Chapitre 7 - #13

143 28 5
                                    

Dans des gargouillements infâmes et quelques soubresauts, Sélène sentit la vie quitter le skryn alors que leurs corps s'élançaient dans une chute de plusieurs dizaines de mètres. Déjà, la vitesse commençait à les faire accélérer. Une fois certaine que le monstre eut rendu l'âme, la jeune femme mit son plan à exécution. Elle retira son trio de griffes planté dans sa jugulaire et les porta dans son ventre. Ainsi agrippé, elle parvint à faire légèrement pivoter la créature et se colla à celle-ci. Placée de cette manière, l'épais corps de mucus encaisserait la majorité du choc dû à l'atterrissage. L'idée de se maintenir dans la chair déjà pourrissante dans la bête ne la ragoûtait pas mais à choisir entre cette sensation abominable et la mort, elle prenait l'inconfort. Puis, il y eut les explosions et les gravats.

Elle lorgna en direction du sommet, malgré la vitesse et la poussière, pour s'apercevoir que l'on venait de pulvériser le toit. L'ensemble du bâtiment s'écroulait sous l'effet de la détonation. Et Dante là-dedans ? Ceux qui avait tenté de les tuer plus tôt possédait encore quelques cartes. Dégringolant de plus en plus rapidement, la jeune femme s'inquiétait davantage sur les raisons de ces attaques que sur son propre sort. Fallait-il qu'elle y voit l'absence d'émotions ? Non. Elle ressentait ces choses : le doute, la peur. Mais un instinct toujours plus profond lui ordonnait de demeurer focalisé sur ce qui était "essentiel" à la suite des événements. Avant qu'elle n'ait atteint le sol, des débris rocailleux vinrent la noyer telle une pluie de scories. Les gravats, chauds, lui arrachèrent des grognements.

Ses yeux, peinant à restés ouvert dans la tourmente, aperçurent les restes de l'immeuble s'effondrer. Un épais manteau de poussières l'enveloppa et l'impact survint. Le corps musculeux du skryn joua à merveille son rôle, celui-ci explosant en partie, ses chairs noirâtres se rependant à terre. Sélène eut le souffle coupé pendant un temps et eut l'impression que ses viscères allaient ressortir par sa bouche. L'arrivée à terre fut, en apparence bien plus facile qu'elle ne l'aurait cru. Elle comprit où se trouvait la subtilité lorsqu'elle tenta de se relever. Son corps entier lui fut alors prit d'une douleur sans précédent qui la força à rester couchée dans la mare de mucus vicié qu'était devenu son adversaire défunt.

Ses douleurs n'étaient pas dû à un membre cassé, elles étaient musculaires et nerveuses. Sélène ne tarda pas à faire le rapprochement : son corps était indestructible mais son cerveau encore initié peinait à gérer l'afflux d'informations. Elle n'avait, sans doute, rien de plus grave que quelques os fissurés ou muscles semi-déchirés mais ses nerfs avaient interprété l'information comme un traumatisme bien plus violent que ce qu'il n'avait été. Prisonnière de ses propres sensations, elle ne retenta pas l'expérience. Faiblement, elle tendit une main en avant et rampa, tel un ver, en dehors de la carcasse pourrissante. Autour d'elle, poussières et débris se côtoyaient en une atmosphère viciée, elle n'y voyait pas à trois mètres.

En dépit de son état lamentable, elle parvint à s'extraire et prit appui sur un gravât de bonne taille pour hisser le haut de son corps. Ses jambes, ballantes, demeuraient inertes. Combien de temps s'écoula entre le moment où elle ferma ses yeux pour réfléchir et celui où les rouvrit ensuite ? Une seconde ? Dix ? Peut-être une bonne minute. Un temps nécessaire à son cerveau pour se remettre de ses émotions. Autour d'elle, le voile de ténèbres se dispersait pour laisser place à un spectacle dont elle se serait bien passée. Émergeant des ombres, des couleurs vives et orangées, se rassemblaient autour d'elle. Comment avait-elle pu les occulter ? Les gloussements et glapissements de ces abominations.

Elle soupira et quand le rideau poussiéreux fut suffisamment levé, elle comprit. Elle se trouvait acculée entre les restes de la structure à son arrière et une bonne quinzaine de créatures répartit en arc de cercle autour d'elle. Un piège redoutable dont, cette fois, elle ne pourrait sans doute pas se tirer. En cet instant fatidique, elle ne put s'empêcher de sourire. Elle n'avait toujours pas peur, elle accueillait son destin à bras ouverts. "Merde" fut le seul mot qu'elle s'arracha. Tirant sur ses dernières forces avec la résignation d'être en présence de ses bourreaux, elle parvint à glisser de l'autre côté du gravât et à se tenir droite sur ses genoux, fière.

Il y eut cette vision d'apocalypse, puis l'instant suivant. Sélène n'aurait su décrire ce qu'elle ressentit alors mais si elle avait dû le figurer elle aurait sans doute parlé d'une brise froide venant cingler son visage. Comme un vent d'hiver balayant une peau bien trop douce. Pourtant, aucun vent ne s'était levé et pas la plus petite émanation n'aurait pu expliquer un courant d'air. Elle fut peu à peu assaillie par un poids qu'elle ne pouvait expliquer. Figée, contemplative, Sélène se surprit à claquer des dents alors que le malaise ambiant prenait de l'ampleur. L'air lui-même était sous l'emprise d'une chose invisible et débordait d'une fragrance caractéristique. Elle sentit la chaleur quitter ses mains et ses pieds, la douleur même qui l'animait fut reléguée au rang de banalité.

De ses yeux ébahis elle contempla les skryns, figés tout autant qu'elle. Ils n'étaient pas à l'origine de cette distorsion prismatique des lois élémentaires. Tout perdait son sens et le recouvrait la seconde suivante dans un capharnaüm de sensations qu'on ne pouvait détailler tant ses applications paraissaient surréalistes. Elle déglutit et entendit un bruit de bottes. Oui, c'était bien le son que provoquait une avancée sur le béton. Elle tourna la tête vers la droite. Arrivant par le haut de l'avenue en ruine, perçant le voile de poussière, une apparition quasi-spectrale avançait à pas pesant dans leur direction. Les monstres retrouvèrent, mollement, un fragment de vigueur et se tournèrent à leur tour vers cette vision impromptue.

La jeune femme sentit son corps se mettre à trembler à mesure que la silhouette se dessinait dans le lointain. La douleur avait peut-être disparu en apparence mais ses muscles refusaient obstinément de bouger, ses pensées ne pouvaient aller plus loin que les trois secondes précédents leur conception. Quelle folie venait encore s'abattre dans sa direction ? La chose marchait, humanoïde. D'abord, elle pensa n'être en mesure de la discerner à cause de la poussière mais elle se rendit compte qu'il n'y en avait plus guère aux alentours. C'était une tout autre explication qui, enfin admise, lui permit de comprendre pourquoi les secondes qui s'écoulaient lui paraissait interminables. Pourquoi elle n'était pas parvenue à détailler parfaitement un individu qui ne se trouvait pas si loin. Pourquoi elle avait focalisé toute son attention sur le son d'une paire de bottes alors qu'elle était encerclée de skryns.

Sélène avait peur.

Elle porta la main à sa mâchoire pour calmer ses tremblements et se concentra pour dessiner, enfin, les contours de ce qui approchait. Il était vêtu de noir, un manteau à l'extrémité basse en lambeaux flottant derrière lui. Ses cheveux mi-longs à la teinte blanche très particulière cachait ses yeux derrière une fine pellicule. Ses bottes foulaient les débris avec aisance, pulvérisant les morceaux les plus fins. Fin et presque androgyne si on ne comptait pas sur une musculature dissimulée par ses atours, il ne portait vraisemblablement aucune arme. Ses mains, glissées négligemment dans les poches latérales de son par-dessus, lui aurait donné une apparence décontractée s'il n'émanait pas de lui une telle aura de terreur.

Elle ne pouvait bouger et resta là, à observer. Elle fut alors témoin d'une chose qu'elle aurait cru impossible, d'une chose relevant d'une fantasque mythologie ou de ces rêves irréels que l'on balaye au réveil. Les skryns. Ces aberrants, ces gluants, ces terrifiants produits de l'espace étaient en train de reculer. Ces bêtes massives qui avaient mis l'Humanité à genoux, qui n'appréhendaient pas le concept de terreur, reculaient. Plus il avançait et plus ils fuyaient. Quand il fut à peine à trois mètres, l'un des skryns trouva un courage dont la jeune femme ne sut faire preuve, il émit un petit glapissement plaintif et les monstres détalèrent en tous sens sans même chercher à combattre. Était-il seulement possible que quelqu'un ou quelque chose soit à ce point effrayant ?

Sélène avait peur.

La jeune fille grinça des dents quand elle le vit debout au-dessus d'elle. Elle plissa les yeux de terreur lorsqu'il posa un genou à terre pour venir à son niveau. Elle sentit ses muscles se raidirent quand dans une douceur phobiquement ambiguë, il vint attraper doucement son menton en approchant son visage du sien. Elle perdit toute volonté quand elle put apercevoir son sourire en coin. Enfin, elle sentit son cœur s'arrêter un instant lorsque ses iris améthystes envahirent son regard.

- Alors... qu'avons-nous là ? Siffla doucement sa voix mélodieuse, serpentine, et en cet instant précis la Réalité elle-même se suspendit.

Hellions : partie 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant