Oliver
Nanou chantonne tout en dressant la table. Elle a sorti sa jolie nappe, qu'elle a elle-même confectionnée au crochet, et l'argenterie. Je la regarde disposer des verres en cristal avec rigueur et plier ses serviettes au carré.
— On attend un invité royal ? je la taquine, sachant pertinemment qu'elle veut bien faire pour Lyrie.
— La Reina Walkyria va dîner à notre table, Oliver.
— Lyrie aime les choses simples.
— Et qu'est-ce que tu en sais, toi ?
— J'en sais suffisamment pour t'affirmer que si tu en fais trop, tu vas la mettre mal à l'aise.
Elle bougonne, mais ne m'écoute pas pour autant et dépose des perles sur la table pour la décorer. Elle ajoute un vase contenant des roses, qu'elle répartit harmonieusement.
— Qu'en penses-tu ? me demande-t‑elle en admirant son œuvre. Elle aime les roses ?
— Ce sera parfait, Nanou. Pour les roses... aucune idée.
— On attend quelqu'un d'important ?
La grosse voix de Fergus me fait sursauter. Je me tourne vers lui. Son sourire chaleureux m'incite à le serrer dans mes bras. Il me tapote dans le dos avant de s'éloigner. Nanou ronchonne à nouveau, avant de retourner en cuisine.
— Elle se met la pression à cause de Lyrie, je lui explique.
— Lyrie... Nanou m'a tout raconté. Comment diable la Reina Walkyria s'est-elle retrouvée avec vous ?
— C'est une longue histoire...
— Allons dans mon bureau, mon garçon. On a des choses à se dire avant que je la rencontre.
J'acquiesce et le suis. Une odeur de cuir et de tabac à pipe imprègne les lieux. Une pièce exiguë, avec une grande porte-fenêtre et des étagères recouvrant tous les murs. Un globe est posé sur le coin du bureau en bois massif, ainsi qu'une pile de documents. Une peau de bête à fourrure marron recouvre une partie du sol. Plusieurs tableaux de Daevon décorent les murs, représentant des parties de chasse ou des paysages d'Evalon dont il se souvient.
Fergus gère une partie de l'administration des creati pour le compte du roi Geoffrey. Notamment les aspects immobiliers et juridiques. Une reconversion dont il se contente, lui qui était jadis un des plus fidèles conseillers de mon père. Et un ami précieux. Sans lui, je n'existerais pas aujourd'hui. Je lui dois ma vie.
Il prend place sur son gros fauteuil en cuir et m'invite à m'asseoir sur le tabouret face à lui. Il se sert un verre de whisky avant de m'en proposer un, que j'accepte volontiers. Et je lui raconte tout. La visite de la Triade, le sauvetage de Lyrie. Ce que je lui ai fait afin qu'elle ne me reconnaisse pas, sa captivité. L'attaque des morts-vivants, ce que l'on sait de la situation à Evalon. Puis notre arrivée ici. Il écoute attentivement mon récit sans m'interrompre, soucieux. Il gratte nerveusement sa barbe grisonnante et boit mes paroles, les analysant méticuleusement.
— Donc, tu es capable d'utiliser l'art des Murmures, souffle-t‑il. J'ai toujours pensé que tu possédais ce don.
— Pourquoi ?
— Parce que tu es né avec la Marque des dieux, Oliver. Quand ta mère a accouché, l'information a fuité. Elle s'est répandue dans le palais comme une traînée de poudre : « est né avec un tatouage luminescent sur le corps. » Et à la nuit tombée... ta famille et tous ses partisans ont été assassinés. Si je ne m'étais pas trouvé dans la chambre de ta mère pour lui présenter mes félicitations, je n'aurais pas pu te sauver. Ton oncle a toujours convoité le trône. Il s'était fortement rapproché de ton jeune frère, Jonace, l'héritier légitime, dans le but de le manipuler plus tard. J'avais déjà alerté ton père à ce sujet, mais il n'y a jamais prêté attention. Je pense que ton oncle préparait depuis un moment son coup d'État. Ta naissance en a été l'élément déclencheur.
— Mais je ne suis même pas un fae ! je proteste.
— As-tu seulement idée de ce dont tu es capable, Oliver ? Du pouvoir qui sommeille en toi ? Et du pouvoir qui pourrait être tien si tu parvenais à contrôler les dragons, comme l'a fait ton ancêtre ? Si ton oncle t'avait laissé grandir, tu aurais surpassé ton frère et personne n'aurait été en mesure de te détrôner.
Je baisse les yeux, tentant de maîtriser ma colère.
— Tu te sens toujours responsable de ce qui est arrivé à ta famille ? me demande-t‑il doucement.
— Ils sont tous morts à cause de moi. À cause de cette foutue marque !
Je passe une main sur mes pectoraux, où elle est profondément gravée.
— Tu n'es en rien responsable de ce qui est arrivé, Oliver. Le seul fautif est ton oncle. Et sa soif de pouvoir. Et le fait qu'il ait trouvé un moyen de ramener et de contrôler des drauhr est très inquiétant. Cela pourrait même signifier que le démon Normikon est revenu à Evalon.
— Il posséderait quelqu'un ?
— Possible. Mais j'espère me tromper...
Nous buvons tous deux une nouvelle gorgée du liquide ambré qui me brûle agréablement la gorge.
— Le roi Geoffrey doit être informé de la présence de ces créatures sur ses terres, reprend Fergus.
— Lyrie a demandé une audience. Elle va tout lui expliquer. Y compris ce qu'elle ne nous dit pas.
— Et que comptes-tu faire avec elle ? Tu ne pourras pas lui dissimuler la vérité éternellement.
— Je sais.
— Et toi ? Que penses-tu de tout ça, Oliver ?
Je glisse mes doigts dans mes cheveux, nerveux.
— Je suis paumé, Fergus. J'ai mené ma vie en tant qu'Oliver Garner, chasseur de la Couronne. J'ai toujours su qui j'étais également, mais... cette partie de moi, je l'ai volontairement occultée. Parce qu'elle me terrifie. Et que je ne la connais pas. Qui est Oliver d'Ellentour ?
— Cela, ce sera à toi seul de le découvrir. Mais une chose est certaine : tu ne peux plus l'occulter. Les dieux t'ont envoyé un avertissement par le biais de la Triade. Et que tu le veuilles ou non, la Reina Walkyria a scellé son pacte avec son eriah. Dès qu'elle connaîtra la vérité à ton sujet, plus rien ne pourra rompre votre serment. Elle est vouée à te servir et à te protéger jusqu'à sa mort. Et tu ne pourras pas lutter contre ça. Et elle non plus.
S'il n'y avait que contre ce pacte que je doive lutter avec elle...
— Il y a autre chose que je devrais savoir à son sujet ? me demande-t‑il face à ma mine perplexe.
Comme je ne réponds rien, il soupire, avant de me sourire :
— Les walkyries sont des femmes magnifiques, n'est-ce pas ?
Je relève le menton.
— Tu sais, Oliver, tu n'es pas le seul eriah à être tombé sous le charme de sa Reina Walkyria.
— Je ne suis pas tombé sous son charme ! je rétorque.
— Ce n'est pas ce que m'ont rapporté tes frères.
Enfoirés de Daevon et Brenan ! Je les maudis intérieurement.
— Tu n'as pas besoin de me faire la morale à ce sujet, je poursuis, pressé de mettre un terme à cette conversation. Brenan s'en est déjà chargé. Et oui, c'est une très belle femme. Et elle est bien plus que cela. Mais je sais très bien à quoi m'en tenir. Quelle est la limite à ne pas franchir.
— Bien. Compte tenu des circonstances... Il vaut mieux éviter ce genre de rapprochements. Cela vous ferait souffrir tous les deux. Demain soir, nous parlerons. Je te raconterai tout ce que tu dois savoir. Pour que tu puisses prendre ta décision en toute connaissance de cause.
J'acquiesce avant de me lever. Je m'apprête à sortir du bureau lorsque Fergus me lance :
— Une dernière chose, Oliver.
— Oui ?
— Fais attention à toi.
— Comme toujours, Fergus.
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EVALON, La Marque des Dieux - Tome 1 : Le Chasseur _ Romantasy Adulte
FantasyROMANTASY Evalon, Terres des Faes et des Creati Par une nuit noire et sanglante, une femme fuit, au péril de sa vie. Elle est une survivante. La dernière de son espèce. Sa seule chance d'échapper à ses ravisseurs ? Traverser l'Arragast, la frontière...