Chapitre 22

37 2 0
                                    

Haletante, transpirante, effrayée et apeurée, je me réveille en sursaut. Il me faut plusieurs minutes, la main sur le coeur, assise dans mon lit, pour me convaincre que je ne suis plus chez mes parents mais bien dans mon appartement, qu'ils ne peuvent plus me toucher et que tout ceci n'était qu'un affreux cauchemar, un retour en arrière sur un traumatisme qui devient de plus en plus angoissant à mesure que les jours passent, bien que je pensais avoir terminé mon processus de guérison.

Je crois que je suis angoissée à l'idée que ma nouvelle relation avec Antoine ait un lien avec ce mauvais rêve et ces peurs qui me broient de plus en plus le ventre. J'ai peur qu'il ait les mêmes envies et pensées que mon père et que tout redevienne comme avant. Que lui aussi me fasse du mal, qu'il me fasse faire des choses que je ne veux pas faire.

Étouffée sous ma couverture et dans ma chambre, je me lève pour me rendre dans ma cuisine où j'ouvre en grand la fenêtre. Dehors, une pleine lune me permet de ne pas allumer les lumières, donnant l'impression qu'on est au petit matin. Mais l'horloge murale affiche 3 : 32, ce qui est bien loin du lever de soleil.
A l'intérieur de moi, j'ai la sensation que mon sang bouille et que mes veines vont exploser à un moment ou à un autre, m'entraînant avec. Ma tête me fait souffrir et rien ne va plus.

Ce n'était qu'un retour en arrière, un mauvais rêve.
Ce n'était pas réel. Ils ne sont plus disposés à me faire du mal.

Accoudée au plan de travail, la tête dans les bras, je tente de reprendre mes esprits, de calmer les battements frénétiques de mon cœur et de ravaler la douleur qui accompagne la remontée de ces souvenirs.
Quand ce genre de crise m'arrivait au moment du procès, j'enfonçais mes doigts dans mes blessures récentes et faisais sauter les points de sutures réalisés par les infirmières contraintes d'en refaire, encore et encore. Ce moment où mon flux sanguin se ressentait à travers mes doigts, où j'avais l'impression de pouvoir respirer convenablement et où mes ongles s'ancraient à ma chair, me permettait de me tenir droite face aux regards féroces et accusateurs de mes parents qui voulaient absolument que je fasse un faux témoignage pour les laisser sortir.
Ma soeur et mon avocate attendaient que je dise la vérité pendant que moi, tout ce que je voulais, c'était que cette histoire se termine rapidement et que ma vie de jeune fille de 14 ans puisse enfin voir le jour.

Mes amis jouaient tous ensemble, se réunissaient pour s'affronter sur la console ou lire, entassés les uns chez les autres. Je voulais les retrouver, les rejoindre et oublier ces quatre années d'enfer où je devais prétendre devant les autres que tout allait bien par peur des représailles. Je voulais rire et chanter avec mes copains. Je voulais pleurer parce qu'un garçon venait de me briser le cœur. Je ne voulais pas pleurer parce que j'allais rentrer à la maison et que mes parents allaient encore m'utiliser.
A cet instant, j'étais tiraillée entre deux pensées que peu pouvaient comprendre : avant que l'histoire n'éclate au grand jour et que le procès commence, j'avais le droit de sortir avec mes amis, de les voir, tant que je ne disais rien. Désormais que le procès était entamé, je ne pouvais plus les voir, je devais rester à l'écart de tout le monde. Alors j'ai naïvement pensé que si tout redevenait comme avant, ce que je pensais être une normalité, je pourrais enfin retrouver mes amis.
Mais je pensais mal. Et aujourd'hui, je m'en rends compte.


Bien que les années passent, le temps n'efface pas toutes les blessures : j'ai toujours la sensation des doigts dégoûtants de mon père sur mon corps à des endroits où il n'aurait jamais dû s'aventurer.
Pour justifier ses actes et se faire passer pour la victime, il avait témoigné que lui aussi subissait des violences par ses parents. Mais cela lui permettait-il de retranscrire ces gestes sur ses filles ?

Dans la cuisine, le reflet de la lune vient faire briller la boite en inox où sont rangés les couteaux. Mon regard s'y pose et je déglutis difficilement avec une pression dans le ventre : pourquoi ai-je l'impression qu'il s'agit de la seule solution ? Que pour que cette crise d'angoisse qui me donne envie de pleurer, de crier, de me jeter par la fenêtre pour ne plus jamais repenser à ces quatre années de malheur dans ma vie, il faut que je m'empare d'un de ces couteaux et que je m'en serve à bon escient ?
Contrôlée par mes pulsions, rien ne peut plus m'arrêter : mon bras se lève et je tire sur le manche d'une des armes que je prends pour un scalpel et l'abas violemment contre la peau nue de mes avant-bras.

À la poursuite du bonheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant