Hellions : partie 2

Chapitre 7 - #22

Amélia s'était ainsi retrouvée toute bête fixant Ren avec une appréhension toute particulière. Elle ignorait pourquoi mais Esath s'était à son tour tût lorsqu'il avait précisé que même les skryns fuyaient. Si son esprit brûlait de désir de poser mille questions au sujet de cet homme étrange et pour le moins effrayant, la décence la força à se prémunir de tout questionnement supplémentaire. Le visage du roux était devenu mortifère et son air sévère avait trahi toute l'importance qu'il donnait aux informations qui lui avait transmise. Ressentant une pression particulière, la jeune femme calma ses pulsions les plus envahissantes et se concentra à nouveau. Elle eut un regard affectueux à son égard et hocha la tête.

- Même si je comprends tes mises en garde... tu dois savoir que j'irai un jour me renseigner sur lui. Je pense tenir le bon bout lorsque j'affirme qu'il détient des secrets dont j'aimerai percer les mystères. Elle lui fit signe de ne pas répondre. Mais il est vrai qu'Esath joue énormément sur mes émotions, aussi, je ne me renseignerai pas avant que notre travail ici soit terminé. Je dois trouver Ith et le convaincre de ne pas nous renvoyer. S'il n'y a rien de plus, je te laisse.

Elle pivota et prit le chemin de la sortie sans qu'il ne tente de l'arrêter. Un tourbillon de questions vrillait son esprit mais elle contint celui-ci. Lorsqu'elle souleva la trappe et disparue, Ren émit un bref soupire. Son regard s'étendit vers l'horizon flamboyant et il n'eut pour autre réflexe que grogner de façon audible. Que pouvait-il bien faire de plus ? Il en avait déjà suffisamment dit au sujet du Corbeau et avait probablement poussé Amélia à vouloir en découvrir davantage. Il se souvenait parfaitement de ce qu'il s'était juré de faire quand, jonché sur son tas de cadavre, son capitaine lui avait signifié son intérêt pour Amélia. Ce n'était que maintenant, à la lueur des feux du couchant sur une cité en ruines, qu'il comprenait parfaitement à quoi avait joué son macabre supérieur.

- Le plan était parfait. Lança-t-il à haute voix. C'était finement calculé et dire que j'ai marché dans la combine en croyant être capable d'endiguer la marche des choses... Il eut un rire et passa une main sur son visage. Quel sombre imbécile je fais... ceci dit, je ne suis pas le seul à m'être fait avoir. Pas vrai, Allen ?

Il abaissa le regard et tourna légèrement de côté. Les pieds dans le vide et les bras tombant, le lieutenant des Fantômes observait le vide qui le séparait du sol avec un certain désespoir.

- Elle n'a pas remarqué ma présence... prise dans son émotion, son esprit a été facile à duper. Elle est encore... fragile. Répondit-il en faisant rouler un caillou entre ses doigts.

Ren avait été tout aussi étonné que lui. Amélia était arrivée pile au milieu de leur discussion, fort heureusement, son état émotionnel avancé et les réflexes d'Allen quant à la manipulation de l'esprit ont largement aidé à le faire disparaître à ses yeux.

- Maintenant que j'ai vu dans quel état elle se trouvait, maintenant que je lui ai donné ces informations, il n'y a plus de retour en arrière. Lança le roux en prenant le temps de s'asseoir à côté de son homologue.

- Quand il m'a dit ce qui allait se passer quand je l'ai croisé près de l'avatar détruit je n'y ai pas cru. Pourtant, ça s'est produit. Il me l'a dit pour que je n'intervienne pas... et j'ai accepté. Allen jura. Je ne me ferai jamais à ses méthodes. Bientôt six ans que je le pratique et je suis toujours incapable de lire dans son jeu pervers.

- Que devrai-je dire après cinq années passées à son service, hm ? Nous sommes tous les deux surclassés. Même si je parviens à mettre en place les pièces du puzzle je suis dans l'incapacité d'agir. Car si je le faisais elle irait immédiatement dans ses bras ; ce que je refuse de voir se produire.

- Quant à moi, intervenir en ta faveur compromettrait mon intégrité. Je serai mis au banc de mon propre groupe tout en étant fondamentalement incapable d'empêcher Amélia et le Corbeau de se rencontrer.

Ils échangèrent un regard embarrassé. Chacun d'eux avait œuvré pour que le début de la formation d'Amélia se passe dans les meilleures conditions et pour qu'elle ait à cœur de suivre la voie des Fantômes, qu'elle se tienne loin du Corbeau. C'était leur premier cheval de bataille commun et sans avoir mis les pieds au Centre, il était parvenu à leur passé devant. Ren en était convaincu, il avait parié sur le fait que les résonnants suivaient tous le même schéma et il avait visiblement eu raison. Tout avait été murement réfléchi.

L'absence de réaction des Spectres pour obtenir Amélia. L'entraînement de Seth et Dante. Son rapprochement avec elle. L'intervention à Noth. Le commando impossible à repérer. Enfin, le coup de grâce, l'apparition à Sélène dont il aurait largement pu se passer. Il avait tout mis en place pour qu'elle soit consciente de son existence, qu'elle se questionne sans qu'il n'ait à venir à elle. Un jeu de manipulation dont Allen et lui avait été les idiots utiles.

- Penses-tu qu'il avait anticipé l'attaque surprise du groupe de Daemon ? Demanda Ren, soucieux de savoir dans quelle affreuse combine s'était glissée son capitaine.

- Non, en aucun cas. Quand il est venu me trouver il m'avait dit que deux recrues croiseraient un groupe de soldat d'élite et qu'ils seraient attaqués. Je pense qu'il parlait de l'escouade qu'ils ont trouvé dans les souterrains mais je ne le crois mêlé à aucun moment à la tragédie qui a frappé les Fantômes. Répondit honnêtement l'autre.

- Tu confirmes bien ce que je me figurais. Au pire des cas, donc, il a orienté cette bande d'imbéciles dans les souterrains. Ils étaient donc distincts de ceux qui ont attaqué votre détachement... de fait, donc, nous avons bien un ennemi interne.

- Si tu le savais pourquoi me l'avoir demandé ?

- Je crois... je crois que j'aurai préféré qu'il soit notre traître. Ren prit sa tête entre ses mains. J'aurai sans aimé pouvoir me dire qu'il est véritablement un monstre... J'aurai aimé avoir une bonne raison de m'en prendre à lui. Mais comme d'habitude, c'est plus compliqué que ça en à l'air.

- J'admets que l'hypothèse était tentante mais tout semble indiqué que non. Allen reprit du poil de la bête et replia l'une de ses jambes posant sa tête sur son genou. Où est-il maintenant ? Si Amélia reste, risque-t-elle de le croiser ?

- Il a simplement dit qu'il partait s'assurer que "les responsables", selon ses termes, soient punis pour leurs pêchers. Ren haussa les épaules. En toute logique, il est parti à la recherche du camp de nos fameux attaquants mystères.

- J'aurai presque de la peine pour eux. Il y a des façons plus douce de mourir. Et pour mon autre question ? Il insista.

- De toi à moi, maintenant que j'ai mieux compris ses intentions, je ne pense pas qu'il ira à elle. Il pinça son menton. Je dirai même qu'il va se tenir à l'écart d'Amélia jusqu'à ce qu'elle force une rencontre. Il aurait bien des intérêts à le faire à commencé par lui donner l'impression qu'elle peut avoir un quelconque effet de surprise sur lui.

- Si elle se jette dans ses rets... les choses pourraient très largement se compliquer. Je ne tiens pas à avoir un second Corbeau dans les pattes. Personne n'est prêt à ça. Je ne sais pas si Kain lui-même réalise.

- Il a beau nous soutenir que ses intentions sont louables, je l'ai vu œuvré à de multiples reprises pour s'approprier des objets, des lieux et même des personnes. Il n'a jamais rien fait qui aille dans l'intérêt contraire du Centre, du moins à ma connaissance. J'ai autant appris à ses côtés que je n'ai eu de raisons de le détester.

- Alors nous n'avons plus qu'à tout faire pour retarder leur confrontation. C'est tout ce qu'il nous reste. Conclut-il d'un ton résigné.

Allen et Ren ne se regardèrent pas, ils ne se fixèrent pas. Ils se contentèrent de rester là, dans les hauteurs détruites d'un vieil entrepôt. Leurs yeux fixant un soleil rouge aux couleurs des évènements passés et à venir. Comme chacun d'eux l'avait suspecté en son temps, Amélia se révélait être une source d'espoir comme de danger. Ils avaient servis, consciemment ou non, les plans du Corbeau. L'un en appliquant ses ordres. L'autre en voulant les anticiper. Désormais, elle avait été mise sur la voie inéluctable qu'il avait dessiné à son attention.

Un chemin glacé de larmes et de sang au bout duquel elle le trouverait, Lui.