Chapitre 7 - #6

131 31 0
                                    

La descente frénétique s'était amorcée et pendant quelques instants, Seth perdit ses moyens. Que venait-il de faire au juste ? Dans la pénombre grandissante, il distinguait Amélia de moins en moins bien. Elle la vit rester là, dans le vide, les bras ballants pendant de trop longues minutes. Puis, comme porté par un irrésistible instinct, ou par l'envie primitive de survivre, ils firent le même mouvement quasiment en même temps. Se propulsant contre l'une des parois qu'ils agrippèrent de leurs mains malgré sa surface lisse, ils lancèrent leurs jambes dans l'autre sens pour toucher l'autre versant du gouffre. Forçant sur leurs muscles transfigurés, ils sentirent le métal se contorsionner doucement et prirent consciences qu'ils avaient désormais la force de ralentir sans faire d'autre effort que cette position inconfortable.

La chute mortelle devint un simple aléa d'une mission et, lors des derniers mètres, ils glissèrent le plus simplement du monde. Seth parvint même à se bloquer complètement, attendant qu'Amélia attrape les rebords de la porte déjà ouverte par Ith - on ne sait comment - avant de raccrocher ses mains à son tour pour se hisser à l'intérieur du couloir. Comme prévu, ces sempiternels couloirs souterrains ressemblaient à tous ceux qu'ils avaient déjà vu ailleurs. S'il était une chose que l'on pouvait reprocher aux architectes de l'Empire, c'était bien leur absence totale de créativité ou bien leur acharnement à reproduire les mêmes schémas. Constant bien vite que l'état des lieux était plus que correct, ils avancèrent prudemment à la recherche du capitaine déjà parti devant.

Pour la première fois depuis longtemps, leurs sens ne leur indiquèrent pas le moindre bruit, si ce n'est leurs respirations mutuelles et leurs bruits de pas. Les lieux étaient silencieux. Ce calme leur pesait autant qu'une atmosphère de tension rendait la vie insupportable à un être humain. Eux, qui avaient pris l'habitude de vivre avec des stimuli de toutes sortes n'étaient plus habitués à un tel niveau de sérénité. Ne pas entendre de pas à l'horizon, ne pas sentir de nouvel arrivant, ne pas voir de mouvements subtiles dans les parages leur paraissait anxiogène là où ils l'auraient apprécié autrefois. C'était l'un des nombreux changements qui les avaient affecté depuis leur passage au Centre mais l'heure n'était pas aux contemplations scientifiques.

- J'ignorais que les centres de sécurité disposaient de telles abysses en leurs seins. Pour moi, seuls les départements scientifiques en possédaient. Glissa Amélia cherchant à tous prix à briser ce silence angoissant.

- Il faut croire que nous sommes encore loin du compte concernant les réalités dans lesquelles nous avons jusqu'ici. Répondit Seth gardant les yeux rivés sur les quelques portes, verrouillées, qu'ils croisaient lors de leur avancée.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- N'as-tu jamais songé à faire le bilan de ce que tu savais lorsque tu étais encore... toi ? Avant tout ça, avant Shion ? Réalises-tu que tous les autres vivent dans un monde qui n'est en réalité que la façade doucereuse d'une réalité plus triste ? Kain. Les Hellions. Les Immortels. Les secrets et Horizon. Autant de choses que personne ne soupçonne dans les villes où la vie se déroule normalement. Chacun vaque à ses occupations, se contentant de sa petite liberté et admettant qu'il vit la meilleure vie possible dans un monde mutilé par un conflit perdu il y a plus de cent ans. Seth émit un long soupire. Tout cela donne le vertige.

Le visage que tira son amie lorsqu'il eut fini de lui expliquer son point de vue confirma qu'elle n'avait pas encore pris le temps de réaliser cet état de fait. Qu'y avait-il de mal à ça ? Il y a encore quelques temps, ils étaient promis à une mort certaine. Ils avaient dû s'adapter à de nouveaux paramètres de vie en un temps restreint et plus encore, elle, la résonnante, avait dû apprendre à vivre d'une autre façon. Qu'y avait-il de mal à n'avoir pas pris le temps de tirer ce bilan, amer ? Rien bien entendu. Mais Seth l'avait déjà fait et une seule conclusion s'imposait peu à peu à lui. L'Empire, bâtit pour le bien de l'Humanité, n'était guère fondé sur l'Égalité de tous mais bien sur des secrets. Des mensonges, parfois et des omissions, la plupart du temps.

Dans un tel monde, chacun accomplissait son rôle sans se soucier des autres. Du citoyen modèle au soldat de l'Armée et même jusqu'au hellion le plus talentueux, tous menaient leur quête avec leur vérité pour que la machine puisse continuée à tourner sans que rien ne s'y détraque. Au fond, au coeur de cette mascarade, les rebelles étaient-ils les plus courageux ? Ceux à affronter l'ordre établit ? Il vociféra à voix basse et chassa ces pensées de son esprit. Il était exclu de trouver la moindre qualité à ces terroristes.

Les deux compagnons s'arrêtèrent à un croisement. Deux chemins s'offraient à eux, l'un à droite et l'autre tout droit. Lequel prendre ? Leurs sens les empêchaient de percevoir Ith. Le capitaine était bien évidemment trop expérimenté pour se laisser pister par les skryns, et donc, par des recrues de leur calibre. Il leur avait volontairement laissé le loisir de le retrouver, encore un test grandeur nature ? Amélia émit un profond soupire.

- Était-ce nécessaire de nous causer tant de soucis pour si peu de choses ? Ce qu'ils peuvent être tordus chez les Fantômes.

- Parce que tu penses que les Spectres sont mieux ? L'interrompit Seth, acide.

- Au moins, tuer des quantités pharaoniques de skryns, je sais faire. Trouver une salle dans un sous-sol labyrinthique c'est d'un ennui...

- Nous n'avons même pas de communicateurs avec Jaëger...

Seth s'arrêta sur cette affirmation. Ils n'avaient effectivement rien reçu de tel et ne pouvaient donc pas communiquer avec l'extérieur, à l'inverse des Fantômes. Pourquoi ? Le Centre avait-il une confiance aveugle en ses vétérans ? Était-ce un autre test de leur part ? Ses pensées s'arrêtèrent lorsqu'ils entendirent, furtivement, des bruits de pas émaner du chemin qui se trouvait droit devant eux. Ils étaient lointains, difficilement perceptibles, mais ils étaient là. Un indice ? Un rapide regard échangé suffit à les convaincre et ils se mirent en route tout en veillant à conserver une allure convenable sans se mettre à courir. Les skryns pouvaient sentir les vibrations et bien qu'ils soient vraisemblablement absents, ils n'allaient pas tenter le diable.

Ils poursuivirent en ligne droite pendant cinq bonnes minutes lorsque les bruits de pas, qui s'étaient fait plus proches, s'arrêtèrent brusquement. Pensant qu'Ith avait sans doute trouvé la salle qu'il cherchait, ils accélérèrent pour être témoin de la suite des événements. Le bout du couloir leur apparu enfin, une porte de métal épais était visible dans le lointain. Son encadrement était pourvu de trois petites diodes rouges faiblement luminescentes. Fiers d'avoir relevé le défi, bien aisé, du capitaine, ils n'attendirent pas davantage pour s'en approcher. Hâtifs, ils ne firent pas attention et oublièrent de noter que le couloir se divisait à nouveau juste avant d'accéder à la porte et qu'un chemin partait sur la droite.

A peine s'étaient-ils engagés dans le carrefour que le cliquetis d'armes chargés et des lumières de visés vinrent les éblouir.

- A terre ! Leur hurla-t-on alors qu'ils se cachaient le visage d'une main.

Dans la pénombre, Seth put distinguer quatre silhouettes vêtus de tenus noirs et de casques caractéristiques. Qu'est-ce que les opérations spéciales de l'armée fichaient ici ? Pire encore, pourquoi pointaient-ils leurs armes sur eux ? 

Hellions : partie 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant