Chapitre 8 - #17

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Le pas assuré, Amélia avançait à travers les dédales muqueux de la ruche. L'atmosphère oppressante qu'elle y avait ressenti lors de sa première entrée avec Seth s'était peu à peu muée en une confortable présence presque câline. Elle avait eu des remords à abandonner son camarade à son destin mais avait fini par se résoudre à l'idée qu'il survivrait. Esath avait été l'instrument parfait de sa sauvegarde et s'était assurée de le sortir d'affaire avant qu'elles ne gagnent les profondeurs du noyau. Pourquoi avait-elle choisi cette voie ? Un conflit interne l'avait opposé à sa jumelle jusqu'au dernier instant, jusqu'à ce que Seth soit en sûreté. Mais en dernier lieu c'était la curiosité et l'espoir qui avaient primé sur le reste.

Le besoin d'en savoir plus sur ce que nul autre ne pourrait lui expliquer. Le désir inassouvi de connaissances, loin de la merveilleuse destiné qu'on lui prêtait. Elle avait choisi de s'approcher de ce Nueh qu'elle avait voulu si ardemment débusquer durant tout ce temps. Lui, et lui seul, possédait sans doute les réponses évidentes à ses questions les plus déroutantes sur les skryns, sur l'Humanité, sur ce qui animait désormais son corps. L'espoir, alors, s'était greffé à ses pensées. Le besoin de croire à une paix, ou à une victoire équitable. Il y avait en sa dangereuse proposition des éventualités qui avait fini par la séduire.

C'est ainsi que, guidée par la ferme intention de confronter celui autour de qui s'était cristallisé toutes les théories de Kain, elle s'engouffrait dans des couloirs exiguës avec la conviction de ne jamais avoir à confronter une seule créature. Comme mue d'un esprit propre, la ruche elle-même se recombinait parfois à sa passage, des murs s'ouvrant d'eux même et des ponts se créant au-dessus de précipices supposés. L'interchangeabilité de chaque morceau des lieux donnaient à la géométrie complexe et organique des skryns une véritable capacité de mutation. La Ruche n'était pas uniquement faite de segments éparpillés et centralisés mais pouvait se recombiner à volonté. Le fait que leur groupe ne se perde jamais était, ainsi, dû à la volonté de l'endroit.

Pouvait-on, encore, parler de volonté ? Le Grand Tout avait laissé une trace indélébile dans son esprit et l'Arche l'avait quasiment traumatisé. Cet amalgame de pensées et de consciences la hantait presque tant elle ne parvenait toujours pas à se figurer ce qu'elle y avait vu ou entendu. Esath avait eu beau se concentrer elle n'était parvenu qu'à extraire des bribes du savoir qui s'y trouvait, suffisamment pour la guider jusqu'à ce qui semblait être "le noyau". La corde vibrante d'une ruche, un petit réacteur si l'on pouvait appliquer des paramètres technologiques à un tout aussi biologique. La construction purement insectoïde de l'organe skryn la fascinait. Elle n'aurait jamais pensé retrouvé autant de mécanisme purement animal, propre à la Terre, chez des êtres venus de si loin à travers le cosmos.

- Est-ce que tu es certaine de ton choix ? L'interrogea Esath dont le plein consentement n'avait pas été donné pour suivre cette voie périlleuse.

- Je ne vois pas d'autre moyen plus rapide pour arriver à trouver mes réponses. Rétorqua l'autre, conservant ses lèvres closes de peur que l'environnement ne puisse l'entendre.

- Nueh a forcément une idée derrière la tête. Je sais que j'exhorte souvent tes pensées les plus transverses et les moins raisonnées. Ceci dit, la perspective de marcher dans ses petites combines ne me plaît pas tant que ça.

- Je ne compte pas marcher dans ses plans, Esath. Je sais que tu as toujours tout fait pour me pousser à agir et tu as souvent eu raison de le faire. A ton contact, j'ai appris de nouveaux schémas de pensées et je les applique désormais à ma propre survie.

Tout en maintenant son allure, elle parvenait désormais à visualiser mentalement sa discussion avec sa jumelle. Son esprit et son corps gagnaient en endurance de façon spectaculaire. Bientôt, sans doute, pourrait-elle même passer d'un état à un autre en pleine bataille ? Elle se sentait galvaniser depuis la dernière confrontation d'Esath avec les skryns. Si elle n'y avait pas vraiment participé, chacun de ses mouvements, chacun de ses gestes étaient désormais inscrits en elle. Amélia avait, depuis lors, la sensation d'être en mesure de les reproduire. C'était à la fois grisant et déroutant, comme lors de ces rêves qui vous laissent une étrange sensation d'accomplissement au réveil.

- Tu crois que les solutions sur la destruction de Shion et tout le reste sont dans les mains de cette créature ? C'est ça, qui te motive ?

- Ca, et la perspective éventuelle qu'il puisse m'ouvrir de nouveaux horizons. Je ne pourrai pas t'expliquer même si je le tentais... j'ai besoin d'aller le voir. Je crois que c'est résolument la meilleure chose à faire. C'est comme un instinct.

- La pensée se fabrique et s'altère. Rétorqua Esath, emprunte de troubles.

- Je te demande de me faire confiance... s'il te plaît. Je t'ai laissé le contrôle sur mon corps que tu désirais depuis si longtemps. Maintenant, je t'en prie, accepte de me laisser prendre une initiative.

En réalité, et elle ne s'en apercevait que maintenant, elle n'avait jamais vraiment tenté d'influer sur son destin depuis son éveil d'hellion. Elle n'avait fait que subir, encore et encore. Ce n'était pas à cela qu'elle se destinait.

- Tu touches juste, reprit l'autre, je vais choisir de croire alors. Tu as assez vu de mes méthodes et de mes pensées pour que l'on arrive à se tempérer l'une l'autre.

Alors que la présence d'Esath se dissipait de son esprit Amélia vit un pan de mur s'ouvrir par une distorsion conique et entra dans ce qui était vraisemblablement le noyau. Elle ne sut si la première émotion qui lui vint fut l'émerveillement ou le dégoût absolu. La chambre n'était pas si grande à première vue, ses parois noires brillaient de mille feux, illuminés par d'étranges lucioles orangées et ocres. Certaines s'agglutinaient en petits amas formant presque des cristaux luminescent quand d'autres voletaient en sifflant une musique douce que seule une oreille d'hellion pouvait ouïr. Ces essaims, inoffensifs, allaient et venaient sans discontinuer, certains tourbillonnant autour d'elle avant de retourner dans les hauteurs.

Au cœur du noyau s'élevait depuis les entrailles arbres couleur encre dont l'écorce était faite de chair et les feuilles de sang. Celui-ci vibrait à la façon d'un organe et suppurait comme une plaie béante en une douce charogne exquise que l'on aurait voulu tout à la fois brûler et admirer. Vision cauchemardesque de quelque peintre torturé, ses racines s'élançaient loin sous terre alors que ses branches s'élevaient en tous sens jusqu'au plafond, nourrissant ce qu'elles avaient contribué à créer. Au centre de ce chêne vibrant et gloutonnant, encastré en son sein et protégé par une fine pellicule translucide, Amélia reconnut ce qu'elle avait autrefois vu dans les mains du Nueh. Trois roches flottaient harmonieusement, leurs lumières atténuées et dévorées par l'entité à laquelle elles avaient été livré.

Des cellules nucléaires, sous leur forme la plus pure et dénuée de sphère de confinement. Des particules radioactives instables condensées en un lieu où leurs émanations délétères étaient amplifiées puis transmutées. Amélia fit le tour de l'objet de fascination qui se trouvait désormais face à elle. Au centre de l'horreur qu'elle avait tant souhaité détruire elle découvrait une beauté qu'elle n'aurait pas soupçonné. Un affriolant mélange de carnage et de cadavres au service d'un organisme vivant abritant ce que l'Humanité avait jamais rencontré de pire. L'univers était-il donc si contradictoire ? Absorbée, elle n'entendit que quelques instants plus tard la quinte de toux censée la faire pivoter.

Lorsqu'elle le fit, elle découvrit une silhouette humanoïde presque immobile. Celle-ci, à mi-chemin entre l'homme et la bête, était totalement recouverte de mucus mais disposait encore d'un visage partiellement humain. A ses côtés, couché, se tenait un skryn dont la teinte orangée avait laissé place à un bel azuré qui rendait son existence presque appréciable. Amélia prit une poignée de seconde pour reconnaître le visage lacéré et digéré par les fluides abominables.

- Daemon... ? Demanda-t-elle alors.

Hellions : partie 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant