Une histoire de conscience

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— Si j'ai changé, c'est parce qu'elle me l'a demandé, disait Karen en route.

— Devenir une personne détestable sous la demande d'une amie ? demanda Nils sous le ton de l'ironie. Wow ! Quelle belle amitié.

— Je sais que Mickaël ne nous a pas couvert d'éloges mais en découvrant la vérité, tu comprendras pourquoi ?

— Aucune vérité ne peut justifier la douleur semée dans le cœur d'un enfant.

— Je sais – tourne à droite à la prochaine intersection – je sais que ce qu'on a fait était ignoble. Mais on n'avait pas le choix.

— Je suis fatigué. Tu sais ça ? j'ai conduit plus de six heures durant.

— J'ai de quoi manger chez moi.

— Ça a intérêt à être bon.

— Je suis médecin. J'ai ce qu'il faut.

Nils était perdu. Mickaël avait si mal décrit Karen dans le passé qu'il en était presque septique. Elle ne donnait pas l'air de s'efforcer. Comme s'il s'agissait de son comportement naturel. Toutefois, il aurait dû s'en douter. Mickaël avait la fâcheuse manie de tout limiter à sa perception des choses. Il aurait dû le savoir.

De son côté, Astrid Sven était occupée à mettre en reliefs la situation dans laquelle elle se trouvait. Le regard d'Ethan la hantait toujours. Commençait-elle à avoir peur de lui ? Non. Alors pourquoi se sentait-elle maintenant mal en pensant à lui ? Était-ce dû sa conscience qui la blamais d'avoir tué un homme ? Elle avait beau se dire qu'il s'était tué lui-même. Elle savait qu'elle y avait contribué. Par conséquent, cela faisait d'elle une meurtrière.

Plongée dans ses pensées, elle ne prêtait pas attention à l'un de ses hommes qui ne cessait de l'appeler.

— Shérif, insista-t-il en s'obligeant à lui tapoter l'épaule, la sortant par la même occasion de sa torpeur.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Euh... shérif... C'est Liv Ivar... Elle veut voir...

— Elle ? Comment a-t-elle fait pour arriver jusqu'ici sous cette tempête ? Tu sais quoi... ? Fais-la entrer.

L'agent s'effaça pour laisser passer Liv.

— Liv Ivar... Que me vaut l'honneur de votre visite ?

— Je veux voir Ethan.

— Vous êtes devenus proche ? rétorqua-t-elle en  croisant fièrement ses bras.

— Ça ne vous regarde pas. Je veux voir Ethan.

— Un peu de respect serait le bienvenu.

— Accorder du respect à une femme qui n'en mérite pas ? Ah bon ?

Suite à l'affront, elle délia ses bras et la fusilla du regard.

— Vous allez me respecter !! s'emporta-t-elle finalement en se levant et en frappant violement sa table.

— Il est où, Ethan...?

— Vous croyez que c'est parce que vous êtes ma supérieure hiérarchique que je ne peux pas vous arrêter ?

— Faites-le... et on va voir comment réagira tout le monde quand on se rendra compte que la chute économique d'Erland est due à l'irresponsabilité d'un shérif incompétent.

— JE VOUS INTERDIS DE ME MANQUER DE RESPECT !!!

— Vous voulez que je vous respecte ?! Libérez Ethan.

— Il est complice dans une affaire de meurtre.

— Vous parlez comme si vous n'en avez pas vous-même pas commis.

A cette phrase, Astrid s'arrêta. Le visage de Liv ne montrait plus aucun sourire. L' humeur de son interlocutrice était noire et elle allait continuer à mordre.

Astrid avait déjà le poids de la mort de Barth sur la conscience, et ne voulait pas que cela la hante. Déjà qu'Ethan la maudissait en son for intérieur.

Liv vit aux yeux d'Astrid qui se battaient pour ne laisser aucune larme couler, une faille à exploiter.

— Ethan a assez souffert, okay ? Vous croyez que c'est facile d'endurer ce qu'il a enduré jusqu'à maintenant? Vous croyez vraiment que dans la liste de shérifs qui ont marqué ce monde, vous figurez même dans le top ? Je n'ai jamais autant vu un agent de la loi mélanger travail et sentiment personnel. C'est vrai que personne à Erland n'aimait ce vieillard et beaucoup s'en foutait pas mal. Mais cela ne change en rien au fait que vous ayez abusé de votre autorité sur lui. Maintenant vous allez vous rassoir, et me laisser voir Ethan. Sinon, je vous assure que je vous ferai vivre un tel enfer qu'à côté, la mort serait un cadeau.

Astrid Sven en resta bouche bée. Néanmoins, elle acquiesça et se rassit.

— Je peux vous laisser le voir, fit-elle d'un ton peu rassuré et fatigué. Mais je ne peux pas le relâcher.

Liv s'en alla par la suite et fut conduite devant la cellule d'Ethan. Sa colère et son chagrin ne fut que grande en remarquant les yeux du garçon qui avaient gonflé à cause du torrent des larmes. Il était recroquevillé sur lui-même, à se mordre les dents, jurant et maudissant à plusieurs reprise Erland.

— Ethan... dit-elle pleine de compassion.

Ce dernier leva son regard vers elle.

A sa vue, il s'approcha, visage déformée et lui tint les mains. Liv dont le cœur ne supportait pas de le voir dans cet état, lui toucha une joue. Et Ethan se laissa faire puis reposer sa tête sur la paume de la femme.

— Si je vous avais connu plutôt, sanglota-t-il.

Ces mots vinrent arracher une larme à Liv. Mais qu'est-ce que je fais là ? pensa-t-elle. Elle voulait se défaire de lui, mais elle n'arrivait pas à résister à Ethan.

Elle renifla et continua de lui caresser la joue.

— Je suis là maintenant, Ethan, finit-elle par dire.

— Merci...

Quelque part à Hanshir, Nils et Karen venaient d'arriver à l'entrée d'une maison dont d'épaisses clôtures grillagées la séparaient de la route. Karen sortit la clef de sa sacoche et ouvrit la grille.

— Si elle est mourante, demanda Nils en entrant avec elle. Pourquoi ne pas l'emmener à l'hôpital ?

— L'hôpital ne peut rien pour elle.

Ils montèrent l'escalier qui menait à la véranda puis Karen introduisit la clef dans la serrure de la porte.

L'interieur de la maison était spacieuse. Cinq canapés formaient un cercle en face d'un écran plat. A travers les fenêtres, l'on pouvoir voir la chaussée devant, les maisons voisines de part et d'autre, et l'arrière de la maison. Il y avait aussi une suite d'escalier qui montait. Surement vers les chambres et les douches.

— Où est-elle ? demanda Nils.

— On monte. Elle est dans sa chambre.

Une fois arrivés dans la chambre, les yeux de Nils s'écarquillèrent devant ce qu'il vit. Étendu sur le lit, sous un long drap, un corps dont les yeux étaient hermétiquement fermés se désagrégeaient lentement. Des morceaux de son corps flottaient comme des cendres et à en juger par la quantité sur le pavé, elle avait beaucoup perdu d'elle.

— Laisse-moi deviner, fit Nils en comprenant finalement. Elle est comme elle?

— On arrive un peu tard. Elle est entrée dans son cycle de sommeil. On va devoir patienter avant de pouvoir lui parler.

Karen tira Nils par l'angle des bras, mais ce dernier ne pouvait détacher son regard du corps de la femme qui se désagrégerait à vue d'œil et dont les morceaux flottaient lentement dans la pièce avant de se poser sur le sol. Où était passé l'éclat que Mickaël n'avait eu de cesse de vanter ? se demanda-t-il. La magnifique et belle femme dont lui parlait son ami, ne ressemblait plus qu'à quelque chose de semblable à un vase avec plusieurs fissures.

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