Prologue-1.

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Louise :

Je respecte beaucoup de règles. La ponctualité n'en fait pas partie. Ainsi, lorsque je tape le code permettant d'ouvrir les portes de ma salle d'entraînement, je ne suis même pas surprise que Manfred me réprimande alors je franchis l'entrée.

- La prochaine fois Agent SEMPEY, je vous lâche en retard, grince-t-il, l'air contrarié.

Consciente qu'il est parfaitement sérieux, j'incline légèrement la tête, sans pour autant prononcer un mot. Je ne suis pas en position de prendre la parole. La lumière de la salle est si blafarde que la peau noire de mon supérieur paraît encore plus foncée, ses yeux ébènes sont vides de toute expression. Mon expression reflète la sienne. Silencieusement, je vais me glisser entre Nina et Livio, mes camarades de section. Leur regard est rivé sur Manfred, leurs dos sont droits, leurs expressions illisibles. Je ne suis pas censée me référer à eux par leurs prénoms, et eux de même, mais nous avons tendance à transgresser cette règle également. Nous nous entraînons côtes à côtes depuis que nous sommes enfants. Du moins, pour la plupart d'entre nous. Les plus anciens ici sont Livio et moi. Tous les autres sont arrivés après.

- Je disais donc, avant d'être interrompu, reprend Manfred - que je suis par ailleurs censée appeler Adjudant-major BORRAS, que nous nous apprêtons à entamer vos deux dernières années d'entraînement. Cette année-ci commence dès aujourd'hui et par une Réinsertion.

Personne ne dit rien. Pourtant, je sais que tous sont frustrés. La semaine de réinsertion est l'exercice le plus exécré des recrues.

- Ainsi, puisque vous n'êtes pas majeurs, j'ai discuté avec vos responsables légaux, et nous avons établi des points d'envoi particuliers.

Je contracte légèrement la mâchoire. Manfred a pris cette décision en compagnie de mon père hier soir.

- Agent PENACINI, vous serez introduit à un groupe de sportifs en compétition en Allemagne. Ils vous accueillerons comme l'un des leurs.

Livio hoche sèchement la tête, mais je vois dans le fond de ses yeux que l'idée d'être exilé aussi loin lui déplaît.

- Votre binôme, Agent SEMPEY, sera introduite à un groupe de touristes en vacances dans les montagnes de Pyrénées.

Je dois me faire violence pour ne pas avoir de réaction. Un groupe de touristes ?

Imitant Livio, je hoche fermement la tête, et mon binôme salue brièvement Manfred avant de se diriger vers la sortie. Soupirant intérieurement, je fais de même et lui emboîte le pas alors qu'il annonce la destination d'Adrian, le binôme de Nina. Dès que les portes se sont refermées et qu'il nous estime assez éloignés, Livio s'arrête, bras croisés sur son torse, et se laisse reposer sur le mur. Une mèche rebelle de ses cheveux châtain clair tombe sur son front, ses yeux bruns ne reflètent rien. Je soutiens calmement son regard, évitant de laisser transparaître mon impatience. Il va falloir que j'aille me confronter à mon père, même si je n'ai pas la moindre idée d'où est-ce qu'il se trouve présentement. Je n'ai pas le droit de le savoir, de toute façon.

- Sous-sol, salle de conférence, déclare Livio de but en blanc, et je devine qu'il a suivi le fil de mes pensées sans que j'ai à les prononcer à voix haute.

Je retiens un soupir.

- Merci, Agent PENACINI. 

Je fais un pas en arrière, avant d'ajouter : 

- Bonne chance pour l'Allemagne, et à la semaine prochaine.

J'incline la tête dans sa direction alors qu'il hausse vaguement les sourcils, me prouvant son désir tout aussi moindre que le mien de retourner se mêler aux civils, et je m'engage dans les couloirs en direction des escaliers, que je descends en deux temps trois mouvements. Je repère rapidement la salle de conférence, et, sans prendre la peine de toquer, je l'ouvre brutalement. Elle frappe contre le mur avec force, et les officiers réunis là sursautent pour se retourner d'un même mouvement, main sur leur ceinture.

- Général Luc SEMPEY, je lâche froidement, les yeux rivés sur le plus grand d'entre eux.

Mon père soutient un instant mon regard, avant d'adresser un vague mouvement à ses confrères, qui restent immobiles. Alors, il contourne lentement la table sur laquelle il étudiait certainement sa prochaine intervention, et m'invite à sortir de la salle avec lui. Une fois la porte refermée, son attention se porte entièrement sur moi. Son crâne rasé laisse entrevoir quelques repousses brunes, et ses yeux foncés me fixent avec une pointe d'irritation. Je croise mes bras sur ma poitrine, pas impressionnée le moins du monde par notre différence de taille. Il fait approximativement trente centimètres de plus que moi.

- Un groupe de touristes à la montagne ? sifflé-je, me concentrant pour rester la plus froide possible, et ne pas me mettre à crier.

- Tu manques cruellement de contact humain, Louise, me répond-t-il, tel le bon diplomate qu'il est.

- Et pourquoi, à ton avis ? rétorqué-je d'un ton acerbe, telle la mauvaise diplomate que je suis.

- Tu n'as pas à discuter les ordres, c'est ainsi.

Je me renfrogne légèrement. Mon père est à la fois mon père, et mon supérieur. Il ne se gêne pas pour me le rappeler lorsqu'il estime que cela me sort de la tête. Cependant, je me borne :

- Je déteste les montagnes, je déteste les vacances, je déteste les gens. Sérieusement ?

- Nous partons demain matin avec Elizabeth et Lili.

Je contracte la mâchoire en roulant des yeux. Elizabeth est ma mère, Lili ma sœur.

- Génial. Génial.

Mon père m'observe quelques secondes en silence, puis, le visage neutre, il déclare :

- N'interrompt plus mes réunions, Agent SEMPEY.

Je me retiens de pincer les lèvres. Je suis allée trop loin. Mais je suis tellement furieuse que cela m'importe peu. A contrecœur, je le salue en me raidissant.

- Bien, Général SEMPEY.

Je tourne les talons sans lui laisser de me reprendre sur mon ton moqueur, et attrape mon pistolet entre mes doigts pour le faire tourner. 

J'ai besoin de décompresser. 

SolivagantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant