EVALON, La Marque des Dieux - Tome 1 : Le Chasseur _ Romantasy Adulte

Chapitre 14.2

Oliver

Le reste du trajet s'est fait sans encombre. Nous avons voyagé encore toute la nuit, pour arriver à l'aube devant les lourdes portes en fer de la cité de Priah, construite sur une colline, au bord des falaises de Hyde. La ville, tentaculaire, est construite sur les flancs de la colline. Au sommet se dresse le palais majestueux du roi Geoffrey, construit par les fae bien avant que l'Arragast ne sépare les deux royaumes. D'un blanc immaculé, il illumine le ciel avec ses hautes tours d'ivoire qui vont se perdre dans les nuages.

En contrebas, une plage de sable blanc s'étale sur plusieurs kilomètres. L'océan borde tout le côté ouest de Priah. Un grand port y a été construit, permettant d'accueillir des navires marchands, mais aussi de stocker des bâtiments de guerre qui, fort heureu­sement, n'ont pas servi depuis deux siècles.

. Lorsque les humains ont migré à Cindra il y a huit cents ans, deux clans se sont formés. Après plusieurs années de guerre civile pour se disputer la cité de Priah, le peuple vaincu a émigré de l'autre côté de l'océan pour former le royaume de Calabrah. Depuis, les relations diplomatiques sont restées tendues, entre périodes de paix et d'entraide et périodes de guerres et de convoitise.

Aujourd'hui, c'est le roi Morebus qui dirige Calabrah, d'une main de fer, un jeune roi âgé d'une trentaine d'années. Il est ambitieux et, comme nombre de ses prédécesseurs, rêve un jour de reprendre Priah. Pour l'instant, il reste cordial et honore les traités de paix et de commerce établis par son père. Mais Geoffrey m'a plusieurs fois confié ses inquiétudes à son sujet.

Priah est entourée d'une épaisse et haute muraille d'où s'écoulent plusieurs cascades se déversant dans la mer. En effet, l'eau est acheminée dans la cité via des aqueducs pour être traitée, dessalée, et devenir consommable. Un barrage au sud permet également de produire l'électricité qui alimente la ville grâce à un puissant réacteur. Tout a été construit du temps des fae, alimenté autrefois par la magie. Il a fallu plusieurs siècles de recherches pour que la science vienne remplacer la magie disparue, redonnant pleinement sa puissance à Priah.

C'est une ville propre et prospère où il fait bon vivre. Je m'y suis toujours senti chez moi. Et je connais cette ville comme ma poche. Le roi Geoffrey nous a offert une petite maison dans un quartier haut de la ville à notre arrivée à Cindra. Fergus, le père des jumeaux, m'a raconté qu'après avoir fui Evalon cette terrible nuit, il s'est réfugié ici. Il est allé directement voir Geoffrey pour demander asile. Ce dernier s'est montré compatissant et a offert un nouveau foyer à tous les rescapés de la Nuit sanglante. Quatre familles ont réussi à s'échapper ce soir-là, en plus de celle de Fergus. C'est également le palais de Priah qui nous a envoyé Nanou, ma nourrice, pour ma survie. Une femme que j'aime de tout mon cœur, une véritable mère pour moi. Je dois énormément au roi Geoffrey et à sa bienveillance à notre égard.

Ce n'est pas toujours facile pour les creati de s'intégrer parmi les humains. Pour ma part, je me fonds facilement dans la masse, mais pour les jumeaux, c'est différent. Ils sont très grands, et leurs yeux d'un vert atypique et lumineux trahissent leur nature. La plupart des humains ne font pas attention à nous ou sont, parfois, intimidés. D'autres, en revanche, nourrissent de la haine envers tous les êtres venant d'Evalon.

Un mouvement s'est même créé au fil des siècles, prônant l'extermination de toutes les créatures magiques : les Masques d'ombre*. Des personnes peu recommandables, dont on préfère ne pas s'approcher. Parce que, pour des humains, les Masques s'avèrent redoutables. Ce sont des tueurs expérimentés et efficaces. Il arrive malheureusement que l'on retrouve des têtes de creati embrochées sur des piques, ou des cadavres brûlés sur la place publique. En principe, ils ne s'attaquent pas gratuitement aux creati, seulement à celles qui posent des problèmes. Ou qui réussissent trop bien... , est craint dans tout Priah. Les jumeaux n'ont pas peur de lui mais moi, je préfère rester prudent. Parce que j'ai déjà vu des lycans démembrés par leurs soins.

— Cette ville est... immense ! s'exclame Lyrie, tandis que nous pénétrons dans la cité sous les yeux attentifs des gardes royaux.

Nous leur présentons nos badges de membres de la Chasse royale afin d'éviter les contrôles. Ils nous connaissent bien, mais, consciencieux, nous demandent toujours de prouver notre identité. L'un d'eux dévisage Lyrie qui, avec sa chevelure pourpre et ses yeux ambrés luminescents, ne laisse planer aucun doute sur ses origines.

— Elle est avec nous, je leur dis. Cette femme est une réfugiée politique que nous allons conduire au roi Geoffrey.

Lyrie s'avance alors vers eux avec assurance et leur dit :

— Je suis la Reina Walkyria. Je suis ici pour rencontrer votre roi, veuillez m'annoncer. Je dois m'entretenir de toute urgence avec lui au sujet d'affaires importantes.

— Par les dieux ! s'exclame le garde avant d'incliner la tête en guise de respect. Nous allons immédiatement prévenir Sa Majesté de votre présence.

— Merci, lui dit-elle.

— Souhaitez-vous être escortée jusqu'au palais en attendant que le roi puisse vous recevoir ?

— La Reina Walkyria va rester avec nous le temps que le roi lui accorde une audience, j'interviens. À moins que tu préfères aller directement au palais ? je demande à l'intéressée.

— Eh bien... J'aimerais autant rester avec vous si c'est possible. Au palais, je ne connais personne.

— Dans ce cas, nous informerons Sa Majesté que la Reina Walkyria séjourne chez vous, seigneur Garner, statue le garde avant de nous laisser entrer.

Nous marchons un peu avant d'emprunter le chemin de notre maison. Lyrie observe attentivement tout ce qui se passe, découvrant les rues animées de la basse-ville. Elle ouvre de grands yeux en voyant des enfants courir et s'amuser dans les rues. Je dirais même qu'elle paraît presque émue. Evalon... est-il si triste que ça ?

Elle regarde les étals marchands qui bordent les rues du quartier commerçant. Brenan lui explique le fonctionnement de la cité au fur et à mesure que nous avançons. Les odeurs de nourriture, d'épices et d'essences parfumées embaument l'air. Ici, il fait un peu moins froid qu'à Ernel ou à Elsie, situées plus au nord de Cindra. Et plus proches de l'Arragast glacial.

On entend un peu partout de la musique. Les gens ont le sourire aux lèvres. À Priah, il y a très peu de pauvreté. Il y en a, bien sûr. En particulier dans le quartier ouvrier, ou près du port. Mais contrairement à beaucoup d'autres villes, elle ne touche qu'un faible pourcentage de la population. La lignée de Geoffrey, qui règne sur Cindra depuis maintenant quatre générations, a su réduire les inégalités et enrichir les plus pauvres, afin que tous aient un niveau de vie décent. Il reste encore des choses à faire, mais la volonté est bel et bien là.

 Nous quittons le quartier commerçant, et empruntons un grand escalier en pierre conduisant aux résidences où nous logeons. Un hameau tranquille, à seulement dix minutes à pied d'une falaise dans laquelle des marches ont été taillées afin de pouvoir descendre directement dans une crique. Une crique où nous passons énormé­ment de temps, mes frères et moi. Une crique où les creati de Priah ont pris l'habitude de se rassembler. C'est un peu notre « entre-soi ». Fae, métamorphes, elfes, nains, sorciers... Tous y sont représentés.

Plus haut, en se rapprochant du palais, on trouve la bibliothèque royale et le grand musée, ainsi que le théâtre et les grandes arènes.

J'ai hâte de faire découvrir tout ça à Lyrie. Mon univers. Mon foyer. Ma vie. Cette pensée sonne étrangement dans mon esprit. Parce que d'habitude, je préfère garder tout ça pour moi. Mais tandis que je jette un coup d'œil vers elle et que je contemple son profil attentif et curieux de tout ce qui l'entoure, je ne peux m'empêcher d'avoir envie de tout partager. Avec elle.

J'aimerais tellement... lui voir un sourire. Vraiment. Parfois, elle en esquisse quelques-uns. Mais jamais complets. Daevon a raison, elle est brisée. Et une partie de moi a envie de l'aider à recoller les morceaux.