Chapitre 9 - #3

215 43 1
                                    

Figé dans un présent perpétuel, Dante ne parvenait pas à s'expliquer l'étrange sentiment qui retenait son bras. Ses doigts tendus étaient si proche de leur objectif : une poussée aurait suffit à transpercer la peau de Kain et à lui arracher les entrailles sans le moindre ménagement. Pourtant, à mesure qu'il fixait ce visage bouffit de tristesse, les éclats de foudre disparaissaient de son épiderme alors que lui-même s'abandonnait à une contemplation sourde de ce qui était une expression paternelle de regret. Il sentit son bras retomber et se sentit choir, front contre le buste du scientifique qui l'enlaça alors avec bienveillance.

Pourquoi ? Pourquoi sentait-il une chaleur l'envahir alors qu'il aurait dû éprouver une haine profonde pour cet individu ? Lui qui n'avait jamais véritablement éprouvé l'étreinte d'un amour paternel sincère se retrouvait à apprécier, yeux exorbités, cette accolade bien mal venue en pareil instant. Il tenta de formuler quelques mots mais en fut bien incapable. Ses sens percevaient les battements du cœur de celui qu'il avait aspiré à tuer quelques secondes plus tôt. Un rythme chaud, résigné. Il ne reprit totalement le contrôle de ses pensées qu'une fois que Kain l'eut décollé de sa poitrine.

Il n'avait subi aucune manipulation et Kain n'avait usé d'aucun subterfuge pour le faire cesser. C'était lui, et lui seul, qui avait accepté de se faire traiter ainsi. Il avait choisi d'arrêter sa main. La raison lui apparu peu à peu comme une évidence presque irréelle : il était désormais la seule famille que chacun d'eux possédait. Leur seul vrai guide, leur seul vrai espoir. Celui pour qui l'Humanité avait du respect. Celui qui les protégerait des monstres, pas de ceux qui avait détruit leur civilisation mais bien des ineptes qui ne pouvaient s'empêcher de les percevoir comme une menace. Ils avaient besoin de lui, et il avait besoin d'eux.

- Pardonne-moi Dante, murmura Kain à son attention, je vous ai fait vous engager sur une voie périlleuse dont la pérennité semble un peu plus compromise chaque jour. Tous les sacrifice auxquels chacun de vous, chacun de nous, a consenti n'ont jamais eu qu'un seul but. Et je ne te ferai pas l'affront de te dire lequel.

- Pourquoi, professeur ? Pourquoi tous ces mensonges et mystères ? Pourquoi avoir attendu si longtemps que nous venions à vous et que nous percions le voile ?

- Penses-tu que vous auriez été prêt à tout entendre dès le départ ? Penses-tu que vous auriez pris les mêmes décisions et que nous aurions fait les mêmes progrès ?

- En aucun cas, non.

- Alors tu comprends pourquoi j'ai attendu que vous vous manifestiez. Un esprit se forge lui-même et le lavage de cerveaux par implémentation de vérités immédiates ne fait pas partie de ma pédagogie. J'ai foi en vous et je te remercie, à ton tour, de m'avoir laissé la vie sauve.

- D'autres avaient eu la même réaction, j'imagine ? L'interrogea Dante, presque honteux.

- Bien entendu mais comme tu peux le voir, tous ont eu la présence d'esprit de comprendre avant de s'abandonner à la haine. Chacun d'entre vous est un fragment de moi-même et ce Centre est notre refuge commun. Nous avancerons d'un pas décidé vers l'avenir que nous avons tous souhaité créé même si certains ne le verront peut-être jamais.

- Vous avez fait sauvé Amélia par égard pour les Denvers. Pouvez-vous me certifier que vous n'êtes en rien impliqués dans l'attaque de Shion ?

- Je peux te l'assurer. J'ai fait bien des choses dont je ne suis pas fier mais je ne sacrifierai jamais autant d'innocents et ne ferait jamais s'infiltrer des monstres aussi dévastateurs sur notre territoire. Je considère nos cités comme un sanctuaire.

- Je vous crois, répondit-il convaincu tant par les mots que par l'attitude du scientifique. Savez-vous pourquoi le Nueh est apparu ?

- Pas encore, non. J'ai plusieurs théories mais rien qui ne me permette de faire une déduction claire. Je suppute néanmoins qu'il ait le désir de s'approprier un hellion résonnant dans une tentative d'évolution.

- Il veut s'emparer d'Amélia ? La dévorer ? Dante fronça les sourcils, inquiet.

- Peut-être, ce serait encore le plus probable. Dans l'incapacité de s'attaquer au Corbeau, il aura jeté son dévolu sur une proie facile. Mais je tiens à te tranquilliser ce sont des hypothèses et il va falloir que nous retrouvions votre sœur capricieuse avant qu'elle ne cause des dommages irréparables.

- Avez-vous mis quiconque au courant ?

- Tu te doutes bien que non, Dante. Si jamais on venait à apprendre une désertion nos espoirs de la sauver seraient nuls et on m'ordonnerait de l'exécuter au plus vite.

Le monde se révélait toujours plus impitoyable envers les hellions et le jeune homme le savait fort bien pour l'avoir éprouvé dans sa chair. Le bruit d'un bip métallique coupa leur discussion et la silhouette holographique de Jaëger apparut quelques instants plus tard, prenant la peine d'incliner légèrement le buste dans une routine protocolaire que l'IA ne devait pas véritablement comprendre elle-même.

- Professeur. Le Conseil des Immortels demande un entretien immédiat, priorité maximale. Indiqua la voix métallique.

- Une urgence ?

- Tout porte à le croire, les faire attendre serait mal venu compte-tenu de leur impatience.

- Est-ce à propos du rapport d'état que j'ai transmis concernant la bataille de Noth ?

- Non, professeur. Il s'agit d'une affaire plus pressante, ils ont refusé de donner des détails et mes protocoles ne m'autorisent pas à fouiller leur base de données.

- Très bien. Dante, peux-tu nous laisser, je te prie ? Nos chers dirigeants semblent avoir besoin de l'aide du scientifique détraqué qu'ils pensent que je suis.

- Comme vous voudrez mais j'ai encore quelques interrogations, nous poursuivrons après ça, j'espère.

- Bien évidemment. Je suis certain que tu as déjà beaucoup à raconter à tes pairs, allons-y par étape. Kain lui adressa un hochement de tête, remit ses lunettes en place et se dirigea vers le grand siège central entouré d'écran qui lui servait de bureau central.

Dante, de son côté, quitta les lieux sans demander son reste. Il déambula ainsi dans les couloirs du Centre, ressassant ce qu'il avait appris, marchant sans but pour mieux occuper son corps alors que son esprit traçait les lignes de l'histoire qu'il avait vécu sans comprendre. Quand il fut certain d'avoir assemblé les pièces du puzzle, il décida de se rendre à la salle commune où l'attendait sans nul doute Seth et Sélène. Une tasse de thé lui ferait le plus grand bien et l'aiderait à bien leur expliquer ce qu'il pensait être la conclusion de leurs questionnements.

Il s'était gardé de parler à Kain des données récoltées par Seth et toujours en sa possession. S'il était convaincu de la bienveillance de l'homme il avait peut-être pêcher par orgueil et avait finalement décidé que ce serait aux victimes des atrocités de Shion que reviendrait le droit de comprendre ce qui avait mené à la catastrophe. Une décision bien éloignée de sa retenue habituelle mais depuis qu'il avait vu Mave être abattue de sang froid par ceux qu'il était censé protéger, une certaine noirceur avait assombri ses desseins.

Peut-être s'était-il plus rapproché des Spectres qu'il ne l'avait supposé ?

Hellions : partie 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant