Chapitre 8 - #11

141 31 0
                                    

Le groupe avança ainsi dans les ténèbres relatives des cavités skryns pendant un long moment, une descente toujours plus profonde dans les enfers qui parut durer une éternité. Toujours en ligne droite, parfois escarpée et d'autres fois trop large, la grotte qu'ils suivaient apparaissait presque sans fin. Allaient-ils jamais réussir à s'échapper de la ruche ? Aucun carrefour, pas un croisement, ni l'ombre d'une solution. Ils s'étaient contentés d'avancer pendant près de vingt minutes prenant garde à ne jamais trop longer les parois lorsqu'ils le pouvaient et gardant un oeil alerte sur les éventuels mouvements du mucus les entourant. Celui-ci, en dehors de ses sons sordides, ne leur avait jusqu'ici opposé aucune difficulté. Il était même curieux que pas un skryn ne soit venu enrayer leur progression.

L'apparent calme qui régnait tout au long de leur avancée les préoccupait mais jamais suffisamment pour qu'ils n'en parlent directement. Il y avait comme une sorte de malaise qui paralysaient les trois camarades. La dispute de Seth et Dante les avaient un peu éloigné tandis que l'attitude de Sélène, pour le moins étrange, ne les conduisait guère à aller dans sa direction. Ce malaise rajoutait à l'atmosphère oppressante des lieux une insupportable pression. Seraient-ils en mesure de réagir convenablement en cas d'attaque ? Rien n'était moins sûr. Ne parvenant pas à trouver les mots juste pour aborder son compère, Seth le laissa prendre quelques mètres d'avance et ralentit le pas pour se trouver au niveau de Sélène. Cette dernière, petite lampe torche dans la main droite, lui jeta un regard intrigué.

- Comment te sens-tu ? Demanda-t-il d'un air presque distrait comme pour amorcer une discussion des plus banales.

- Je me sens... mieux, sans doute. Elle jeta un regard dans le vide puis revint à lui. Je crois que je me sens mieux, oui.

- Notre dispute avec Dante m'a presque fait oublié l'état dans lequel tu te trouvais, je suis désolé. J'aurai dû me soucier de toi avant de discuter... d'autres choses. Confia Seth, navré.

- Ne te sens pas coupable. Personne n'aurait rien pu faire... je crois que moi-même je n'y pouvais plus rien.

- Je suis content que tu arrives à reparler et à marcher. L'effondrement du bâtiment t'a fait une sorte d'électrochoc ?

- En quelque sorte. J'ai eu un impérieux désir de vivre alors tous mes sens et mes membres se sont débloqués. Il y a eu comme une sorte d'impulsion venu de mes entrailles et je me suis sentie libéré d'un poids, presque instantanément. Elle mima une explosion sortant de son ventre.

- C'est le Corbeau qui t'a trouvé, n'est-ce pas ? Le fameux Corbeau, c'est Ith qui me l'a dit. Seth la fixa, vérifiant qu'il pouvait continuer sans qu'elle ne soit pris d'une crise quelconque. Que s'est-il passé ? Je ne peux pas croire que quelqu'un de ton envergure se soit retrouvée totalement ... verrouillée par la simple présence de quelqu'un.

Sélène ne répondit pas immédiatement et se contenta d'abaisser la tête, regardant ses pieds. Elle réfléchissait, prise dans des réflexions diverses et des interrogations. Ses expressions oscillaient entre la confiance et la crainte. Dante, qui avait entendu partie de la discussion, avait ralenti le pas pour suivre au mieux la suite de leur dialogue.

- Pour ne rien te cacher, débuta-t-elle, cette personne possède une présence des plus perturbantes. Non, pas perturbante, terrifiante. J'ai vu une horde de skryns reculer à mesure qu'il se dirigeait vers moi. Cette simple constations m'a rempli d'un effroi que je n'avais pas ressenti depuis longtemps.

- Tu es entrain de me dire qu'ils ont éprouvé de la peur ? Mais je croyais que ces monstres en étaient incapables... rétorqua alors Seth, médusé.

- Et pourtant, le coupa-t-elle, je t'assure que c'est ce que j'ai vu. Quand ils ont pris la fuite il est venu jusqu'à moi. Et c'est là qu'il ... elle se pétrifia, les deux autres s'arrêtant de fait.

- Sélène ? Seth lui posa une main dans le dos. N'y vas pas trop fort sur les souvenirs, prends ton temps.

- Je vais bien, je vais bien. Répondit-elle, comme pour se rassurer autant qu'eux. Il m'a approché de très près... elle passa une main sur son menton, de très près même. Il a ce regard... ce regard que je ne peux pas expliquer. Ses yeux... leur couleur n'a rien de naturel. C'est démentiel, il y a une abysse dans ce regard. Quelque chose de malsain. Ses pupilles sont d'un améthyste criant, un violet féérique aux limites de l'irréel. J'ai cru qu'ils déchiraient mon âme, qu'ils en aspiraient chaque partie... qu'ils en vidaient la moelle.

Seth et Dante échangèrent un regard. Leurs pensées allaient au même rythme, supposaient les mêmes choses, allaient aux mêmes conclusions. Comme toujours depuis nombre d'années, ils avaient un raisonnement tout à fait identique. Chacun d'eux se rapprocha, leurs présences venant peut-être apaiser une Sélène en proie à quelques démons laissés derrière le sillage du Corbeau.

- Des dons de télépathie ? Il a visité ton esprit, c'est ça ? L'interrogea Dante.

- Non, pas du tout. Tout ce que je vous décris là n'est qu'un ressenti, une sensation que j'ai perçu. Il n'a rien fait sur moi, il n'a déployé aucun don surnaturel, aucune astuce psychique. Il était juste là, ses yeux rivés dans les miens. Et je me suis senti ... totalement vulnérable. Elle grinça des dents et son expression se mua pour laissée place à la rage. Je déteste être vulnérable.

- Je crois qu'on l'a tous bien compris depuis le temps, ironisa Seth ce qui eut pour effet d'arracher un petit sourire général. En dehors de ça, y'a-t-il autre chose dont tu te souviens ?

- Oui, il y a autre chose. Nous avons discuté, pour autant que l'on puisse appeler ça une discussion. Ses deux camarades furent intrigués.

Seth n'avait jusqu'ici conceptualisé le Corbeau que comme une sorte d'entité fantasmagorique profondément malsaine. L'incarnation nette de ce qui pouvait advenir de pire dans un hellion en proie à une résonnance folle. Il se le figurait comme un demi-skryn affreux voué à la destruction et au carnage gratuit. L'imaginer discuter d'une façon presque passive avec un autre être lui était apparu pratiquement inconcevable jusqu'ici.

Dante, de son côté, avait d'abord considéré cet individu comme une menace évidente avant d'éprouver peu à peu une sorte de fascination à son égard. Ce n'était pas tant son existence de résonnant que sa détermination qui avait fini par le marquer. Les Spectres parlaient de lui avec respect et même Ren, qu'il trouvait insupportable, possédait une sorte de révérence à son égard. C'était ça, qui avait créé le mythe. L'idée de pouvoir échanger avec lui paraissait ainsi alléchante.

- Que vous êtes-vous dit, alors ? L'interrogea le blond avec une sorte d'empressement que Seth ne manqua pas de noter.

- Pas grand chose. Il m'a simplement demandé mon prénom et mon unité... il m'a demandé de lui expliquer ce qu'il venait de se passer. Sa voix était étrange, dérangeante. Elle était pratiquement désincarnée, je ne saurai expliquer. Il avait un ton presque animal, reptilien. Ses mots étaient bien ceux que j'entendais mais ils étaient emprunts d'une chose que j'aurai du mal à décrire. Chacune de ses syllabes provoquait chez moi une sorte d'attente, de névrose. Je me sentais prise au piège. C'est une sensation que je ne peux pas reproduire ou détailler.

- C'est déjà bien assez, Sélène. La conforta Seth avec bienveillance. Reprenons notre route, on ne doit pas rester inactif.

Approuvant la décision, Dante se remit en marche. Ils s'aperçurent cependant qu'elle ne les suivait guère et trainait le pas.

- On ne doit pas rester ici trop longtemps. Tu penses que tu peux continuer avec nous ? Amorça Seth, à nouveau, soucieux.

- Oui... juste avant, je dois vous dire quelque chose. Il y a autre chose. Dit-elle alors, grave, sa voix laissant paraître le poids d'une décision visiblement difficile à porter.

- A la fin de cette mission... je compte déserter, et me rendre à Shion. Asséna-t-elle alors, décidée.

Il n'y eut qu'un silence morbide pour lui répondre. Les deux garçons restèrent figés, incapables d'appréhender ou de comprendre les mots qui venaient d'être clairement énoncés.

Hellions : partie 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant