Chapitre 6 - #16

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La discussion terminée et la décision prise, Sélène s'était rapidement échappée et avait quitté la salle. Amélia s'en était retournée auprès de Ren laissant les deux garçons seuls avec leur conscience. D'un geste de la main Seth fit signe à son pair de le suivre. Une fois à l'extérieur, ils stagnèrent dans le couloir à s'observer, leurs regards se fuyant avant de se retrouver. Lentement, ils se dévisageaient, se jaugeaient. L'un comme l'autre était sorti amer de la discussion avec le groupe et même si l'un, plus que son compère, avait obtenu ce qu'il désirait ... il n'en était pas moins attristé. C'est pourtant lui qui prit la parole en premier lieu, esquissant quelques mots d'une voix peu assurée.

- Je crois que notre choix était le bon. C'était le plus sécurisant. Tempéra Seth, arrachant un soupire à son ami.

- Peut-être, ou peut-être pas. Chaque argument se valait et je pense que la ferveur de Sélène a beaucoup joué dans la décision. Quelque part... les Spectres nous ont été décrit comme infréquentable depuis le début. Cette conception pré-conçue a sûrement joué. Je ne me remettrai pas tout ça en cause ceci dit.

- Je te sens tout de même touché, camarade.

- Qui ne le serait pas ? Au final, ce choix binaire nous met face à un dilemme impossible. Peu importe la décision, il y aurait eu des mécontents et des ennuyés par la situation. Nous n'avons plus qu'à assumer notre choix.

- Sans doute. Je n'ai plus qu'à rapporter tout cela à Kain ... je suppose que nous aurons bientôt plus de précisions sur l'attaque en elle-même. Merci d'avoir accepté de participer à ce débat. Conclut Seth, esquissant l'envie de s'éloigner avant que Dante ne le coupe dans son élan d'un ton plus sérieux.

- Crois-tu sincèrement que nous y retournons pour les bonnes raisons ... ? Demanda-t-il, glacial.

- De quoi veux-tu parler ?

- Cette ville, Noth. Nous avons déjà échoué à la défendre une fois... si on en croit les derniers rapports de Jaëger, elle sert désormais de ruche pour les Skryns. Nous sommes des Hellions mais quand bien même ... je me demande si nous n'aurions pas mieux fait de songer à d'autres types d'attaques plutôt qu'à un assaut frontal.

- Tu crois qu'on envoie mourir pour des raisons plus obscures ?

- Je suppute, rien de plus. La simple pensée de me faire manipuler est suffisamment douloureuse pour me forcer à garder l'oeil ouvert sur tout ce qu'il se trame. Depuis que nous sommes ici, s'il y a bien une constante, c'est que l'on ne nous dit pas tout.

Seth pouvait bien lui reconnaître son esprit vif, Dante le savait. Mais au-delà de soulever des questions existentielles, il s'interrogeait véritablement sur l'intérêt d'un assaut massif sur Noth. N'aurait-il pas mieux fallu utiliser d'autres moyens pour forcer les skryns à bouger ? Au fond, il ne s'agissait que d'animaux, certes organisés, mais d'animaux. Si on était capable de créer des surhommes pourquoi ne pourrait-on pas attirer un millier de créatures à terrain découvert ? Quelque chose clochait dans le plan d'action. Que personne n'est jamais envisagé la probabilité de voir une cité tomber aux mains des skryns lui paraissait invraisemblable.

Ces questions en soulevaient de nouvelles : pourquoi avait-il conçu des ruches au niveau des deux villes prises et pas ailleurs ? Aucun rapport n'a jamais stipulé cette volonté d'établissements dans les cités et citadelles qui se dressaient autrefois par delà le mur. Alors pourquoi le faire à Shion puis à Noth ? Dante ne les croyait pas capable d'agir par volonté territoriale ni par conscience d'un état de siège. S'ils n'avaient pas de consciences mais bien un instinct de masse alors qu'est-ce qui pouvait pousser les monstres à concevoir des simili-terriers là où l'Humain moderne vivait ? Il y avait encore des inconnues et il était convaincu que Kain possédait une partie des réponses. Sans doute les envoyait-on sur place pour faire des découvertes.

- Oh, tu m'écoutes ? Gronda Seth, tirant Dante de ses songes. Il lui adressa un rire et soupire.

- Désolé, j'étais perdu en suppositions...

- Je te disais juste que peu importait la finalité maintenant nous pouvons nous en sortir. Les skryns ne me font plus peur et ce n'est pas toi avec tes ... dons spéciaux qui va me dire l'inverse. Je vais voir Kain. Lui avait lancé son confrère avant de disposer.

Pourquoi avait-il senti une pointe d'amertume, si ce n'est de jalousie, dans sa dernière phrase ? Dante c'était lui-même surpris en développant la maîtrise de pouvoirs inédits, il ne les contrôlait d'ailleurs pas bien et esquissait sûrement à peine leur plein potentiel. Après seulement quelques heures de réveil, il avait éveillé cette force qu'il parfaisait de son mieux depuis. Seth s'entraînait d'arrache-pied sans parvenir à débloquer la moindre capacité, il le savait. Le jeune homme était très au fait de la disparité sociale qui affectait les Cores et les Mysths. Il souhaitait fermement que son frère d'armes se découvre du potentiel avant que son délai ne soit écoulé. Il ne méritait pas d'être mis à l'écart et relégué en tant qu'armes pour l'armée régulière. Il avait trop donné et trop souffert. Au fond de lui, Dante sentait qu'il avait besoin de cette présence. Techniquement supérieur à Seth, il avait cependant besoin de sa présence, allez savoir pourquoi.

Toujours accolé au mur, Dante jeta un oeil en direction du bout du couloir où il se trouvait croyant y avoir entendu quelque chose ou quelqu'un. Il put apercevoir Road, mains dans le dos. Elle le fixait avec un sourire et il sut qu'elle l'attendait. D'un pas lent mais enjoué, il se dirigea dans la direction de celle-ci. Son visage était passé du morose au gai à la seule observation de cette jeune fille pleine de vie. Ses airs espiègles, ses grosses lunettes disproportionnées fixées au-dessus de la tête, ses cheveux noirs avec leur mèche rouge. Il y avait chez cette Spectre une étrange douceur fascinante, depuis leur mésaventure avec Allen, ils avaient passé beaucoup de temps ensemble. Dante avait appris à lui faire confiance en dépit des actes de ses pairs ou de sa faction de rattachement.

- Tu as l'air bien morose. Lui lança-t-elle tandis qu'il s'approchait.

- Nous avons pris une décision et ... je me rends compte à l'instant qu'elle risque de ne pas vraiment te plaire. Ils ont choisi d'être aux côtés des Fantômes pour l'assaut. Désolé. Dit-il, haussant les épaules.

- T'en fais pas, c'est trois fois rien. Je suis l'une des seules de mon groupe en bon terme avec eux cela ne m'ennuie pas. Je pense même que c'est plus simple de commencer par là. Répondit-elle.

- Pourquoi cela ?

- Parce qu'il vaut mieux avoir l'illusion que tout ira bien ... et se complaire dans une situation stable avant de se rendre compte que tout n'est pas si simple. La prise de conscience est plus facile à faire.

- C'est un raisonnement presque diabolique, tu le sais, ça ? Dante eut un sourire à son endroit, elle hocha positivement la tête.

- Je n'ai jamais prétendu être une fille sage, ni une fille altruiste, encore moins une fille honnête. Souviens-toi de notre première rencontre.

- Tu veux dire la fois où tu as pénétré je ne sais comment dans ma chambre, où tu as passé un moment sur moi avant de me noyer dans plus de mystères encore ? Je n'ai jamais compris pourquoi tu avais fait ça... peut-être pourrais-tu m'en dire plus maintenant ?

Road posa doucement sa main sur son torse, Dante sentit chacune des vibrations qui secouèrent alors sa peau puis ses sens. Leurs chairs, recouvertes par de faux vêtements fruits des mutations du venom, entraient dans une étrange résonance. Il n'y avait pas de façon de décrire cela, il s'abandonna à cette petite onde de chaleur qui le traversa semblable à celle qu'il aurait ressenti si elle avait appuyé sa paume sur sa peau à nue. Elle s'approcha lentement et se mit sur la pointe de ses pieds pour approcher son visage au niveau du sien. L'espace d'un instant, il ne sut pas vraiment quoi faire, confus.

Une forme d'oppression l'étreignit mais pas d'un genre froid et terrifiante, non, c'était différent. Cet instant fugace nimbé d'incompréhensions fit virevolter son esprit et ses sens les plus aiguisés. Il serra les dents, n'osant pas dire un mot ni même bouger. Lorsque les lèvres de Road effleurèrent les siennes, il resta de marbre. Sans lui donner le baiser qu'il attendait, elle dévia enfin vers son oreille pour lui susurrer quelques mots.

- Je t'ai tant attendu...

Ce fut tout.

Hellions : partie 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant