1.10 - Le premier bouleversement

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Mickaël s'était rendu peu de temps après sa dispute avec son fils, sur la côte. L'hiver était de plus en plus proche. On le sentait au soleil qui donnait l'impression de s'effacer.

Alors qu'il marchait le long d'un pont en bois paressant sur l'eau, il observait la mer qui se brouillait dans l'horizon. Un petit courant d'air frais agitait sa chevelure, mais rien de grave. Et le pont en bois répercutait chacun de ses pas en écho.

La majorité de navires de pêches avait déjà largué les amarres. La carence en poisson, devenant une affaire à prendre au sérieux.

Mickaël, désormais debout au bout du pont, revit les images du ciel écarlate. Est-ce qu'Erland l'avait vu ? Pas très sûr, car apparemment, personne n'en parlait. Et l'éclair. Oui, il se souvenait très bien de l'éclair qui avait fondu sur lui. Qui l'avait pris pour cible, et pourtant...

— Monsieur Holger, fut-il surpris par une jeune femme derrière.

Il tourna son regard et croisa celui de Kristina Sven, la fille du shérif. Approchant la vingtaine, elle avait une chevelure d'un blond doré caché sous un bonnet. Balai à éponge entre ses mains, elle nettoyait les ponts.

— Kristina, répondit-il en se tournant vers elle. Toujours aussi rebelle à ce que je vois. Chose que je ne comprends pas. Tu travailles au port tandis que ta place est aux côtés des agents de l'ordre, comme ta mère.

— Je ne suis pas ma mère, l'interrompit-elle en prenant appui sur le balai. Je suis moi. Je n'apprécie pas vraiment qu'on m'associe à ma mère, monsieur Holger. De plus, j'adore mon travail.

— Je vois. Tu veux déjà gagner ton indépendance, c'est bien.

— Vous allez bien, monsieur Holger ? On dirait que vous êtes fatigué.

— J'ai passé la nuit en mer.

— Anh ! Je comprends. C'est pour cela que vous regardez la mer de cette façon.

— De quelle façon ?

— Comme si vous ne la reverrez pas avant un bon moment.

— Oh ! Peut-être. De toute façon, (il tourna son regard vers un navire qui s'en allait.) chacun voit son travail comme il le veut.

L'instant d'après, il entendit une série de bêlements qui venaient de sa droite, vers l'étendue d'eau isolée entre deux croisements du pont.

— Oh ! Ils sont déjà là ? s'exclama Kristina, perdant presque le contrôle d'elle. Monsieur Holger, vous pourriez tenir ça pour moi ?

Mickaël n'eut pas le temps de répondre qu'il tenait déjà le balai. Kristina partit ensuite en courant. Elle revint après avec un seau métallique et s'assit en trempant ses jambes dans l'eau.

— Kristina, lui rappela Mickaël. Il faut que j'y aille.

— Oh !

Elle sortit une sardine du seau et le dirigea vers l'eau. Un petit museau de phoque jaillit et le goba. Elle en lâcha un petit rire amusé.

— Vous ne voulez pas par contre m'aider à les nourrir ? Regardez ! (Elle lui montra le seau à peine occupé par les poissons.) il n'y en a pas beaucoup.

— Une prochaine fois, peut-être.

— Ce peut-être veut tout simplement dire que ça ne l'intéresse pas, fit Nils en apparaissant subitement dans son champ de vision.

Il se trouvait près du pont, bras croisés, crâne chauve couvert pour son habituel bonnet.

— Oh ! dit alors Kristina qui nourrissait un deuxième phoque. Monsieur Germund. C'est la première fois que je vous vois contredire monsieur Holger.

— Je ne sais pas si je dois prendre pour un compliment ou une remarque abusée, répondit-il en poussant un rire étouffé.

— Bon, Kristina. On va te laisser. (Mickaël rejoignit Nils.) On a des choses sérieuses à débattre avec le maire.

— Tu salues ta mère de ma part, ajouta Nils. Dis-lui qu'elle est toujours belle en tenue.

— Je ne manquerai pas, sourit-elle en se retournant vers ses phoques qui formaient maintenant une file. Je vais me débrouiller seule.

— On y va.

Mickaël disparut. 

Elle continua de nourrir ses animaux lorsque quelque chose la titilla. L'un de ses phoques semblait malade. Ses sourcils froncèrent alors.

— Hey, mon grand, ça va ?

Elle agita lentement sa main dans l'eau pour l'attirer. Ce dernier obéit et sortit presque tout son corps avant d'atterrir sur le pont. Elle le toucha, et remarqua que rien ne semblait anormal.

— Tu n'es pas brulant. Mais c'est comme si...

Le phoque commença à sangloter en bêlant. Un deuxième employé qui travaillait sur le pont vit la scène et s'approcha en courant.

— Il faut l'emmener au centre de soin. Il n'a pas l'air bien.

Elle tenta de le toucher à nouveau, mais reçut une décharge électrique qui lui arracha un « aïe » surpris. Le phoque commença à s'agiter en bêlant avec plus de détresse.

— Tout doux, essaya de lui rassurer Kristina qui le toucha avec précaution. On va t'aider. Aide-moi, d'accord ? Ça va passer.

L'autre ouvrier tint le phoque par la tête pendant qu'elle le ceinturait au bas de l'abdomen. Puis, en poussant de toute leur force, ils soulevèrent l'animal qui essayait de se calmer sans grand succès.

— Il pèse une tonne, commenta l'ouvrier qui flanchait déjà sous le poids de l'animal.

Ils traversèrent le pont et l'emmenèrent dans le centre de soin où ils le posèrent sur un genre de table d'opération.

— Il n'est pourtant pas fiévreux. (Elle se tourna vers son collègue.) Tu pourrais m'apporter les... ?

Elle n'eut pas le temps de terminer sa phrase qu'une troisième employée arrivait déjà avec le matériel dont elle aurait besoin.

— Je vous ai vu avec le phoque. Je me suis dit que vous auriez...

— ... Merci, Ingrid, répondit Kristina qui s'affolait déjà.

Mais au moment où elle rapprocha la machine de traitement près du phoque, elle surchargea littéralement et péta dans sa main en lançant des étincelles. Sans réflexe, elle aurait eu la main brulée. 

Les employés qui étaient avec elle plissèrent les yeux et prirent du recul pendant que le phoque continuait de s'agiter.

Kristina, encore sonnée, préféra rassembler son courage pour se calmer. Peut-être que le courant avait surchauffé, c'est tout. Mais comment expliquer cette décharge électrique au pont ?  Elle préféra encore se dire que tout avait une explication rationnelle.

— On dirait que ça nous dépasse, lâcha une employée en s'approchant de la machine court-circuitée, par terre.

Elle sortit alors son téléphone, mais se rendit compte avec crainte que ce dernier avait aussi été grillé. L'intégralité des appareils se trouvant dans la pièce n'avait pas échappé.

Le phoque cessa soudain de s'agiter, et se calma. Mais il sentait le brulé.

Kristina s'approcha de lui, retira son gang et après un long moment d'hésitation, lui toucha le flanc. À son contact, elle eut l'impression que sa peau vibrait à une vitesse folle.

— Effectivement, ça nous dépasse, se dit-elle. Calme-toi, Kristina. Tout a une explication logique. Mais...

ECARLATEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant