CHAPITRE 36

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Barth était occupé à délimiter la zone de construction. Il savait bien que s'il ne voulait pas passer la nuit à la belle étoile, il n'avait pas intérêt à voir grand. Une seule pièce suffirait. En plus, il y avait certains vêtements qui avaient survécu, y compris des meubles et un peu de nourriture.

Alors qu'il dessinait sur le sol les limites de sa cabane, un bruit de vieux moteur se fit entendre. Tournant son regard vers l'origine du bruit, il tomba sur la très vieille Citroën délavée de Bertil Folk. La voiture était si vieille qu'elle projetait de la fumée noire à travers son pot d'échappement et produisait un bruit infernal. Le vert bleuté du véhicule était salement dégradé. Barth s'était toujours demandé comment ce véhicule était encore en vie.

Bertil se gara à l'entrée du domaine, et descendit vers lui. Sa démarche s'était encore plus aggravée que jamais. Cette fois, on avait l'impression qu'il décalait vers la droite alors que son corps allait vers la gauche. Conduire dans un tel état... il faut être fou, pensa Barth.

— Qu'est-ce que tu fais là ? lui demanda-t-il d'un ton qui se voulait menaçant.

— Je suis ton compagnon, lui répondit-il en arrivant près de lui.

Son dos était cambré, faisant penser au bossu de notre dame. Mais comment diable avait-il réussi à conduire ?

— J'ai appris qu'on t'a sorti de taule. Je voulais juste te dire que si j'ai agi comme je l'ai fait, c'était pour éviter que tu aies plus de problème que...

— Tu veux bien fermer ta gueule ? lui reprit-il en laissant la colère grandir en lui.

— Ce n'est pas la peine de t'énerver.

— T'as intérêt à disparaître de ma vue, sinon... (Barth sortit du tas d'outils de construction, une hache et le massa en sa direction.) Tu te souviens de ce que tu as dit ce jour-là ? Que j'étais un assassin ? Tu t'en rappelles ?

— Mais Barth, tu ne vas quand même pas me... ? Mais Barth... Je suis ton compagnon.

— Fous le camp de chez moi. Je sais pourquoi t'es venu ? Débrouille-toi tout seul.

— Je vais dire au shérif qu'on chassait des écureuils, répondit-il hâtivement, alors que c'est interdit.

— On prendra cher tous les deux.

— Oui mais toi, tu risques d'être pendu.

— Dans ce cas... (Il s'avança vers lui et posa le bout de la hache sur l'épaule de Bertil. Ce dernier en frémit.) Alors je vais devoir te tuer, ici et maintenant.

— Mais Barth...

— Moi, je serai peut-être pendu. Mais je te jure qu'avant ça, je te découperai lentement et proprement la tête. Alors, tu as intérêt à déguerpir de chez moi.

— Mais... m-m-mais... qu'est-ce que je vais dire à nos clients si on ne leur offre plus les...

— Trouve quelqu'un d'autre, mais ne compte plus sur moi pour venir en aide à un traitre comme toi.

— Réfléchis un peu Barth, c'est de l'argent que tu jettes à la fenêtre. Tu imagines qu'après cette tempête, la fourrure et la viande d'écureuil connaitra une hausse de prix.

Barth, agacé, approcha la partie tranchante vers le coup de Bertil. Ce dernier sentit alors à quel point c'était limé et froid. Il fit un pas brusque en arrière et tomba sur la neige.

— Tu fiches le camp de chez moi.

Effrayé, Bertil battit en retraite en se relavant maladroitement et se dirigea vers sa vieille caisse. Il s'en alla, tout en suant. Facilement intimidable, Barth savait qu'après cette interaction, il n'oserait plus parler. La voiture s'en alla en laissant une trainée de fumée derrière. La minute d'après, trois silhouettes se dessinèrent à travers. Ethan et Ecarlate arrivaient.

Barth prit appuie sur le manche de la hache et sourit. Il lança un regard vers le ciel. Mais pouvait-il compter sur ce dernier pour indiquer l'heure ? Avait-il oublié qu'à Erland, l'atmosphère et le ciel déroutait facilement les adeptes de la gestion du temps ? Alors, il attendit qu'Ethan et Ecarlate le rejoignent pour leur demander :

— Vous savez quelle heure il est ?

— Je ne sais pas vraiment, répondit Ethan en déchargeant le sac. Je dirais qu'on approche de 4h.

— Je m'en doutais. C'est impossible. Je dormirai alors à la belle étoile cette nuit. Construire une cabane peut prendre trois/quatre jours en raison de 8 heures la journée. Et avec cette neige, à moins de construire une tente, je ne vois pas comment je pourrais dormir au chaud.

— Vous pourriez faire un feu, proposa Ethan.

— Tu as raison.

— Tu as l'air en colère, constata Ecarlate.

— Je me suis en quelque sorte disputé avec un traitre, mais ça va aller. Je ferais de mieux de me mettre au travail.

— Je peux vous aider à briser du bois, proposa Ethan.

— C'est un travail de bonhomme, mon garçon.

— Je peux toujours essayer... Ecarlate pourra peut-être s'investir à dimensionner les planches que vous avez récupérées. Comme elle apprends vite...

— ... ultra-méga vite...

— ...vous pourriez lui expliquer ce qu'elle aurait à faire. Comme ça, les parties que vous êtes seul à maîtriser, on vous les laisse.

— Merci les enfants... je ne sais vraiment pas comment vous remercier.

Ils se mirent donc au travail. Barth se chargeait de travaux les plus durs pendant qu'Ecarlate découpaient les bois de sorte qu'ils soient parfaitement asymétriques. Et Ethan, à l'aide d'une hache, s'attaquait aux arbres. Chaque travail, demandant son lot d'effort particulier.

Aux environs de 8h, Barth jugea bon de s'arrêter là. Ils avaient déjà commencé une bonne partie du squelette, mais la noirceur avait envahi le lieu, et le feu de bois à côté ne changeait rien au fait que leurs yeux ne pouvaient supporter longtemps.

Une tente fut alors dressée pour Barth.

— Il va falloir que je rentre affronter mon père, dit Ethan en essuyant ses mains.

— Ethan... et mon éclair ? demanda Ecarlate en le fusillant du regard.

Ce dernier, pris au dépourvu, ne put répondre que par des :

— Je... je...

— Tu m'as demandé une seconde, et je te l'ai accordée. Maintenant, trouve mon éclair.

— Je sais. Mais comment chercher si on ne sait pas par où commencer ? Le meilleur moment pour trouver ton éclair, c'était durant la tempête.

— Tu as promis, siffla-t-elle.

Barth toucha les épaules d'Ecarlate.

— Essaie d'être patiente, lui proposa-t-il.

— Vous, les êtres humains, vous ne savez que promettre. Vous ne vous rendez pas compte d'à quel point j'ai besoin de mon éclair ? Ou ce qui n'est pas important pour vous, n'est nécessairement pas important pour les autres ?

— Ecarlate... essaie de comprendre, lui reprit Barth. On ne connait rien de ton éclair. On ne sait pas où chercher.

— J'ai appris que quand on veut, on peut. Vous ne voulez pas... Je veux mon éclair.

La chevelure d'Ecarlate s'hérissa, ses yeux virèrent au rouge. Des filets d'éclairs vinrent se mêler à la scène.

— Pourquoi c'est si difficile de comprendre ?

La chaleur dégagée par son aura poussa Barth et Ethan à prendre du recul. Le petit tapis de neige sur lequel elle était, fondit en un instant.

— Ecarlate, calme-toi sinon tu vas faire des dégâts.

— Ethan ! rugit-elle.

Ethan, au bout du rouleau, lâcha alors :

— Je crois savoir par où commencer.

ECARLATEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant