fois qu'on s'était rencontré. Si ma mémoire est bonne, il s'agit de : « Les oubliés. ». L'un des protagonistes est un enfant condamné sur une chaise roulante qui, comme lui, aspire à devenir écrivain. Ethan a essayé de s'identifier à travers lui. J'ai compris après qu'il ait fini de me la lire que certains auteurs écrivent pour évacuer leur stress. Le personnage de l'enfant handicapé écrit parce qu'il s'imagine un jour pouvoir marcher. Mais il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte.

— Raconter son histoire compte ?

— Bien sûr.

Barth sentit son ventre réclamer de la nourriture.

— Je commence à avoir faim, fit-il. Je vais voir si on a pu sauver quelque chose pour se faire à manger. Au cas contraire, je vais devoir dégainer mon fusil de chasse.

Le vieil homme se leva lourdement et relaxa encore une fois ses muscles avant de fouiller dans un sac dans la tente, s'il y avait de la nourriture. A son grand désespoir, il n'y avait que des boites de condiments. Rien qui pouvait servir de repas matinal. Pas de lait, pas de thé, pas de sucre. Rien. Il rentra alors dans la tente et en sortit avec son fusil.

— Si tu vas chasser, qui va s'occuper de la cabane ?

— Ce n'est pas bien grave... Ça peut attendre.

— Je vais le faire, lui reprit-elle.

— Quoi ?

— Tu as besoin de manger. Et si tu ne termines pas ta cabane dans le temps, tu mourras de froid. Je vais chercher à manger.

— C'est gentil de te proposer, mais tu...

— J'apprends vite. Dites-moi juste quoi faire ?

— Avec cet hiver, ce sera dur. (Il se gratta la nuque) Je ne te demande pas grand-chose. Euh... Juste un lièvre devrait faire l'affaire.

— Lapin ?

— Non... les lapins, il n'y en a pas par ici, mais les lièvres, il y en a. Juste un seul. Et fais attention si tu croises un loup. Ils ont tendance à se rapprocher des villes à la proche de l'hiver.

— D'accord.

Ecarlate se leva et partit disparaître dans la forêt, pendant que Barth essayait de revérifier ses plans de constructions.