Hellions : partie 2

Chapitre 6 - #23

En route pour le front, l'aéronef des Fantômes ne tremblait pas, ne bougeait pas. Éclairés par quelques faibles diodes rouges, l'intérieur du véhicule était parcouru par un silence pour le moins glaçant. Les hellions se regardaient pas à peine, ils réfléchissaient. Amélia décortiqua les visages de ses camarades pour tenter de lire leurs émotions mais elle ne vit rien de plus qu'un vide abyssal. De Seth à Allen en passant Sélène ou Ith. Chacun était plongé dans ses pensées. Réfléchissaient-ils à leur avenir ? Se concentraient-ils sur le combat à venir ? C'était encore difficile à dire. Pour tout refuge, Amélia ferma les yeux et s'abandonna avec une facilité déconcertante.

Son esprit quitta le réel, il redescendit dans les profondeurs insondables de son imaginaire et de son être profond. Elle apparut au beau milieu d'une forêt sinistre mais dont les branches mortes commençait à donner quelques nouvelles pousses. Si le ciel obscur de cet endroit hantait ses cauchemars, elle ne s'y sentait plus menacée. Avec un pas vigoureux, elle se rendit au centre de cette antre qu'elle avait déjà suffisamment arpenté. En plein coeur d'une clairière désertique se trouvait un arbre immense.

Son écorce noire suintait d'un liquide visqueux couleur ancre. Ses racines malades serpentaient au sol, contaminant allègrement tout ce qu'elles touchaient. Quelques figures cauchemardesques se lisaient dans les branches torturées de cette aberration et pourtant, Amélia s'y dirigea le coeur léger. Depuis le coeur même de l'entité corrompue émergea celle qu'elle était venue voir. Esath. Qu'était-elle exactement venue chercher en la rencontrant ? Elle l'ignorait elle-même. Elle en avait simplement ressenti le besoin.

- Tu as peur ? L'interrogea sa jumelle, ses yeux blancs étincelant au milieu de ces lieux décrépits.

- Sans doute un peu. Je voulais parler avec toi à vrai dire, je ne sais pas bien de quoi.

- Oh, moi je le sais. Tu te demandes si je n'aurai pas de problèmes à massacrer des skryns. Tu t'inquiètes de savoir si je te laisserai utiliser ton plein potentiel pour tuer ceux de qui je suis issue. Asséna la demi-humaine arrachant un rictus à sa double qui ne put que soupirer.

- Cette question me trottait en tête mais je ne l'avais pas vraiment formalisée...

- Tu ne t'écoutes pas assez et je ne parle pas de moi. Tu es consciente d'être spéciale mais tu as encore trop de mal à te fier à ton instinct.

- Je sais. Mais j'attends une réponse maintenant que la question est posée, Esath.

- Je n'ai rien à faire des skryns, Amélia. Nous pouvons en tuer des centaines que je ne broncherai pas. Je ne me considère pas comme faisant partie de cet étrange amas de créatures si semblables et pourtant si éloignées de moi. Je n'ai qu'un désir : être libre. J'ai appris que je ne le serai que par ton biais et tu le sais.

- Oui...

Amélia s'approcha d'une grande racine et vint s'y asseoir, Esath se rapprocha à son tour et se plaça à son côté comme une soeur bienveillante. Leurs liens s'étaient renforcés ces derniers temps malgré une communication moins présente. Leurs sentiments se développaient réciproquement et de plus en plus vite maintenant. Il était difficile de qualifier la nature de la relation qui l'unissait désormais à cette créature qu'elle avait tour à tour détesté, craint et aimé.

- Je ne sais pas si je suis prête. Balbutia la blonde, bougeant machinalement sa jambe droite.

- Si jamais tu t'écoutes... tu ne le seras jamais. Tu t'es entraînée, tu as souffert, tu as survécu pour cette revanche. Tu retournes là où tu as laissé tant de camarades la dernière fois. C'est une étape importante avant Shion. N'as-tu pas toujours rêvé de reprendre cet endroit ?

- Tu as raison.

- Ceci dit, il vaut mieux que nous soyons sur nos gardes. Les skryns ne seront pas notre principale problème sur place.

- Qu'est-ce que tu veux dire ? Demanda Amélia, intriguée.

- Si tu écoutais ton instinct tu le saurais... j'ai un mauvais pressentiment. Les skryns, les Fantômes, le Nueh... je sens que quelque chose de terrible couve. Tu es une résonnante, nous risquons de devenir une cible de choix. Pour les monstres que nous combattrons mais peut-être, aussi, pour d'autres types d'abominations.

Esath grinça des dents. De ses ongles griffues, elle vint se lacérer le visage laissant quelques sillons blancs dans sa peau immédiatement régénéré. Cette auto-mutilation n'avait pas l'air de la faire souffrir plus que cela.

- Je ressens des choses Amélia, des choses que tu ne peux pas sentir. Mon être tout entier bouillonne à l'approche de cette ville-ruche. Notre sang s'agite et ton trouble vient peut-être de là. D'une certaine façon tu le ressens toi aussi.

- A quoi allons-nous être exposées ? La question est là. Trancha Amélia qui ne put s'empêcher de prendre les mains d'Esath pour la faire cesser. Tu n'as pas besoin de te mutiler...

- Je ne pourrai pas me battre en mon propre nom tant que tu ne céderas pas totalement ton esprit au mien, tu le sais aussi, non ? Si tu souhaites que nous survivons à ce qui arrive tu dois apprendre à me laisser le contrôle de temps en temps.

Amélia hésitait. Ouvrir davantage les pores de son esprit à cette entité était-il vraiment une bonne idée ? Ren avait tout fait pour l'en dissuader. Issue des Skryns, Esath était sans doute sa meilleure arme... mais pouvait-elle être plus ? Leurs sentiments l'insinuaient mais la jeune fille ne savait pas vraiment quoi en penser, il pouvait s'agir d'une autre ruse.

- Je te promets que je ferai appel à toi si la situation l'exige. Répondit-elle à l'autre qui hocha la tête pour toute réponse.

- Soit prudente. Je ne sais pas pourquoi mais je sens que le Nueh en aura après toi. Il était dans nos cauchemars, je crois que cette chose, quoi qu'elle soit, n'aura de cesse de te pourchasser. Alors promets-moi de bien rester en alerte.

- Je serai vigilante, crois-moi. Assura Amélia.

Elle rouvrit alors les yeux et constata que certains regards s'étaient tournés vers elle. Ceux d'Allen et d'Ith notamment. Savaient-ils ce qu'elle venait de faire et dans quel recoin de son âme elle était partie en pèlerinage ? Quelque chose la poussait à penser qu'ils en savaient bien plus qu'ils ne le disaient.

L'engin vibra et tangua soudainement. Ils seraient bientôt arrivés...