Hellions : partie 2

Chapitre 8 - #3

Quand le contact se fit, enfin, entre la chair et le mucus, Amélia se sentit aspirée dans un tourbillonnement indescriptible. Comme sortie à son propre corps, elle eut la sensation d'être arrachée à la réalité ou tomber dans un flot sans commune mesure. Perdant tout contrôle et toute notion de l'instant présent, de la physique ou de la logique, elle se contenta de dériver alors dans le néant distordu que se trouvait être l'intérieur psychique de cet organe à part entière. Ses yeux, pour autant qu'elle ait pu les appeler ainsi, ne voyait plus au départ qu'un capharnaüm de teintes sombres et orangées s'entremêlant dans un ballet des plus déplaisants. Les unes mangeant les autres alors que leurs sœurs éclataient dans un raffut que ce qu'elle pouvait appeler oreilles consentirent à retranscrire en une mélodie macabre de sons gutturaux.

Le Temps tel qu'entendu n'avait plus cours au milieu de ce déchainement de passions, de tâches et de matières. La métaphore, seule, permettait à sa psyché d'appréhender ce qu'elle contemplait. Les sons parvenant à elle ressemblaient au départ au bruit désagréable que produirait des pas sur un sol trempé ou à l'éclater d'une poche de liquide contenu dans une file pellicule malléable. Son corps avait disparu. Elle n'était plus qu'elle, sa projection ou tout du moins ce qu'elle pensait l'être. Elle tenta de voir ses mains mais en fut incapable. Elle n'était que conscience, émotion, sentiment. Les distorsions prismatiques issues de l'écrasement des couleurs vaporisées au-devant d'elle finirent par se briser en un point précis. Un point d'une blancheur extrême qu'elle s'empressa de toucher autant qu'elle eut la sensation de le pouvoir.

Il était totalement invraisemblable qu'elle ait eu conscience d'avoir tendu un membre vers cette fissure nacrée tandis que, dans le même temps, ces lieux avaient nié son droit à posséder une enveloppe charnelle. Pouvait-on seulement parlé d'endroit au sens propre du terme ? Quoi qu'il en était, elle traversa le voile de cette faille blanchâtre et fut alors envahie par une sensation régénératrice. Dans des sons fracassants, des cris stridents et des beuglements inhumains elle passa la faille. Amélia se retrouva alors dans un lieu entièrement blanc, sa lumière aveuglante se dissipa peu à peu pour ne laisser transparaître que des bords cubiques aux teintes argentés luisant dans un océan d'une pâleur à rendre fou. Pourtant, elle se sentit bien en cet endroit précis. Dans ce cube. Du sol de ce dernier émergea une forme noirâtre zébrés de rainures aux teintes du lieu. Elle connaissait cette forme : Esath.

Lorsqu'elle se rendit compte de l'existence dans sa jumelle dans un endroit aussi étrange, elle ne put réprimer un soupire de soulagement. Son corps revint alors. Elle retrouva le droit de voir ses mains, de toucher sa peau, de se sentir elle-même. Bien que totalement nue, tout comme son alter-ego, elle ne se soucia guère d'un tel détail et approcha de cette dernière au milieu de cette salle rayonnante où malheureusement des tâches noirâtres commençaient à apparaître sporadiquement. D'une pensée commune, d'un seul mouvement, elles se serrèrent l'une contre l'autre à la manière de deux soeurs qui ne s'étaient pas vues depuis des année. Où peut-être était-ce plus profond encore ?

- Où sommes-nous ? Balbutia Amélia faisant vibrer ses lèvres artificielles perdues dans cet océan de pensées.

- Là où ils pensent. Là où ils naissent. Je n'en ai jamais entendu parler avant... pourtant ils sont là, tout autour de nous. Ils sont à la fois si proches mais si différents. Répondit Esath avec un air enjoué ses yeux luisant d'une aura nacrée bienveillante.

- Qui ? De qui parles-tu ?

- Des skryns, Amélia. Je les ai entendu dès que nous avons été proche de leur muqueuse. Cette substance n'est pas qu'un produit infâme de leur conception. C'est un organisme. Ils sont tous ici, réunis. Ils sont passés, présents et futurs. Ils sont uns. Existants et absents. Absolus et intemporels.