Oliver
Adossé contre le mur du couloir en attendant Lyrie, je tente de reprendre pied. Bons dieux, que vient-il de se passer ? J'ai failli perdre le contrôle. J'étais à deux doigts de l'embrasser. De commettre l'irréparable. Alors qu'elle est une walkyrie. Alors que je lui mens sur qui je suis. Que je lui ai volé ses souvenirs. Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez moi, à la fin ?
Mais dès que je suis près d'elle, je n'arrive plus à me maîtriser. Elle me plaît, bon sang ! Comme aucune autre femme n'a su me toucher. Quand je l'ai vue se battre pour moi face aux drauhr, je l'ai trouvée plus belle que jamais. D'une force brute féminine qui m'a ébloui. J'aime sa façon de rougir lorsqu'elle est gênée ou intimidée. Sa curiosité naïve. Et cette foutue manie qu'elle a de se mordiller la lèvre...
Sa fragilité m'émeut. Je sens à chaque seconde le lien magique qui nous unit, qui me pousse à la protéger malgré moi. J'ai su dès que je suis entré qu'elle était en souffrance. Qu'elle avait besoin d'aide. Je ne peux nier cette connexion qui existe entre nous. Bien au-delà du contrat qui nous unit. Et je sais qu'elle la ressent aussi. Je suis certain qu'à l'instant, si je l'avais embrassée, elle m'aurait laissé faire. Pire encore, j'avais l'impression que c'était ce qu'elle espérait.
Je ferme les yeux et soupire. Peut-être que je devrais tout lui dire. Lui avouer qui je suis. Ce que je lui ai fait. Non... je ne peux pas. Pas tant que je n'en mesure pas toutes les implications.
J'entends la porte s'ouvrir. Je rouvre les yeux. Lyrie me rejoint.
— Je suis prête, me dit-elle.
Seigneur ! elle a revêtu une tenue en cuir noir de chasseuse qui lui moule outrageusement les formes, et elle a rassemblé ses cheveux haut sur son crâne en une épaisse queue-de-cheval. Je baisse le regard, l'invite à me suivre, et nous descendons les marches qui conduisent à la salle à manger. On y sent la forte odeur du tabac mêlée à celle du ragoût qui me met l'eau à la bouche.
J'aperçois les jumeaux assis à une table ronde sur la droite et m'empresse de les rejoindre. Les gens s'écartent sur le passage de Lyrie, la dévisageant sans la moindre retenue. Cependant, je ne perçois pas de haine, ce qui peut parfois se produire, vis-à-vis des creati.
— Ah, ben c'est pas trop tôt ! Vous vous êtes perdus en haut ou quoi ? lance Daevon.
Ni Lyrie ni moi ne répondons.
— J'ai une faim de loup, ajoute-t‑il. On a commandé pour vous, ça devrait pas tarder à arriver. Cervoise ? me propose-t‑il en me tendant une chope bien remplie.
Je la prends et bois plusieurs gorgées, savourant la douce sensation de brûlure dans ma gorge. Mes muscles se délient, mes pensées se calment. Brenan offre un verre de jus de fruits à Lyrie, qu'elle boit d'un trait sous leur regard étonné.
— Quoi ? leur demande-t‑elle en voyant leurs yeux écarquillés.
— Ma foi, c'est une sacrée descente, commente Brenan.
— Je... J'avais soif.
Il lui sourit avant de nous observer tour à tour, percevant notre malaise. Je vois ses narines se dilater légèrement, preuve qu'il est en train de nous « sentir ». C'est pas vrai... Le regard noir qu'il me lance me glace les os. J'y lis déjà une multitude de reproches. Que j'essuierai plus tard.
— Bien, entrons dans le vif du sujet, propose Brenan. Lyrie, dis-nous ce que tu sais à propos des créatures qui nous ont attaqués la nuit dernière.
— Les drauhr sont des morts-vivants, commence-t‑elle. Des âmes errantes échappées d'Ombra, le royaume de Kayne.
— Le dieu-démon ? l'interroge Daevon.
— Oui, acquiesce-t‑elle. Comme vous le savez, avant la création d'Evalon et de Cindra, les dieux luminescents et les dieux sombres se sont livré une guerre sans merci. Le Bahlaran et Ombra ont toujours été opposés. Quand , a créé notre Terre et l'a peuplée, Kayne, le roi d'Ombra, a voulu détruire sa création. Il a lâché sur Evalon trois fléaux : les drauhr, morts-vivants quasiment invincibles, les dragons, créatures titanesques dont le feu a ravagé les terres et tué des millions d'innocents, et enfin, le Normikon, un démon d'Ombra qui a répandu la magie noire sur Evalon.
— Notre père nous a souvent raconté cette histoire quand nous étions enfants, confirme Brenan.
— Ce ne sont pas que des histoires, poursuit Lyrie. C'est ce qui s'est réellement passé. Les dieux, qui ne peuvent pas intervenir directement dans notre monde, ont alors donné naissance à deux héros pour décider du sort d'Evalon. Arthur Pendragon et Morgane, la fae noire. Morgane, soutenue par Kayne, a abrité dans son corps le Normikon. Grâce à sa magie noire, elle a réussi à obtenir la soumission des drauhr et a fait d'eux son armée. Arthur était très désavantagé, et Evalon sur le point d'être réduit à néant. Jusqu'à ce qu'il parvienne à soumettre les dragons, grâce à l'art des Murmures*.
— L'art des Murmures ? je relève.
— Une magie ancienne et très puissante, permettant à son détenteur de faire plier à sa volonté n'importe quelle créature vivante, explique-t‑elle.
Alors, j'aurais hérité de cette magie, moi aussi ? Car cela ressemble fortement à ce que je suis en mesure de faire.
— Arthur et ses dragons ont finalement remporté la guerre, reprend Lyrie. Il a anéanti les Trois Fléaux, tué Morgane, renvoyé le Normikon à Ombra, et supprimé les drauhr grâce au souffle de dragon. Puis il a rendormi les dragons afin qu'ils ne puissent plus faire de mal à personne. C'était il y a huit cents ans. L'Arragast a été érigé par les dieux, coupant Evalon en deux. Les créatures sans magie ont choisi de partir vivre à Cindra, loin des Trois Fléaux. Les creati, les humains qui le souhaitaient et le peuple fae sont, quant à eux, restés à Evalon, veillant à la protection des royaumes. Les descendants d'Arthur Pendragon ont régné sur Evalon de génération en génération. Mais depuis Arthur, aucun n'a plus jamais reçu la Marque des dieux. Et donc la faculté de maîtriser l'art des Murmures.
Jusqu'à moi, apparemment...
— Puis il y a eu le coup d'État, ajoute Lyrie, la mine sombre. Je n'étais pas née quand c'est arrivé.
— Nous si, intervient Brenan. Nous étions enfants, mais... je me souviens de cette nuit comme si c'était hier...
— , a assassiné la famille royale pour s'emparer du trône, développe-t‑elle. Il a été soutenu par les einheri, nos homologues masculins. Et par les drauhr, qu'il a relâchés sur Evalon. Et dont il a le contrôle.
— Comment ? m'enquis-je.
— Personne ne le sait, répond-elle. Cette nuit-là, la moitié de mes sœurs ont été tuées. L'autre moitié a réussi à se réfugier dans le temple de Noktys, où sa magie nous a protégées durant plusieurs années. Je suis moi-même née dans ce temple. Et n'en suis sortie qu'à de très rares occasions. Le roi Herald a fini par signer un traité de paix avec Oalah dix ans plus tard. Nous avons alors pu retrouver un semblant de vie normale, tant que nous n'approchions pas de la cité royale et n'interférions pas dans les affaires de la Couronne. Mais le peuple d'Evalon souffrait et était infecté par les maladies propagées par les drauhr. Aussi, notre reine a décidé d'aider le peuple. Nous nous sommes remises à combattre les drauhr, entrant ouvertement en rébellion contre la Couronne. Jusqu'à notre capture, il y a onze mois.
Lyrie s'arrête là. Je sensqu'elle a besoin d'une pause.
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EVALON, La Marque des Dieux - Tome 1 : Le Chasseur _ Romantasy Adulte
FantasyROMANTASY Evalon, Terres des Faes et des Creati Par une nuit noire et sanglante, une femme fuit, au péril de sa vie. Elle est une survivante. La dernière de son espèce. Sa seule chance d'échapper à ses ravisseurs ? Traverser l'Arragast, la frontière...