FLASHBACK

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Ses grands yeux armés fixent avec adoration la blessure que ses mains monstrueuses viennent de commettre sur ma tempe. L'horrible sensation du sang coulant le long de ma peau me fait frissonner et mes oreilles bourdonnent suite au choc contre le mur des escaliers.
Elle m'a poussé.
Dans les escaliers.
J'ai perdu l'équilibre.
Et j'ai dégringolé les marches sous son regard satisfait.

Quand je me relève, un vertige me prend. J'ai le réflexe de poser ma main contre le premier meuble que je trouve pour me calmer et retrouver un sens à ma vision mais une grande claque me fait à nouveau tomber sur les genoux.
Un hoquet de surprise s'empare de ma poitrine. Son pied chaussé d'une paire de talons sales vient écraser mes doigts avec précision.
Elle se délecte de mes couinements de souffrance. J'ai arrêté depuis un moment de la supplier de m'épargner. Elle ne m'écoute pas. Elle m'ignore toujours.

- Quand ton père t'appelle tu y vas tout de suite ! hurle-t-elle en empoignant mes cheveux dans son poing.

Son bras me soulève rapidement, aidé par mes cheveux tirés en arrière. Elle pue l'alcool. Mon nez n'est toujours pas devenu insensible aux odeurs : que ce soit le sang, l'alcool, le tabac ou les odeurs de sueurs, ici, je sens tout.

Ma mère me pousse pour que j'entre dans la chambre parentale où je vois mon père, dans l'obscurité de la pièce, assis au bord du lit. Son débardeur est plus gris de crasse que blanc désormais. Ses grosses mains tiennent une énième bouteille d'alcool et une cigarette. Il nous regarde entrer dans la pièce, impatient de me faire endurer une nouvelle session de torture, comme je les nomme intérieurement.

Maman appuie sur mes épaules et me force à m'agenouiller devant mon père malgré ma réticence, malgré les coups que je tente de lui donner pour qu'elle retire la pression qu'elle m'impose. Les larmes ont beau se brouiller dans mes yeux, couler le long de mes joues, personne ne vient m'aider pour sortir de cet enfer, et encore moins Gaïa que je hais de plus en plus à mesure que les jours s'écoulent.
Elle est partie.
Elle m'a laissé.
Elle est libre.
Je suis toujours prisonnière.

Elle menaçait souvent nos parents de s'enfuir dès sa majorité. J'ai toujours cru que c'étaient des menaces en l'air. Quand elle l'a fait, quand elle est partie sans un au revoir, j'ai compris que le lien du sang qui nous liait n'était pas si important pour elle. Elle a pensé à sa sécurité avant tout. Mais elle m'a oublié, moi, sa petite-soeur.

Le tintement de la ceinture de mon père me donne un haut le cœur, comme pour me dire qu'avoir l'habitude de certaines choses ne les rend pas moins désagréables. Il pose sa bouteille et sa clope pour s'atteler à deux mains et quand il sa braguette suit le mouvement de descente de sa main, je dévie le regard.
Si je ne le vois pas, ça n'existe pas.
Si je ne le vois pas, ça n'existe pas ....

Je peux répéter sans arrêt cette phrase, à genoux devant mon père, tenue par ma mère qui laisse les cendres de sa cigarette tomber sur mes épaules, je ne peux pas dire que ça n'existe pas.

- T'as la caméra ? il aboie à ma mère.

Je ne la vois pas hocher la tête mais elle l'apporte toujours avec elle. Toujours.
Que font-ils de toutes les vidéos qu'ils enregistrent ? Les regardent-ils après coup ?

Les mains de ma mère finissent par me lâcher quand mon père se met debout et que son jogging lui tombe sur les chevilles. La lumière du couloir illumine la chambre, me laisse voir ce que je ne veux pas même entraperçevoir.
Ma mère pousse la porte quand mon père attrape mon visage entre ses doigts, les enfonçant dans mes joues creuses.

- Sois une bonne fille.

La porte se referme.
Je ne vois plus rien.
Mais mes autres sens se décuplent dans la noirceur de la pièce.

Et j'ai envie de vomir.

À la poursuite du bonheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant