1.2 - Aimer et croire savoir aimer

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— Tu es intelligent, Ethan.

— Intelligent, oui, je sais, mais je préfère l'écriture. C'est la seule chose que je veux faire. Et si tu m'en prives, je te haïrai, papa, de toutes mes forces. De toutes mes forces, tu entends ? Et maintenant, tu sors. Va à la pêche comme toujours. (Sans comprendre, il commença à le pousser vers la porte.) Rapporte-moi des thons. Et n'oublie pas de me rapporter un père qui sait aimer. Pas un père qui croit savoir aimer.

— Ethan, tu arrêtes. Tu n'es plus un enfant. Grandis, bon sang ! 

— Tu veux que je grandisse ? Commence d'abord par sortir de ma vie.

Mickaël Holger battit en retraite et sortit. Il lança un dernier regard à son fils qui lui claqua la porte au nez. Sa colère ne s'était pas encore apaisée, mais il ne put s'empêcher de vouloir entendre à nouveau ce qui se passait dans la chambre. Et comme il s'en doutait, ce dernier pleurait. Ce qui lui fit mal. Mais il avait en lui cette conviction qui lui dictait qu'il agissait pour son bien. Il ne voulait que son bien. Il souhaitait que son fils devienne un grand homme. Mais avec un Ethan qui se refusait à avoir une vie stable, tout semblait converger vers l'opposé de ce qu'il désirait.

Il descendit l'escalier et prit son pull-over avant de s'en aller au bord de son pick-up d'un bleu morne.

Arrivé sur les quais, Holger vit des navires de pêche qui attendaient pour mettre les voiles. Il gara son pick-up dans le garage de l'entreprise qui se chargeait de gérer et réglementer la pêche à Erland. Le bureau n'était pas bien grand. Il s'agissait généralement d'un trois-pièces, aménagé pour permettre par exemple à des scientifiques de découvrir de nouveaux spécimens marins. Pour le reste, il y avait un entrepôt qui ressemblait plus à un ancien aéroport qu'à un réel entrepôt un peu plus loin, où des ouvriers entassaient leurs récoltes et où le maire les classait pour pouvoir le distribuer à la ville tout en rémunérant les pêcheurs.

Les bruits de pas de Mickaël résonnaient désormais sur le pont en bois qui le conduisait près de son navire de pêche. D'autres avaient déjà mis les voiles. Il ne restait plus que sept environ.

— Hey... Anders... descends-moi l'échelle... demanda-t-il, arrivé au bout du pont.

Ce dernier s'exécuta et Mickaël put monter.

Anders Solveig était le plus jeune matelot de l'équipage. Sa blonde chevelure était encore toute fraîche et aucune trace de barbe ne voulait pointer à l'horizon. Il avait une apparence chétive, mais il savait aussi apprendre de ses aînés. Lorsque Mickaël commença à scruter les instruments de pêche dont ils disposaient, il s'approcha et commença à son tour à observer.

— Tu veux bien bouger sur le côté ? lui demanda-t-il en remarquant que ce dernier l'empêchait de s'accroupir correctement.

— Oh... désolé... désolé... C'est plus fort que moi, eut-il du mal à sourire. Je voulais juste savoir comment mêler un filet de pêche, c'est tout. C'est un exercice que j'ai du mal à... à... vous voyez ?

— Si tu veux apprendre, lui répondit-il de mauvaise humeur, va près du vieux Valdemar Turgis. Je n'ai pas la tête à apprendre quoi que ce soit à qui que ce soit.

— Mais le capitaine m'a formellement interdit de le réveiller avant que l'on soit prêt au départ.

— T'es sourd ou quoi ? Tu dégages ! Va apprendre chez quelqu'un d'autre que moi.

Pris au dépourvu, Anders faillit s'affaisser sur le plancher. Mais il réussit in extremis à prendre appui sur ses coudes. Visiblement intimidé, il se leva et s'en alla voir si l'on n'avait pas besoin de son aide quelque part d'autre. Mickaël, n'éprouvant aucun regret, se mit à nouer et resserrer les lianes mal faites.

— Tu y es allé un peu fort, tu le sais ? le surprit Nils Germund, bras croisés, adossés sur la coque supérieure du navire.

Mickaël finit de régler les derniers détails et se leva vers Nils. Ce dernier, bien qu'étant plus court que lui, était un massif bonhomme. À travers son pull-over, des muscles se battaient pour se mettre en valeur. Son bonnet cachait un crâne chauve, mais la touffe de barbe épaisse qu'il avait y faisait contraste.

— Ce n'est qu'un gosse, continua-t-il.

— Laisse-moi (Il se leva vers lui.) te rappeler que moi aussi, j'ai un fils.

Malgré la démarche limite menaçante de Mickaël, Nils ne bougeait pas. Ses bras croisés, il continuait de fixer un Mickaël dont la colère de l'après-midi ne s'était pas totalement tarie. Cette attitude à se maîtriser de la part de Nils déroutait souvent Mickaël. Mais là, encore en proie à la colère, il préféra ne pas y penser.

— Un fils qui, visiblement, a du mal à te considérer comme son père.

— Je ne l'ai jamais abandonné, tenta-t-il de se justifier sans aucune raison. Je me suis battu pour lui, et il... il... (Il soupira et lança un dernier regard à la côte, d'où le bureau se situait.) Parfois, je me demande si c'est bien mon fils.

— Pendant que tout le monde pense à cette foutue saison où les poissons semblent se raréfier, toi, tu as du mal à gérer un ado... ? C'est ça... ?

— Vas-y... mets-toi à ma place... J'ai dû brûler ses contes. C'est à cause de ça qu'il n'a pas une vie sociale stable.

— Et tu crois qu'en brûlant les fruits dans l'arbre, tu résoudras le problème ?

— Nils... ! Je ne suis pas d'humeur à encaisser tes métaphores.

— Ce que tu as fait ? Tu as brûlé le fruit de l'arbre. Et ce qui en résultera produira quelque chose d'encore plus grand. T'es sûr que t'es prêt à affronter la colère de ton fils ?

— Ça finira par lui passer.

— Ce n'est pas la conclusion que je me ferais si j'étais toi. D'après les rumeurs qui circulent à Erland, ces histoires et lui, c'est une vraie histoire d'amour. Et si tu veux mon avis, cela naît lorsqu'on a un vide émotionnel. C'est ce que ressent ton fils, Mickaël. Un vide émotionnel. En brûlant cela, tu viens de commettre la plus grosse erreur de ta vie.

— Tu n'as pas de gosses, à c'que je sache. Tu crois vraiment que tu es le mieux placé pour m'apprendre à élever mon fils ?

— C'est toi qui vois, battit Nils en retraite en écartant ses mains. Maintenant que tu es là, nous pourrons partir.

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