ECARLATE

1.4 - Ce qu'a apporté l'éclair

Mickaël sortit de la cabine et s'avança vers le pont avant qui n'avait plus de nez. Et malgré la pluie, il concentra son regard vers ce ciel rouge-écarlate. C'est là qu'il vit une sorte d'éclair se tordre comme un ver de terre pris entre deux doigts.

— Qu'est-ce qu'...?

Le nuage épais avait beau tenter de cacher le spectacle qu'offrait l'éclair, Mickaël le voyait. Et même s'il avait du mal, il parvenait tout de même à apercevoir la forme de cet éclair qui dansait macabrement derrière le nuage. D'un coup, ce dernier s'arrêta de se tordre et Mickaël eut l'impression qu'il l'observait. Sa bouche s'ouvrit alors sous l'étonnement et il fit un pas en avant, comme s'il était hypnotisé. Plus il avançait, plus il avait aussi l'impression que l'éclair se rapprochait.

— C'est quoi c... ?

Mais au moment de terminer sa phrase, Anders se jeta sur lui et le plaqua au sol. Il eut à peine le temps de réagir qu'il se rendait déjà compte que son oreille droite sifflait. L'éclair avait foncé sur lui. Et sans l'intervention d'Anders, il aurait été frappé. Cependant, quelque chose le titilla : contrairement aux autres éclairs qui s'étaient écrasés sur le bateau, celui-ci ne suivait pas le rythme.

L'éclair s'éleva dans le ciel et partit disparaître dans l'horizon écarlate.

— Monsieur Holger, l'agitait Anders. Vous allez bien ?

Ce dernier était encore sonné. Il avait du mal à croire ce à quoi il venait d'assister. Un éclair écarlate lui avait foncé dessus. Un éclair qui, quelques minutes avant, se tordait derrière les nuages.

— Ça va... répondit-il pendant que Nils l'aidait à se relever.

Des instants plus tard, la tempête se calma. Les vagues agressives de tout à l'heure laissèrent place à des vaguelettes à peine grandes pour effrayer l'équipage. Toutefois, le bateau n'en était pas sorti indemne. La poulie accrochée à l'arrière avait été arrachée, emportant avec lui une grosse portion du bateau. L'avant ne ressemblait plus à rien et une fissure énorme s'était formée au coin supérieur droit de la coque bâbord.

L'équipage commença à reprendre sous souffle.

— Je vous avais bien dit que Njörd n'était pas de bonne humeur, commenta Valdemar.

— Le moteur est H.S., dit Anders. Qu'est-ce qu'on fait ?

Mickaël se frappa le visage dans le but d'effacer l'image de l'éclair écarlate. Un tel phénomène ne pouvait exister. Un ciel rouge, c'est normal. Juste qu'il n'y en avait jamais eu, c'est tout. Mais arriverait-il à se convaincre ? L'éclair lui avait foncé dessus. Pas comme les autres qui tombaient dans le tas. Non. Cet éclair en voulait à sa vie, mais pourquoi ? Pouvait-il raconter ce à quoi il venait d'assister ? Qui le croirait ? Peut-être Valdemar, qui trouverait en cela un prétexte pour justifier l'existence d'Odin et de sa famille. Non. Il devait relativiser. Pourtant, ce qu'il ne savait pas : Erland allait changer à cause de cet éclair.

Bien qu'étant une ville balnéaire, Erland avoisinait une forêt cachée dans les bois. Elle n'était pas grande — faut pas exagérer — mais les arbres qui perdaient déjà des feuilles à la proche de l'hiver lui conféraient une allure sinistre. Comme si toute la vie qui y était, disparaissait petit à petit. Et cette petite forêt constituait un terrain de chasse idéal pour Barthélemy Knut et son compagnon Bertil Folk. 

Les deux étaient de vieux hommes plus ou moins isolés d'Erland. Barthelemy Knut avait encore assez de force pour chasser, couper du bois avec une hache, réparer de temps en temps la grange de sa cabane. Son visage, noyé dans une pilosité plus que nécessaire d'un gris fort, ses yeux étaient d'un bleu marin. Sa démarche était encore adroite, à croire qu'il n'avait pas encore commencé à ressentir les effets de la vieillesse. Bertil Folk, en revanche, puait la vieillesse à plein nez. Une calvitie prononcée, un visage condamné à grimacer et une démarche plus que gauchère. Sans oublier que sa respiration était bruyante, que sa voix était plus un sifflement qu'autre chose.

Cette nuit-là, ils s'étaient mis en tête d'aller chasser des écureuils malgré la tempête qui, pourtant dissipée, avait laissé pas mal de dégât. Ils tenaient chacun un fusil de chasse et étaient prêts à s'en servir si nécessaire. Et alors qu'il circulait au milieu de ces arbres qui perdaient leurs feuilles, ces mêmes feuilles qui avaient envahi le sol boueux, Barthélemy crut voir quelque chose briller un peu plus loin, au sommet d'une crête de terre à sa droite. D'un geste de la main, il arrêta son compagnon.Ce dernier, pris au dépourvu, lui percuta le bras.

— Mais à quoi est-ce que tu joues ? se plaignit-il. J'ai faim, moi.

— Bon appétit ?

— Il n'empêche que j'ai faim, grogna-t-il.

Sans hésiter, il lui ôta le bras et reprit sa route. Une montée de terre se présentait à eux, et avec sa démarche gauchère, on eut cru qu'il allait tomber à tout instant. Mais le regard de Barthélemy s'orientait vers cette droite, et non en direction de son compagnon. Son fusil paressant sur son épaule maintenant.

— Qu'est-ce que tu fais... ?

— Tu chasses ton écureuil... Moi, je vais voir.

Il changea de direction en montant par la droite.

— Barth lui chuchota Bertil. Barth ! Ne fais pas ça ! Barth ! Tu sais bien qu'on n'a que la nuit pour chasser. Le shérif nous surveille. Tu sais bien qu'on n'a pas le droit de chasser des écureuils. Tu vas où comme ça ? Tu m'écoutes quand même ?

Son compagnon borné continuait d'avancer vers la lumière qu'il avait vue. La curiosité était son plus beau défaut. Cela lui avait d'ailleurs valu qu'on le mette à l'écart de la société. Si vous le saluiez, il risquait de vous poser des questions sur toute votre famille. Mais bon, ça lui avait valu de tomber sur de bons gibiers aussi en suivant des traces. Son instinct lui disait qu'il allait trouver quelque chose de magique, alors il se préoccupa peu des avertissements de ce vieux bougre.

— Va chasser, toi, je reviens tout de suite...