Hellions : partie 2

Chapitre 6 - #2

Ren conduisit Amélia dans les couloirs les reculés du Centre intérieur et l'amena tout proche de l'aile des Spectres. Elle fut soulagée que nul ne croise leur chemin et se demanda si la simple présence de son compagnon aux cheveux rouges suffisait à effrayer ceux et celles qui auraient pu se mettre face à eux. Elle n'eut aucun remord à pénétrer dans l'antre de ceux qui lui avaient été décrit comme des monstres tant elle estimait en être devenu un elle-même. Les décors noirs et hostiles des tunnels caractéristiques de l'endroit n'engendrèrent chez la jeune fille qu'une brève appréhension qui se mua en confiance lorsqu'elle prit conscience qu'il ne l'emmènerait pas dans une salle commune.

Au lieu de cela, les deux hellions prirent la direction d'une pièce silencieuse et muette. Ren la fit pénétrer dans cette antre qui ressemblait étrangement à un lieu de méditation. Devant elle, une sorte d'autel en pierre dont les côtés étaient illuminés par deux petits braseros où des flammes dansaient avec volupté. Au sol, une sorte de tapis rouge couvrait le sol et permettait de s'asseoir ou de s'agenouiller sans craindre le moindre inconfort. Les murs étaient rocheux et ne disposaient d'aucun artifice de métal pour les couvrir, et on les discernait à peine faute de lumière suffisante. Amélia entendit Ren verrouiller la porte et le regarda s'approcher de l'autel à côté duquel il s'assied.

Elle constata l'évaporation lente de son long manteau noir et la disparition de ses artifices. Sans tous ses apparats, elle ne voyait finalement plus en lui qu'un homme à peine plus âgé qu'elle. Il lui fit signe de le rejoindre et elle ne se fit pas prier, s'asseyant en tailleur face à lui. Elle remarqua bien vite qu'il était exténué et qu'il portait sur ses épaules le poids des révélations qu'il s'apprêtait à lui faire. Dans un silence de mort, ils se regardèrent sans oser commencer leur discussion. Amélia songea à l'époque de Shion et aux étranges émotions qui lui suscitait la vue de Ren. Quelle enfant naïve ! Jamais elle n'aurait osé imaginé qu'il cachait tant de secrets et c'est bien la pensée volatile de cette époque perdue qui lui fit prononcer sa première question.

- Pourquoi étais-tu à Shion avant l'apparition des Skryns ? Demanda-t-elle alors sans même se rendre compte qu'elle venait de le tutoyer pour la première fois.

- Je me doutais bien que tu commencerais par ça. Il abaissa les yeux et dévoila pour la première fois un côté très humain détaché de toutes ses apparences glaciales passées. J'étais en ville depuis plus longtemps que tu ne le penses, tu ne m'as tout simplement pas vu. J'étais en mission pour Kain.

- Alors vous saviez que nous allions être attaqué ?

- Non. J'étais là-bas pour d'autres raisons plus spécifiques.

- De quoi s'agissait-il alors ? Tu admettras que la coïncidence à de quoi désarçonner ! Lança Amélia, furieuse de devoir demander davantage de précisions.

- Tu dois bien comprendre qu'avant l'incursion des skryns dans notre périmètre tout était différent pour nous. Les Hellions étaient considérés comme des bêtes de foire bonnes à mourir lors de missions suicides au-delà d'Horizon. A l'époque, Kain était forcé de recycler notre présence pour obtenir l'appui des corps militaires. Tu seras peut-être surprise d'apprendre que l'Empereur n'est pas tout puissant et qu'une cohorte d'Immortels très prétentieux possède un pouvoir de décision qui aurait pu mettre notre existence en danger.

Amélia se contenta de hocher la tête, prenant le temps de bien comprendre la fresque dépeinte par Ren.

- Pour répondre plus complètement à ta question, Kain m'avait chargé de me rendre à Shion pour surveiller les activités d'un groupuscule suspecté d'être en lien avec les rebelles qui habitent par-delà les remparts des cités. C'était l'une des missions de recyclage auquel nous étions forcé de nous plier pour rester en vie. Donner des cours en université n'était qu'un prétexte pour identifier les élèves susceptibles d'être des agents doubles. Ma présence n'avait rien à voir avec les skryns qui ont débarqué par la suite.

- Ça se tient mais quand bien même. Pourquoi ai-je l'impression de t'avoir toujours connu, Ren ? Tu as ce quelque chose que je n'explique pas et qui m'interroge.

- Sur ce point-là, je risque de te décevoir. Il fit un mouvement négatif de la tête. J'ai ressenti la même chose ce soir là lorsque nous nous sommes croisés sur un quai de tram mais je ne saurai l'expliquer. A cet instant j'ai cru à une hallucination ou à un dérèglement de mes capacités mais cette impression m'est resté. Je me suis donné pour tâche de comprendre ce phénomène. J'ai pensé, pendant un temps, que cette sensation provenait de cette chose différente que tu as au fond de toi et qui s'est avérée être une résonance. Mais même depuis ta métamorphose je reste irrémédiablement attiré... comme si des éléments m'échappaient.

- Attiré, c'est le mot... Amélia fut parcourue par un frisson, elle détourna son regard du sien. Elle préféra changer de question. Comment m'as-tu trouvé à Noth ?

- Je pourrai prétexter que c'est encore un coup du sort mais je te mentirai. Ren esquissa un sourire et fit lentement passer sa main sur celle de la jeune fille qui n'eut pas le courage de lui intimer de cesser. J'ai suivi l'avancé de ta troupe grâce à Jaëger et lorsque j'ai su dans quel périmètre tu avais disparu alors je me suis hâté de m'y rendre. J'avais cette sensation au fond du cœur, ce pressentiment que l'on explique pas et qui m'indiquait de venir à toi. Je suis arrivé juste à temps. Il lui sourit.

- Oui sans doute... Amélia s'empourpra légèrement, l'atmosphère devenait étrange et ses anciennes accointances pour ce jeune homme aux cheveux ardents commençaient à triturer sa tête soulagée du poids de ses questions. Pourquoi as-tu eu l'air surpris lorsque je t'ai annoncé que nous avions été envoyé à Noth rejoindre les forces spéciales ?

- Parce que ce n'est pas conventionnel, les Hellions travaillent presque exclusivement en solitaire ou accompagné de groupe pré-sélectionnés. Jamais personne n'envoie de renforts à nos unités encore moins des recrues. J'ai enquêté sur le sujet mais la destruction de Cutter's Lane a effacé le peu de pistes que je possédais... aujourd'hui encore j'ignore d'où venait les ordres. Ce n'est pas Harth qui les avait écrit, ça venait de plus haut.

- Plus haut ? Comme du commandement général ? Pourquoi aurait-on voulu sacrifier des innocents comme nous ?

- Aux yeux de ces gens pour qui la survie du plus grand nombre prévaut il existait certainement des raisons viables. Quoi qu'il en soit, je doute que nous ayons un jour le fin mot de cette histoire. Il retira sa main de la sienne, elle fit la moue, comme ennuyée de perdre ce contact physique. J'ai une question à te poser.

- Laquelle ?

- Tu es une résonnante et comme tu l'as déjà vu ... tu as des capacités hors du commun. J'ai demandé la permission à Kain de m'occuper de ton entraînement le temps que tu assimiles les concepts de base qui te seront nécessaires pour survivre au combat. Je suis le mieux placé pour le faire étant donné que j'ai longtemps travaillé aux côtés du seul résonant que nous avions au Centre jusqu'à présent.

- Je ne sais pas... Amélia se gratta l'arrière de la nuque, gênée. Devoir passer davantage de temps avec lui ne poserait pas de problèmes mais ce qui la dérangeait c'était bien la proximité que cela imposerait avec les Spectres. Je ne souhaite pas être intégré à votre groupe j'ai encore trop de doutes à votre sujet.

- Il n'est pas question de te recruter. Tu conserveras tes quartiers de nouvelle arrivante et tu ne viendras ici que pour t'entraîner. Tu fréquenteras qui tu voudras comme tu voudras et aucun des Spectres ici ne te forcera la main. Tu as ma parole.

Que pouvait bien valoir cette parole ? Elle s'interrogea. Il lui avait déjà sauvé la vie et son regard la confortait dans la bienveillance qu'elle prêtait à sa présence. Il était plus vieux et plus expérimenté que les autres hellions, Amélia le savait. Une petite voix au fond d'elle-même, peut-être Esath, lui intima d'accepter cette proposition. Quitte à apprendre, autant prendre les conseils des meilleurs.

Elle ne comptait rien se laisser imposer, plus jamais. "J'accepte" dit-elle simplement pour conclure leur échange.