EVALON, La Marque des Dieux - Tome 1 : Le Chasseur _ Romantasy Adulte

Chapitre 22.1

Oliver

Incapable de dormir après ma conversation avec Fergus, je suis parti m'entraîner dans les plaines à la sortie de la ville, pour tester Erendir. C'est l'arme la plus dangereuse et la plus maniable que j'aie jamais eue entre les mains. On dirait qu'elle est un prolongement naturel de mon bras et de mon esprit. Qu'elle répond à ma volonté. Elle est parfaite.

Je suis ensuite rentré à la maison me doucher, aux alentours de midi. Seules Nanou et Rina étaient présentes. Apparemment, Lyrie et les jumeaux étaient sortis à l'aube et n'étaient pas encore revenus. Nanou m'a préparé des œufs avec de la viande séchée pour mon déjeuner. Puis je suis reparti immédiatement à la bibliothèque pour poursuivre mes recherches. J'ai consulté de vieux écrits sur l'année qui a suivi la création de l'Arragast, mais n'ai pas appris grand-chose. Si ce n'est qu'au moment où la frontière magique a été érigée par les dieux, une « ombre imposante et inquiétante aurait été aperçue dans le ciel de Priah avant de disparaître sous terre ».

Cela aurait-il un rapport avec les voix que j'entends dans le palais ? Qu'était cette ombre ? Une magie ancienne ? Un artefact ? Une créature ? Et puis, rien n'est affirmé, dans le récit. Il est possible que cette ombre n'ait jamais existé.

Peut-être trouverai-je quelque chose dans les livres anciens écrits dans la langue des dieux ? J'abandonne mon bureau et grimpe l'escalier pour gagner le rayonnage en question. Mes yeux se posent sur le canapé sur lequel Lyrie était assise la veille. Où elle a souri. Je vois encore son expression radieuse et son visage.

Je la chasse de mon esprit, je dois rester concentré. J'aperçois une bibliothécaire âgée en train de disposer quelques ouvrages sur un petit chariot. Elle paraît étonnée de me voir.

— Vous êtes ici par curiosité ou vous lisez la langue ancienne ? me questionne-t‑elle presque avec agressivité.

— Je lis la langue ancienne.

Elle semble se détendre et poursuit son classement.

— Vous cherchez quelque chose en particulier ? finit-elle par me demander.

— Je cherche des ouvrages sur l'année où l'Arragast a été érigé.

— Quel genre d'information voulez-vous ?

— Tout ce qui pourrait avoir trait à quelque chose d'inhabituel à Priah. Notamment une ombre aperçue dans le ciel.

— Ah ! s'exclame-t‑elle. C'est une vieille légende. Infondée, si vous voulez mon avis. Mais tenez, regardez sur votre gauche. Vous trouverez un ouvrage intitulé La Désertion de Priah. La légende que vous cherchez y est évoquée.

— D'accord, merci.

Je lui obéis et repère le livre en question. Il est tellement ancien qu'on dirait qu'il va s'effriter entre mes mains.

— Vous voulez emporter un livre chez vous ? me demande-t‑elle en désignant les ouvrages sur son chariot. On va les donner au musée, plus personne ne les lira. C'est bien dommage. Alors, si vous en voulez un, servez-vous.

— Merci, c'est gentil.

Elle s'éloigne pour me laisser tranquille. Je farfouille dans le chariot et parviens à dénicher un recueil de poèmes. Mes yeux se posent soudain sur le livre de contes que Lyrie avait choisi et qui l'avait amusée. Je souris en repensant à son expression de joie enfantine. Je m'en empare, et quand ce sera le bon moment, je le lui offrirai.

Puis je redescends à mon poste de travail et m'installe pour étudier. J'ouvre méticuleusement le livre. Certaines pages sont déchirées, l'encre effacée. Je parviens tout de même à comprendre l'essentiel. L'ouvrage relate une année bien sombre, pendant laquelle les creati ont été forcées de quitter Priah pour rejoindre Pehernel, laissant leur terre natale derrière elles. Les dieux avaient clairement énoncé leur volonté de créer un royaume sans magie ni créatures pour les hommes, une terre qu'ils avaient nommée Cindra, « sans magie ».

Des centaines de milliers de fae, de sorciers, de métamorphes et d'autres encore ont abandonné leur foyer. Un exode douloureux qui marqua profondément les esprits. Car lorsque ce fut fait, l'Arragast fut édifié. Et les hommes se retrouvèrent démunis : comment faire fonctionner les rouages de Priah sans la magie ? Plus d'éclairage, plus de chauffage, plus d'automatismes... Les maladies, la faim, la pauvreté... Ce fut une année désastreuse pour les hommes. La cité lumineuse de Priah devint un taudis où il ne faisait pas bon vivre.

J'ai du mal à imaginer Cindra dans un tel état, moi qui la connais si resplendissante. Mais effectivement, il a fallu attendre que la science comble les lacunes de la magie pour que la cité retrouve petit à petit sa splendeur.

La nuit où l'Arragast a été créé, les hommes qui vivaient à Cindra ont entendu une détonation. Se sont ensuivis un tremblement de terre et un tsunami qui ont ravagé la partie de la ville bordant les côtes. Une tempête sans précédent a éclaté. Les éclairs déchiraient le ciel, le vent arrachait les arbres, la pluie inondait les foyers. Puis une ombre gigantesque aurait été aperçue dans les nuages, terrorisant la population. Elle aurait tournoyé au-dessus de la ville avant de tomber du ciel et de disparaître dans les entrailles de la Terre.

Je soupire, frustré de ne pas pouvoir en apprendre plus. Il faudrait que je parle de tout cela au roi Geoffrey, peut-être pourrait-il m'en dire davantage au sujet de cette ombre. Je m'étire et réalise qu'il est déjà tard lorsque je regarde le vitrail sur ma droite. J'en ai plein la tête, il est temps de rentrer.

En sortant, je me rends compte qu'en effet, il est presque dix-neuf heures. Sur le chemin du retour, je ne cesse de penser à mes parents et à la tragique histoire de ma famille. Je pense particulièrement à ma mère, humaine dans un monde de fae hostiles, qui a affronté avec courage la jalousie et la méchanceté de la reine Aria, a survécu à ses tentatives d'assassinat et s'est battue pour pouvoir me mettre au monde.

Machinalement, mes doigts se posent sur l'anneau qui pend sur ma poitrine, dissimulé sous ma tunique. Tout le monde a raison. Tant de personnes se sont sacrifiées et battues pour moi. Il est grand temps que je les honore en affrontant le monde et en allant à la rencontre du vrai moi.