Hellions : partie 2

Chapitre 6 - #1

Amélia errait entre les quatre murs de sa chambre ses bras repliés l'un contre l'autre et l'esprit embrumé par les multiples interrogations qui avaient été soulevé ces derniers temps. S'il était vrai qu'elle était enfin revenue au monde réel, les épreuves qu'elle avait dû surmonter ne lui laissait guère de choix quant aux éventuelles menaces qui s'amoncelaient petit à petit devant sa porte. Lorsqu'elle avait été piégé de son cauchemar avec Esath, elle aurait tout donné pour retourner à la surface. Désormais, l'extérieur la terrifiait. Voilà plus de deux semaines qu'elle refusait de sortir et tout contact autre que Jaëger ou Kain lui apparaissait aussi surmontable que l'escalade d'un flanc de montagne parfaitement lisse. Ses compagnons ne l'avait pas revu depuis son réveil et les maigres tentatives de Seth pour venir à elle ne s'étaient soldées que par des refus catégoriques.

La jeune fille passait le plus clair de son temps à méditer en tentant d'appréhender la nature complexe de ce qu'elle était désormais devenue sans jamais réussir à se faire une idée totalement fixe. Elle s'était attelée à contacter Esath mais n'était pour l'heure pas parvenue à créer un état de transe mentale suffisante pour obtenir une réponse de la créature. Depuis l'obscurité, elle avait appris à dompter ses sens plus aiguisés que jamais. Ouïe, odorat, toucher, goût et vue laissaient même parfois place à une sorte de sixième sens purement animal. Une étrange sensation d'instinct qu'il était impossible de réfréner et qui lui permettait bien souvent d'anticiper les allers-venus dans sa chambre mais aussi dans les couloirs adjacents. Son esprit était constellé de questions sans réponses, d'interrogations vaines, de réflexions quasi-philosophies et de souvenirs mal entendus.

Les fragrances du passé remontaient parfois à la surface et oblitéraient sa chair comme sa psyché dans un triste concert de cris et de pleurs. Son statut de résonnante aurait pu s'apparenter à un privilège mais il n'en était rien car Amélia percevait cette fatalité comme une malédiction à laquelle elle ne pouvait plus échapper. Son esprit guerrier s'était évaporé au profit d'une lente agonie spirituelle de laquelle ne ressortait que sanglots et plus de désespoir encore. Les sages paroles de Kain ne parvenaient pas à la réconforter et elle aurait souhaité pouvoir s'abandonner dans cette étroite pièce au point d'en disparaître. Ainsi, elle avait presque renoncé à ses prétentions de leaders et avait mis sous le tapis jusqu'à sa quête de vengeance envers les skryns. Ni la bonne volonté du professeur, ni les paroles plus pragmatiques de Jaëger n'étaient parvenus à la convaincre de sortir.

Elle entendit une porte s'ouvrir non loin et le claquement des bottes frappant le sol froid du Centre vint rapidement la mettre en alerte. Elle se redressa sur son lit et fit face à sa porte où elle pressentait l'arrivée prochaine d'un individu. Animée d'une rage animale, elle serra sa poigne sur ses draps et prépara sa voix pour aboyer auprès de quiconque oserait la déranger. Il ne pouvait s'agir que d'un hellion car leurs pas étaient caractéristiques. Bien que les facultés d'imitations du Venom soit important, il était impossible de totalement répliquer les matériaux constitutifs d'une botte. C'est pourquoi le son qui accompagnait ces êtres hors du commun était différent. Elle percevait sans mal l'individu approcher. Il s'arrêta devant l'entrée de sa chambre.

Lorsque la porte s'ouvrit, elle gonfla ses poumons pour crier mais s'arrêta net lorsque du faisceau de lumière de l'extérieur émergea une personne qu'elle ne s'attendait plus à voir. Amélia fut happée par sa stature qui lui paraissait plus majestueuse que jamais et par l'éclat violine de ses iris qui lui rappelait tant de bons souvenirs. Il avança, la porte se ferma et ils furent seuls dans l'obscurité. Bientôt, il fut aux pieds de son lit et prit le temps de s'asseoir à côté d'elle.

- Bonjour, Amélia. Dit-il d'une voix amicale et bienveillante, elle ne répondit pas. Kain m'a fait part des difficultés que tu éprouvais depuis ton réveil, je suis au courant de tout. Je ne pensais pas que tu aurais tant de mal à t'adapter. Je suis navré de ne pas avoir été là plus tôt. Poursuivit l'homme, attrapant les mains de la jeune femme qui se laissa faire sans broncher.

- Que faites-vous ici ? Répondit-elle simplement.

- Je suis là pour m'occuper de toi. J'ai fait savoir au professeur et aux autres que je me chargeais de tout te concernant, tu as besoin d'une aide que tout autre personne ne saurait t'apporter.

- Pourquoi aurai-je besoin de vous, Ren ? Depuis notre première rencontre vous n'êtes jamais qu'une ombre qui apporte davantage de questions qu'elle n'offre de solutions. Objecta Amélia en retirant ses mains des siennes malgré la douce chaleur qu'elles procuraient.

- J'en suis bien conscient. Il y a longtemps, tu m'as demandé de t'offrir des réponses après la mission à Noth, t'en souviens-tu ? Je suis prêt à répondre.

La jeune fille redressa la tête et scruta le visage de son homologue, ses traits transpiraient une sincérité véritable. Pour la première fois depuis qu'elle l'avait rencontré, elle ressentait ce frisson d'inconnu qu'elle avait éprouvé lorsqu'elle l'avait entrevu descendant les marches de l'amphithéâtre de son université. Elle avala sa salive et hocha la tête.

- Nous parlerons mais nous devons le faire ailleurs. Sortons, veux-tu ?

- Sortir... je ne peux pas faire ça, Ren. Vous ne comprenez pas ce que ça signifie pour moi. Des gens sont morts, d'autres ont été blessé. J'ignore quelles genre d'horreurs et de maléfices coulent dans mon sang vicié. Elle regarda ses mains avec un dégoût palpable mais le Spectre posa une main sur son épaule, passant son bras derrière sa nuque.

Elle sentit alors toute la chaleur de son corps ainsi que le poids de sa présence, sans même s'en rendre compte, ses joues prirent une très légère teinte rosée.

- Tu peux sortir d'ici, Amélia. Crois-moi. Il n'est d'être plus exceptionnel que toi dans le Centre tout entier et tout un chacun doit pouvoir admirer qui tu es au travers de ces épreuves que tu as surmonté. Tes amis et ta famille, où qu'elle soit aujourd'hui, seraient fiers de te voir reprendre le cours d'une vie dédiée à la protection de ceux qui n'ont plus rien ou dont l'existence est menacée par notre ennemi commun.

Ses derniers mots achevèrent la jeune fille qui fut bien incapable de résister à l'envie de le fixer. Elle se perdit dans son regard enjôleur et s'autorisa à boire ses mots sans chercher à les contredire. Amélia laissait aller jusqu'à ses instincts primaires, s'abandonnant à cet homme qui d'une façon presque hypnotique la fit se lever pour l'approcher doucement de la sortie. La lutte était vaine et sa présence la rassurait plus qu'elle ne l'aurait dû, elle se fichait bien de devoir s'exposer dehors tant qu'il serait là. Cette force qu'il dégageait, cette assurance sans commune mesure et son implacable logique ne pouvaient être défiée. Du moins, pas dans son état. Elle eut un frisson quand il posa sa main sur le pad de sortie et lorsque la porte de métal coulissa lentement vers la gauche.

La lumière du couloir apparut et, ensemble, ils mirent les pieds dehors. Amélia apprécia la douceur de la moquette rouge sous ses pieds et fut soulagée de ne croiser personne. Pourquoi avait-elle donc imaginé que tout un chacun serait prêt à bondir sur elle à sa moindre tentative de sortie ? Peut-être avait-elle laissé la solitude et l'appréhension prendre le dessus bien trop longtemps. Quoi qu'il en soit, elle fut rassurée et lâcha alors la main de Ren qui lui adressa un sourire bienveillant. D'un mouvement de la tête, il lui fit signe de le suivre pour la mener vers les ailes communes. Sans même songer aux autres, Amélia prit enfin la mesure des révélations qu'elle était sur le point d'obtenir.

Pourquoi était-il à Shion lorsque les skryns étaient arrivés ? Comment avait-il su où la trouver à Noth ? De quelle façon avait-il influencé sa vie ? Et enfin, pourquoi avait-elle l'impression de l'avoir toujours connu ?