Chapitre 8 / Flashback

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JUIN 2021

MONTPELLIER


Cette fichue oreillette commence à m'irriter la peau. La transpiration ne m'aide absolument pas. J'ai l'impression d'être plongé dans un bain de sueur tant mon corps est luisant avec les spots de lumière qui m'aveuglent presque et la chaleur corporelle qu'on évacue tous autant que nous sommes dans cette salle de concert pleine à craquer.

Les doigts autour de mon micro en argent, je sens ma prise se défaire petit à petit. J'ai beau me passer la paume de main à de nombreuses reprises contre le tissu de ma chemise, ça ne change pas vraiment la donne. Tant que je serai sur scène, mon corps restera luisant.

C'est très peu glamour.

J'aperçois Sasha aller et venir en bas de la scène, son appareil photo braqué sur moi et sur le reste du groupe, capturant les moments et les immortalisant pour que je les publie par la suite sur mes différents réseaux. Il a le truc qui rend ces photos uniques en leur genre. Et jamais je ne pourrais changer de photographe. Jamais. J'aime le fait que ce soit mon meilleur ami qui s'occupe de cette partie de ma carrière. J'aime également le fait qu'il soit à l'aise avec le public et que, même s'il n'aime pas particulièrement parler au public, il sait s'ouvrir et se montrer amical. C'est peut-être pour le côté mystérieux et beau-gosse qu'il plait.

Mais dommage pour celles qui craquent pour lui : son ex est toujours ancré au fin fond de son ex et n'est pas prête de quitter cet emplacement.

Lisa, son ex-petite-amie avec qui il est resté près de sept ans, l'a quitté il y a près de trois mois après l'avoir méchamment trompé avec son meilleur ami. Je n'ai pas tout compris à cette histoire, Sasha n'a pas voulu s'épandre sur son histoire privée et je le comprends, mais ça a été une période compliquée. En effet, après sept ans de relation, se retrouver célibataire du jour au lendemain, après une telle trahison, nous rend méfiant.

Mais peu à peu, Sasha est redevenu lui-même et j'ai pu retrouver mon meilleur ami que je peinais à aider.

Alors celles ou ceux qui apprécient la vue qu'ils ont en regardant Sasha perdent leurs temps. Il n'est pas prêt à s'engager dans une relation, bien que ça pourrait lui faire du bien, de penser à quelqu'un d'autre que Lisa.

Je croise son regard pendant que je bois, entre deux chansons. Il appuie sur le bouton de son appareil photo pendant que je lui montre discrètement mon majeur.

Sur ses lèvres, j'arrive à lire : " Regarde sur ta gauche ". J'obéis et tombe sur Maxence, posté dans les coulisses. Son corps ne dépasse pas de la ligne tracée en blanc sur le sol. Je lui souris en le voyant tout aussi heureux que je présumais quand je l'ai quitté avant de monter sur scène et ça me fait plaisir, de le voir apprécier le moment à ce point.

Derrière lui, Leonard et son verre scrutent la salle. Lui, en revanche, n'hésitera pas à se montrer à la fin du concert avec les ballons gonflables, comme il le fait par habitude.


Après une courte pause le temps de m'hydrater, je retourne près de mon micro et adresse un regard aux musiciens. Bastien, qui était à l'école avec moi, est tout aussi luisant. Comment ses mains arrivent à tenir les baguettes sans qu'elles lui échappent ? C'est un mystère.

C'est le moment pour moi de parler un peu au public avant les trois dernières musiques, dont celle qui est dite " surprise ".

Le coeur tambourinant contre ma cage thoracique, je n'entends pas les cris du public, ni les applaudissements. Aveuglé, je ne les vois même pas à vrai dire. Je vois quelques points lumineux au fond : ce sont les flashs des téléphones. A certains moments, je me croirais face au ciel à regarder les étoiles qui brillent juste pour moi. Mais ce ne sont en rien des étoiles. Et parmi ces lumières, il n'y a pas mon père.

J'inspire longuement et profondément avant d'aligner deux mots. J'empoigne la tige du micro et essui mon front avec mon poignet. Je suis bon à prendre une bonne douche à la fin. Je n'ai pas l'impression que ça se voit énormément, mais c'est tout de même désagréable.

En bas, à mes pieds, la setlist est scotchée sur le plancher noir. Quelques agents de sécurité sont postés un peu partout, habillés en tenue oranges, sont dos à moi. Je me suis toujours dit que ceux qui bossent pour les grosses stars américaines doivent être tellement frustrés de ne pas pouvoir se retourner pour regarder l'artiste faire son show.

- Bonsoir tout le monde ! je lance avec un maximum de joie dans la voix. Comment allez-vous ?

Je perçois des cris qui paraissent joyeux. Pour mieux les entendre, et ne plus être contrainte d'entendre mes propres battements cardiaques, je retire une oreillette et d'un coup, je suis frappé par le bruit qui me brusque dès les premières secondes. Je plante ma main en visière au-dessus de mes yeux pour apercevoir les visages rayonnants de ces personnes réunies au même endroit pour m'écouter, me voir performer sur scène.

- Je voudrais vous remercier d'être présent ce soir, et tous les autres jours. J'ignore depuis combien de temps vous me suivez, peut-être quelques semaines, quelques mois ou depuis le début. Peu importe, parce que je vous remercie du plus profond de mon coeur d'être présents pour moi, à mes côtés.

Je mets un moment avant de reprendre ma respiration. J'ai envie de m'asseoir et d'inspirer dans ma Ventoline. Alors, ne le pouvant pas pour le moment, je serre les mâchoires et tente de revenir à la surface.

Les cris et les encouragements du public me font hisser les poils des bras. Ça me donne vraiment la chair de poule.

- J'entends beaucoup de personnes dire de moi que je suis un enfant roi, un enfant star qui n'a pas les pieds sur terre et qui n'a pas la notion de la vraie vie et je ne peux pas les contredire.

Je coule un regard en biais vers les coulisses et je trouve Maxence qui secoue la tête, excédé de mes paroles qui lui sont partiellement dirigées. Il n'est pas la seule personne à me donner un point de vue similaire au sien sur ma personne. J'ignore si beaucoup me voient tel quel, mais je sais que je suis plus que ça. C'est à moi de leur prouver qu'ils ont tort. C'est à moi de prouver que je ne suis pas un gosse de star. Notamment parce que je ne le suis pas, mais surtout parce que je veux prouver que la réussite dans laquelle je baigne pour le moment vient de mon talent. Est-ce présomptueux de ma part ?

- Je suis rentré dans le monde de la " célébrité " très jeune et dans des circonstances particulières. Mais même si ça fait dix ans aujourd'hui, je crois que je m'améliore de jour en jour. Les textes que je vous transmets viennent du cœur. J'espère que vous les recevez, que vous les aimez autant que je les aime.

J'ai du mal à reprendre ma respiration. J'aimerai prendre une bouffée de Ventoline et retrouver ma faculté à respirer convenablement. Mais j'ignore pourquoi mes poumons refusent à ce point, ni pourquoi ils me torturent de la sorte.

- Mon premier projet a été un succès que je n'espérais pas. Le second arrive bientôt, très bientôt. Disons que ce sera mon cadeau de Noël. Et pour vous donner l'eau à la bouche, la prochaine chanson qui va suivre sera une exclusivité, rien que pour vous. J'espère qu'elle vous plaira, que l'album vous plaira et que peu importe la suite, tout se passera bien.

Le sol vibre sous leurs sauts. Mes oreilles bourdonnent sous leurs cris. Mes yeux piquent à cause des petites larmes qui s'invitent à la partie.

- Mais avant ça, je voudrais remercier toute l'équipe qui me suit jour et nuit, qui me supporte, moi et mon tempérament loin d'être facile à vivre. Merci à ceux qui travaillent dans l'ombre et qui m'aident à produire ce que j'aime. Merci à mes amis qui m'accompagnent dans mes déplacements, qui travaillent à mes côtés.

Mon regard glisse tout seul vers Sasha qui va saturer sa carte SD à force de me photographier. Ce moment d'arrêt dans ma phrase profite au public pour regarder dans la même direction que moi et d'un coup, les téléphones sont braquées sur Sasha qui aimerait me tuer à l'instant présent, j'en suis persuadé.

Je lui articule un " merci " qui le fait sourire puis je reprends mon micro.

- Montpellier, est-ce que vous êtes prêts pour la fin du concert ?

Les cris qui s'envolent dans la salle me font rire et j'échange un regard avec Jessica, la guitariste et nous repartons.

À la poursuite du bonheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant