CHAPITRE 42

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D'humeur désespérée et presque noire, Bertil se promenait seul dans la forêt. Son compagnon de chasse l'avait lâché, le condamnant à se débrouiller seul désormais dans leur entreprise. Mais ce vieux con, savait-il au moins que ce commerce était une aubaine à saisir ? Surement qu'avec l'idée de la foire proposée par le maire, le marché noir se retrouverait accru. Ils pourraient vendre ensemble et rapporter gros. Surtout en cette période où le prix de la peau d'écureuils - particulièrement belle dans la région - était en hausse, rivalisant presque avec ceux des ours et des léopards de neige. Animaux rares dans la région.

Et s'il en croisait une ? Ce serait une belle prise. Cependant, il devait se mettre à l'évidence : il avait plus de chance de rater sa cible que de tirer dans le mil. Cela donnerait l'occasion à l'ours ou au léopard de charger sur lui. Le tir était un domaine dans lequel Barth excellait. Mais sans lui, il avait plus de chance de ne rien avoir. Toutefois, il avait besoin de ce commerce. Il en était accro.

Alors qu'il se retrouvait à circuler dans la forêt, ses pas ralentis par l'épais tapis de neige, il scrutait les moindres mouvements dans les arbres, son fusil aux aguets. En quête de présence animal. Avec cet hiver, ces bestioles étaient censées déjà avoir construit des refuges dans les troncs d'arbres.

A ses pas ralentis par l'épaisse couche de neige, s'ajoutait son dos qui s'était encore cambré. A tel point que de loin, on aurait cru qu'il marchait à quatre pattes.

Fatigué, il fit encore quelques pas avant de s'épuiser en à peine quelques secondes. Il s'appuya contre une branche d'arbre qui fit pleuvoir sur lui une petite avalanche de neige. Il s'écroula sous le poids et se retrouva assommé avant de se relever maladroitement.

Agacé par toute cette neige, il poussa un gros juron et s'épousseta afin d'en retirer les résidus. Il se pencha pour ramasser son fusil, ce qui eut la douloureuse manie de lui rappeler que son dos n'était plus ce qu'il avait été, sans compter le fait qu'il avait pris du poids. Il chargea ensuite son arme et reprit son chemin. Et cette fois, ce fut un gros rhume qui s'en prit à lui.

Ecarlate, de son côté, avançait dans les profondeurs de la forêt qui débouchait sur une petite colline parsemée de petits tunnels presque recouverts par la neige. Elle scrutait de temps en temps les arbres, dans le vain espoir d'y trouver un lièvre. Mais elle avait appris que ces mammifères étaient terriblement rapides et agiles – pas simple à attraper.

Alors qu'elle avançait, elle crut apercevoir la silhouette blanche d'un loup de neige. Ce dernier se tenait debout sur une petite montée à une centaine de mètre d'elle, à l'observer. L'animal semblait l'analyser. Et, bien que Barth l'eût avertie contre les loups, Écarlate ne pouvait nier que celui-là avait un beau pelage. Ce blanc concordant tant avec la neige environnante.

Le loup fit un pas en sa direction et commença à grogner. Ecarlate, sans moindre trace de terreur, reconnut quelque chose en ce grognement. Cette attitude de la part du loup. L'animal défendait quelque chose. De la nourriture ? Ses petits ? Elle ne le saurait jamais, car elle préféra l'ignorer et continuer sa route. Le loup, remarquant qu'elle ne se dirigeait plus vers lui, se calma et fit demi-tour.

Ecarlate se retrouvait maintenant à circuler près de la rivière qui traversait la forêt. Des morceaux de glaces se formaient sur la surface ruisselante de l'eau. Mais aucune trace de lièvre à l'horizon.

Bertil suffoquait maintenant sous le froid de la forêt, à tel point qu'il soufflait continuellement dans ses gangs pour espérer gagner de la chaleur.

Soudain il entendit des pas étouffés par la neige. Il se redressa à travers les buissons qu'il avait trouvé comme abri idéal à une embuscade et vit Ecarlate au loin. Elle était de dos et semblait chercher quelque chose. Car elle marchait sans cesser de lancer des regards aux alentours d'elle.

A sa vue, Bertil ressentit de la colère. Après tout, c'était sa faute si Barth avait tout rompu avec lui. C'était à cause d'elle qu'il se retrouvait à suffoquer dans la forêt à la recherche de sa marchandise. C'était à cause d'elle.

Alors, il pesa de son poids sur le buisson et pointa son fusil sur elle. Il ne lui restait plus qu'à appuyer sur la gâchette et le tout serait fait. Mais l'atteindrait-il ? Il n'était pas bon viseur. Et de toutes les façons, ce n'était qu'une jeune fille. Au cas où il la ratait, elle serait sûrement effrayée et s'enfuirait à vive allure. Et elle ne connaîtrait pas la personne qui lui aurait tiré dessus car caché dans les buissons. Camouflage accru par la neige.

Le bout du fusil dépassa du buisson. Bertil s'apprêtait à tirer.

Ecarlate, ne se doutant pas qu'elle était prise pour cible par Bertil, continuait de fouiller dans les arbres, dans les buissons qui se trouvaient près d'elle. Partout où elle pouvait trouver un lièvre. A ce moment, une détonation retentit. Bertil venait de presser la détente. Mais la balle perfora un arbre à côté d'elle.

- Merde, ragea Bertil en se cachant promptement dans les buissons, serrant son fusil contre lui. Normalement, elle est censée s'enfuir alors. Je l'aurais la prochaine fois.

Il se risqua un coup d'œil à travers les buissons, et son effroi fut direct en croisant le regard dévastateur et meurtrier d'Ecarlate. Un regard qui lui fit des frissons aussi brutal qu'un coup de poing surgissant de nulle part. Ecarlate était en train de s'avancer vers sa cachette. Sa chevelure était hérissée, et une sorte d'aura rouge émanait de tout son corps.

- Je savais que tu n'étais pas normale, fit-il en se laissant dominé par la panique.

Il sentit quelque chose de chaud couler entre ses jambes et s'aperçut qu'il s'était pissé dessus. Honteux, il se retourna vers Ecarlate et tira un deuxième coup. La balle passa à côté, et de loin. Le vieil homme s'adossa ensuite contre l'arbre près de son buisson et chargea son arme. Il avala à grosse gorgée sa salive. Il était effrayé.

Tout à coup, il entendit des grésillements. Il tourna à nouveau son regard vers elle, et vit des filets d'éclairs parcourir ses cheveux comme dans un système nerveux. Là, il avait plus que peur. Il se releva et se mit en tête de courir. Mais à peine avait-il fait quelques pas, qu'il se retrouvait à terre à cause de l'amas de neige dense qui constituait le tapis de la forêt.

Ecarlate se rapprochait, visage froissé par la colère. Ses yeux, d'un rouge meurtrier le dévorait carrément.

Bertil tira un autre coup, mais cette fois, cela passa près de sa hanche droite. Trop fatigué pour continuer à courir, il s'adossa contre un autre arbre et pointa son fusil contre elle. Fusil, tremblant désormais entre ses mains.

- N'approche pas ! lui intima-t-il d'une voix apeurée et effrayé. Sinon, j'te fume.

Il tira un dernier coup, mais la rata encore.

- Écoute ! commença-t-il. Je ne savais pas que c'était toi, je te jure. J'ai cru que t'étais une biche. C'est pour ça, je te jure sur la tête de mes enfants.

Mais Ecarlate ne flanchait pas et continuait d'avancer vers lui.

- Te promener seule dans la forêt, c'est dangereux. On peut facilement te confondre. (Il plissa ses yeux sous la peur et serra ses dents.) Okay... Okay... je t'ai tiré dessus. Mais sans le faire exprès.

Ecarlate se retrouva à deux mètres de lui et s'arrêta. Le cœur de Bertil battait à s'en rompre.

- Écoute, (il leva sa main vers elle.) Si tu me laisses, partir, je... je... écoute... je... Je...

Ecarlate frappa.

ECARLATEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant