ECARLATE

Anders craque

56

Au niveau de la côte, et tandis que certains s'occupaient à installer des billes d'amarrages, d'autres venaient d'achever un pont.

Il y avait aussi trois ligablos achevés, et chacun de ces trois maisonnettes disposaient d'une sorte de banc, permettant aux travailleurs fatigués de se reposer, en contemplant la construction du pont au loin. C'était sur l'un des ces bancs qu'Anders et Kristina s'étaient assis. Le pied de cette dernière lui faisait toujours mal, et Anders avait du mal à le soigner pour éviter que ça n'empire.

— T'aurais dû m'aider à les suivre, jura Kristina qui s'était adossée contre le banc pendant qu'Anders terminait de lui bander le pied. Et pourquoi tu ne l'as pas fait ? On l'avait enfin trouvée.

— J'ai du mal à te comprendre, Kristina. On dirait que tu ne sais pas ce que tu veux. Suis-je le seul à penser qu'elle est dangereuse ? Qu'il faut avertir ta mère ?

— Non... surtout pas...

— Mais Kristina, combien de fois je vais te le répéter ? Elle a tué un homme.

— Elle l'a elle-même dit, il avait essayé de la tuer.

— Et tu 'as cru ?

— De toute façon, Bertil était un vieil homme en phase terminale.

— Tu t'entends quand tu parles, Kristina ? lui reprit Anders en froissant son visage d'incompréhension. Comment peux-tu dire une chose pareille ?

— Excuse-moi, Anders. Mais tu ne peux pas nier que par son état de santé, il...

— Tais-toi, tu veux bien ? Une vie, aussi vieille et périmée soit-elle, ne doit pas être minimisée. Elle n'a pas le droit de décider de la vie ou de la mort d'une personne, peu importe qui elle est.

Anders avait toujours pris de tels sujets de conversations avec beaucoup plus de sérieux qu'à ses habitudes. Ils savaient ce que c'était de risquer sa vie. En tant que matelot de l'équipage du capitaine Turgis, il lui arrivait de se retrouver dans des situations extrêmes. Comme par exemple, la tempête où l'éclair écarlate avait été aperçu pour la première fois.

Anders vénérait et respectait la vie de toute personne, qu'elle soit détestable ou non. Et même si Bertil Folk n'eut pas eu une réputation prestigieuse , cela n'était pas une raison de le tuer et de l'oublier aussi rapidement.

Au début, tout le monde était alarmé par sa mort mais au bout d'une journée seulement, ce n'était devenu qu'une mauvaise anecdote. Et si cela avait été quelqu'un que tout le mondr appreciait ? Aurait-on pris au sérieux cette affaire ?

Kristina avait toujours été une bonne amie, depuis l'enfance. Mais là, il avait du mal à croire qu'elle ait une telle pensée. Il réprima une envie de la gifler pour lui remettre les idées en place.

— Moi, je laisse tomber, dit-il finalement.

— Quoi ? s'exclama-t-elle en prenant appui sur ses coudes.

— Kristina, un meurtre, c'est trop pour moi.

— Mais... tu ne peux pas me laisser tomber, Anders ! reprit-elle en haussant le ton. Anders !

— Tu veux la retrouver ? Pas de problème. Mais ne compte plus sur moi.

— Mais Anders... On l'a trouvée... on ne sait pas encore ce qu'on peut apprendre d'elle et...

— Tu vois ? l'arrêta-t-il en se levant. C'est ça le problème avec toi. Tu es aussi têtue que ta mère.

— Je n'aime pas qu'on me compare à ma mère !

— Tu n'aimes pas, mais c'est vrai, Kristina. Tu ramènes tout à toi, tu choisis arbitrairement tes options, et j'ai parfois l'impression que tu ne te rends pas compte de la situation dans laquelle tu me plonges. Je n'en veux plus, okay ?

— Alors, c'est ça...?

Les yeux de Kristina rougirent. C'était la première fois qu'Anders se montrait hostile envers elle. C'était la première fois qu'il la fusillait du regard.

— C'est ça... tu vas me laisser tomber... ?

— Je vais faire mieux que ça. Je vais tout dire à ta mère.

— Quoi ?

— Me dire quoi ? leur surprit une voix derrière.

Ils tournèrent leur regard vers l'origine du bruit et virent Astrid. Cette dernière venait d'arriver, et avait le visage presque grognon.

Kristina tira sur le manteau d'Anders pour le supplier de se taire, mais ce dernier l'ignora.

— Kristina connait la personne qui a commis le meurtre.

Les sourcils d'Astrid froncèrent.

— Quoi ?

— Mais celui qui connait mieux la personne, c'est Ethan. Je sais que vous n'allez pas me croire mais la fille qui marche souvent avec Ethan est bien plus dangereuse qu'elle ne le laisse penser.

— Anders, tais-toi.

— Pardonne-moi Kristina, mais tu me remercieras plus tard.

— Si vous voulez retrouver le meurtrier de Bertil Folk, demandez à Ethan. Et insistez bien, car votre fille et moi les avons vu un peu plus tôt dans la journée. Et je peux vous assurer qu'elle n'est pas normale.

Astrid ne put cacher qu'elle eut envie de sourire et de manifester une expression triomphale. Elle le savait. Ethan n'était pas aussi innocent que tout le monde le pensait. Mais elle dut fournir beaucoup d'effort pour cacher sa joie et son soulagement grandissant en toussotant.

— Tu sais où ils sont en ce moment ?

— Pas vraiment... mais je dirais, à la forêt. Ils avaient l'air de vouloir y aller.

— Hum...

— Tu m'assures que ce n'est pas une blague ?

— Non... shérif Sven. Votre fille vous le confirmera.

Astrid lança un regard à Kristina, mais cette dernière préféra le fuir en fixant au loin, l'océan et l'épais brume qui se rapprochait de la côte.

— On en reparlera, dit-elle à l'intention de sa fille.

Elle sortit son talkie-walkie.

— J'aurais besoin d'une équipe de recherche. Il s'agit de trouver Ethan Holger et la fille avec qui il marche. Étant donné qu'il n'y a aucune trace d'eux en ville, j'ai de fortes raisons de croire qu'ils sont en forêt. Je soupçonne d'ailleurs Barthélemy Knut d'être de la partie.

Elle lança un dernier coup d'œil à Kristina – coup d'œil qui voulait en dire beaucoup. Puis s'en alla, son cœur battant d'excitation et de soulagement.

Anders et Kristina restèrent silencieux pendant une dizaine de minutes avant que le jeune homme ne rompe ce silence.

— Il va falloir que j'aille continuer mon travail.

— C'est ça... va-t'en, lui répondit-elle de mauvaise humeur.

— J'espère que tu comprendras...

— Je comprends Anders. On n'est pas ami. Je vais continuer ma quête seule.

— Tu es têtue...

Elle se leva, le poussa violemment par l'épaule, et s'en alla à son tour en boitant. Sa colère à elle, se manifestait par un silence. Un silence dangereux, selon Anders.