Hellions : partie 2

Chapitre 7 - #4

Ils pénétrèrent dans les lieux avec toute la prudence nécessaire. Chacun d'eux évaluant la situation et cherchant les traces d'une embuscade. Le rez-de-chaussée était constitué d'une vaste salle de réception où les débris laissaient penser que des plantes, canapés et autres fauteuils d'attentes avaient jonché les bords des grandes vitres servant de murs latéraux. Au centre, un ancien desk d'une taille relativement importante trahissait le besoin de filtrer et d'administrer avec minutie les allers et venus au cœur de cette structure charnière. Les barrières à impulsions, défectueuses, étaient en ruines et les hellions purent poursuivre en direction des escaliers sans avoir besoin d'une carte d'accès quelconque.

Combien d'hommes et de femmes validaient leurs badges pour venir travailler ici, autrefois ? Difficile à dire. L'état des lieux pouvait faire penser qu'ils n'avaient été visité depuis des lustres hors la bataille remontait à quelques mois seulement. Le mucus noir des skryns, répandu un peu partout par tâches ou long filets, rongeait vraisemblablement le ciment et le béton pour accélérer sa décomposition. Un processus acide sans doute ou tout autre dislocation chimique destinée à terraformer les lieux pour marquer leur territoire et délimiter les contours de la ruche. Encore intacts, les escaliers trônaient à l'arrière-droite du bâtiment et c'est sans encombre qu'ils débutèrent leur ascension.

Fusil en main, Amélia suivait de près le capitaine de l'escouade et demeurait alerte. Combattre en terrain découvert c'était révélé facile mais il ne fallait pas être un génie pour comprendre qu'une bataille au milieu d'une structure prête à s'effondrer ne serait pas aussi aisée à remporter. Ses sens aiguisés lui conféraient désormais une ouïe extraordinaire et elle pouvait entendre le craquement de la plus petite fissure des murs alentours. L'escalier menant au premier étage était immense et le couloir qui l'abritait souffrait de multiples éventrations d'où pourrait surgir des monstres. A terre, des ossements noircis étaient éparpillés. Si elle prenait grand soin de les éviter, Ith n'avait aucun scrupule à les fouler voir à les briser au cours de son ascension.

La vie humaine comptait-elle encore pour lui ? Et pour eux ? La sensation d'être un hellion était grisante et elle avait rapidement oublié des concepts aussi simple que la fragilité, la fatigue et en un sens, la peur. Affublés de caractéristiques qui reléguaient la fiction au rang de banalité, ils n'étaient plus vraiment humains. Si elle conservait un certain attachement au genre humain pour le moment qu'en était-il de ceux qui combattaient ainsi depuis des années ? Ith était, en un sens, l'incarnation de ce qu'un vieux hellion était destiné à devenir. Une projection étrange de l'avenir qu'elle avait choisi. Une carapace de solitude forgé dans le sang des camarades perdus et des missions remportées. Une absence de compassion pour ceux qu'il avait juré de protéger. Était-ce cela ? En apparence sans doute.

Arrivés au premier étage, ils constatèrent sans mal que la majorité des salles s'étaient écroulées ou avaient été éventré. Les larges open spaces n'étaient plus qu'un monceau de verres, de poussières et d'ossements. Le couloir central était obstrué par une roche épaisse et seul l'escalier semblait poursuivre son ascension vers la gauche sans encombre. Ith fit un rapide signe de la main et porta sa main à son oreille gauche dissimulé par ses cheveux noirs.

- Jäeger. Nous sommes au premier étage, c'est en ruines. Où se trouve le prochain terminal ? J'attends.

Tandis que le capitaine échangeait avec l'IA, Seth et Amélia dépassèrent leur position pour marcher lentement en direction du seul bureau encore accessible. Bien que dissimulé de temps à autre pour des couches de mucus, les restes mutilés et presque dissouts ne laissaient aucun doute sur les circonstances dans lesquels les pauvres bougres avaient été massacré. Aucun d'eux n'osa commenter, ressassant les douloureux souvenirs de Shion. Ils étaient lointains mais encore vifs. Abandonnée à ses réflexions, Amélia en fut tirée par un petit coup d'épaule de son camarade. Au fond de la salle se trouvait une sorte de bureau dont la porte avait été défoncé méthodiquement, une lumière s'échappait de cette dernière. D'un commun accord, ils commencèrent à s'éloigner avant d'être arrêté par la voix tonitruante de Meta.

- Et on peut savoir ce que vous faites, tous les deux ? Restez ici.

- Il y a quelque chose de suspect là-bas, il y a de la lumière. Peut-être y'a-t-il des choses importantes ?

- Il reste encore du courant dans le bâtiment mais je doute que vous puissiez faire quoi que ce soit de tout ça, gronda-t-il consultant Ith qui hocha la tête d'un air distrait. Bon... restez en vue et n'allez pas faire n'importe quoi.

Bien contents d'avoir obtenu la permission, ils amorcèrent leur progression en veillant à ne produire que très peu de bruits. Ils n'eurent aucun mal à déplacer ou à contourner les quelques obstacles qui leur barrait le chemin et furent bientôt à l'entrée de la pièce. Jetant un oeil rapide à l'intérieur, ils s'aperçurent qu'il s'agissait de prime abord d'un bureau assez sommaire. Des casiers, mal rangé, tapissait le mur de gauche tandis qu'un bureau large mais sobrement décoré hébergeait encore un ordinateur en place ainsi que divers babioles sans intérêt. Alors que Seth s'avançait pour décrire un peu plus cet ancien espace de travail, Amélia posa sa main sur les restes de la porte.

Celle-ci avait été défoncé comme en témoignait l'état désastreux dans lequel se trouvait le plastique semi-métallique qui la composait cependant, les gonds présentaient quelque chose de particuliers. En effet, ils n'étaient pas brisés or on se serait attendu à ce qu'une porte forcée de l'extérieur présente des fractures à ces endroits précis notamment quand l'éclatement provenait d'une créature aussi massive qu'un skryn. Si le trou dans le mur correspondait à la corpulence d'une engeance de la sorte quelque chose clochait. La petite voix d'Esath s'insinua doucement en elle comme un murmure libérateur.

"Je suis d'accord avec toi, quelque chose ne va pas" dit-elle, suspicieuse. "Un skryn aurait pulvérisé la porte par le centre et aurait emporté les gonds avec. Là, c'est trop propre... comme si la porte avait été détruite puis qu'on avait maquillé le tout."

- Mais qui aurait pu faire ça ? Et pourquoi ? Interrogea Amélia à haute voix en triturant les gonds intacts de sa main gauche.

- Pardon ? Tu as dit quelque chose ? Demanda Seth, haussant un sourcil. Sa partenaire secoua la tête et quitta ses songes.

- Non, oublie. Tu as trouvé quelque chose ? Elle s'approcha de lui. Il avait déjà pris place derrière le bureau et triturait l'ordinateur.

Au fond de la pièce, les restes d'un siège laissait entendre que l'homme qui avait officié ici n'avait pas connu une fin de vie des plus douces. Une fois arrivée au niveau de son camarade, elle constata qu'il était en train de briser la sécurité de la machine. Une clé d'entrée avait été inséré dans la fente du bureau, celle-ci brillant d'une lueur bleue caractéristique.

- Tu essayes d'accéder aux fichiers ?

- Oui. J'utilise l'une des clés du Centre, elle contient un fragment de Jaëger capable de pulvériser la majorité des mots de passe classique. Ca sert d'avoir comme créateur l'un des cerveaux les plus brillants du siècle. Il gloussa avec amusement, vérifia qu'Ith et Meta étaient toujours en place et revint à l'ordinateur.

Après quelques habiles manipulations de claviers, il fut en mesure d'accéder à la session de l'utilisateur. Ils apprirent ainsi que ce poste appartenait à un certain Mike Cleawer sans en apprendre davantage sur son identité. Ayant enfin accès à ses dossiers, ils furent pris d'un frisson tout à fait singulier lorsqu'ils commencèrent à lire les intitulés de ces derniers.

- Amélia. Tu lis ce que je lis... hein ?

- Je crois bien. Oui, je crois bien. C'est... inespéré.

Les deux compères venaient de mettre la main sur une liste de rapports écrits remis par des IA sur l'état et la sécurité de deux cités. Mais ce n'était pas n'importe lesquelles... il s'agissait des IA de Shion et de Noth.

Alors, ils comprirent. Devant leurs yeux s'étalaient le dernier témoignage fiable expliquant en partie les événements tragiques qui avaient fait basculer leurs vies à jamais...