Hellions : partie 2

Chapitre 8 - #12

Incrédule, Seth s'approcha le premier et haussa les bras à la manière d'un véritable aliéné. Son visage laissait transparaître son inquiétude et son incompréhension la plus complète vis-à-vis des dernières déclarations de sa camarade.

- Mais qu'est-ce que tu nous chantes ? Tu as perdu la tête ? Déserter les rangs des Hellions pour aller dans une ville morte ? C'est quoi encore que cette idée stupide ? Se plaignait-t-il, sa gestuelle d'ordinaire posée devenant bientôt une concordance improbable.

- C'est tel que je l'ai énoncé, j'ai pris ma décision. Je dois impérativement y retourner... et je ne compte pas attendre des semaines au Centre. Répondit Sélène sans la moindre trace d'hésitation.

- Qu'est-ce qui te pousse à vouloir faire cela ? L'interrogea alors Dante faisant signe à Seth de se mettre en retrait, celui-ci peinant à assimiler le concept de désertion. Notamment venant de l'un des membres de leur petit quatuor.

- Je ne vous ai jamais caché que j'avais pris le parti de m'engager dans l'armée et chez les Hellions avec comme seul but de retrouver ce qu'il s'était passé au laboratoire de Shion il y a presque cinq ans de ça. Elle grinça des dents. Je vous ai déjà raconté ce que j'avais vu, ce que j'avais cru voir mais rien ne paraissait crédible... jusqu'à ce qu'il m'en parle.

- C'est le Corbeau qui t'a foutu ces idées à la con dans la tête ?! Beugla Seth en retournant près d'elle, non sans véhémence. Il n'y a rien de pire que ce que tu t'apprêtes à faire ! Tu ne peux pas abandonner ton corps d'armée et les sacrifices consentis pour ta seule petite personne.

- Et pourtant, reprit-elle d'une voix lente et mesurée, j'en ai bien l'intention. Soyons sérieux, Shion est déjà perdue aux yeux des autorités sa reconquête pourra sans doute être reportée. Les problèmes rencontrées par les Hellions ici vont nécessiter des enquêtes, nous allons rester immobilisés des jours... des semaines, des mois peut-être ? Sélène claqua ses doigts. Ce dont j'ai besoin, ce que je convoite, est enterré sous les décombres de notre cité mais ce témoignage du passé est instable.

- Le Corbeau t'a indiqué l'endroit où tu trouverais ce qui a tué tes parents, c'est ça ? Analysa Dante en posant une main sur son menton. Par déduction, c'est un lieu dans un état précaire et tu crains que le mucus skryn en ville ou un assaut impérial ne détruise ce qu'il en reste c'est bien ça ?

Elle lui répondit d'un mouvement approbateur, il comprenait mieux cet empressement soudain. Alors que Seth se tordait en injure à quelconque divinité factice et sermonnait la jeune femme toujours insensible, Dante tentait d'élaborer à partir de ces éléments. Le Corbeau avait offert à Sélène une information capitale, une chose qu'elle recherchait avec ardeur depuis longtemps. Était-ce un hasard qu'il rencontre la fille de ceux qui avaient péris ce jour-là ? L'avait-il appris pendant la bataille ? Ou peut-être par Kain ? Les hypothèses étaient nombreuses toujours était-il qu'il poussait Sélène à se rendre là-bas sans l'approbation du Centre ou de tout pouvoir impérial.

Dante mordilla son index : qu'est-ce que tout cela pouvait bien signifier ? Il ne voyait pas corrélation suspecte qui aurait relié Sélène au Corbeau. La divulgation de cet élément ressemblait à s'y méprendre à un coup d'échec parfaitement joué mais quel intérêt pouvait-il avoir à ce qu'une jeune gamine vraisemblablement prometteuse décide se rebeller contre ceux qui l'avait forgé ? C'était à n'y rien comprendre. De multiples réponses venaient instinctivement à lui : un piège, un test, une trahison, un complot. Il y avait des inconnus et des variables encore imprécises. La seule façon d'aider Sélène serait sans nul doute de l'accompagner.

Alors que son compagnon poursuivait sa diatribe moralisatrice, Dante éleva le ton à son tour.

- J'irai avec toi. Dit-il sobrement, Seth pivota dans un grognement et Sélène ouvrit grands les yeux.

- Pardon ? Aboya le premier.

- Quoi ? Demanda la seconde.

- Tu n'es pas sérieux j'espère, argua Seth, tu ne vas quand même pas la conforter dans cette idiotie ? Le Centre nous a offert plus qu'à n'importe qui. Nous avons une mission, une tâche ! Nous avons accepté ce sort. Nous allons tourner le dos à l'Humanité toute entière pour... Il se retint de finir.

- Pour les parents morts d'une gamine de dix-neuf ans... ? Termina Sélène, touchée.

- C'est difficile à entendre, je sais. Il se tourna vers elle à nouveau. Mais tu dois comprendre que les enjeux dépassent désormais ta croisade personnelle. Je crois résolument que nous devons abandonner notre individualité vu notre situation.

- Et si je te disais que là où se trouve mes réponses se trouve également la clé pour comprendre ce qui a précipité notre vie dans cet enfer ? L'interrompit Sélène ce qui ne manqua pas de surprendre Dante.

- Cela vient encore du Corbeau ? Demanda-t-il, Seth demeurant médusé par tant de révélations et de prise de décisions hâtives.

- C'est exact... il m'a soufflé que certains savaient déjà, qu'ils connaissaient la vérité et qu'on nous la cachait de peur que notre réaction ne précipite des "conséquences imprévues" a-t-il dit. Je n'ai aucune envie d'attendre sagement qu'on m'annonce comment j'en suis arrivée là d'ici plusieurs années. J'y vais pour ma petite personne Seth, elle le pointa du doigt, mais aussi pour savoir... pour savoir pourquoi tous ces gens sont morts à Shion. Pourquoi nos amis, nos familles, nos coutumes, nos savoirs sont morts. Je veux comprendre et je ne le saurai jamais si j'obéis aux ordres.

- Peut-être mais ça ne justifie pas de déserter... je ne crois pas... Son hésitation était palpable.

- Je n'aurai aucun remord à faire ce que je dis, vous vous en doutez. J'assumerai mes erreurs si je survis à toute cette folie. J'ai conscience qu'on doit retrouver Amélia et les autres mais sachez que je m'en irai dès que j'en aurai la possibilité, je me battrai pour ça. Personne ne me dictera mon destin, je ne crois pas au Destin.

- Nous sommes deux, répondit Dante à son tour, je n'aime pas l'idée que mon existence est paramétrée quelque part et que je ne suis pas libre de mes mouvements, ni de mes décisions. Si nous avons enfin la possibilité de comprendre ce qu'il s'est passé ce jour-là alors nous devons tout faire pour nous assurer de savoir. C'est un devoir de mémoire que nous nous infligerons pour que ceux que nous avons perdu reposent enfin en paix.

- Tu t'y mets toi aussi ? Demanda Seth qui s'était finalement adossé à une paroi sans crainte des conséquences éventuelles de ce geste.

- Je connais ton attachement aux valeurs impériales. Camaraderie, service, abnégation... sacrifice. Mais comme je te l'ai déjà fait remarquer, mon objectif personnel reste la destruction de ceux qui ont causé la fin de notre ville natale. Sélène nous offre la possibilité de savoir ce qu'il s'est vraiment tramé ce jour-là, je ne cracherai pas sur une telle information. Conclut-il, résigné.

- Ceci étant dit, reprit-il, je conçois que cette décision est lourde de conséquences. Au nom de l'amitié qui nous lie, je vous demande de ne pas considérer cette discussion comme close. Retrouvons Amélia et parlons-en, ensemble. Nous avons toujours été plus forts en nous unissant alors il n'est pas question que nous nous scindions encore. Cela te va ?

Ses mots firent mouches, la moue de son pair se décrispa et celui-ci approuva à son tour. Sans en dire plus que de nécessaire, il consentit à faire silence sur ce point tout jusqu'à ce qu'ils remettent la main sur leur amie disparue. Sélène, de son côté, accepta de ne mettre aucune de ses intentions à exécution tant qu'aucune discussion de groupe n'aurait été clairement planifié. Dante se félicitait d'être parvenu à instaurer cette paix relative le temps de leur escapade dans les profondeurs, il remit le trio en marche. Même si la situation était réglée, elle n'était que temporaire. Plus inquiétant encore : il avait la détestable sensation que le Corbeau tirait de sombres ficelles depuis les ombres et vint à lui rapidement cette interrogation : "depuis quand ?".

Il n'eut, cependant, pas le loisir d'y penser car parvint alors à leurs oreilles un hurlement, un cri abominable et déchirant, celui-ci d'une femme...