Solivagant

49-

Ma mère a un hoquet de surprise. Et pour la première fois de ma vie, je vois Luc perdre son sang-froid. Il m'attrape par le bras, et me tire violemment en arrière, loin de ma mère. Je trébuche, et il agrippe mes épaules pour me secouer brutalement. Il me crie quelque chose que je n'entends pas. Toute mon attention s'est focalisée sur ma mère.

Elle n'a pas répondu à ma question, et pourtant, j'ai compris son regard.

Naïm ne m'a pas menti.

Il est mon père.

Ils m'ont menti toute ma vie. Je suis saisie d'un haut-le-cœur. Je me retire vivement de la poigne de Luc, les yeux écarquillés. Il me fixe, comme s'il s'attendait à ce que je réponde à ce qu'il vient de me crier. La seule chose qui me vient, cependant, c'est :

- Comment avez-vous pu ?

Luc tente un pas en avant. Je recule aussitôt. Mes mains tremblent, j'ai l'impression que tout mon monde vient de s'écrouler comme un château de cartes. Ma mère s'est effondrée. Mes yeux s'humidifient sans que je ne puisse les en empêcher. La colère monte en moi, et je dois me faire violence pour ne pas crier.

- Explique-toi, intimé-je à ma mère, plus froidement que je m'en serais crue capable.

- Louise... tente Luc.

- Tais-toi, je le coupe agressivement, les yeux rivés sur Elizabeth.

Sanglotant, elle relève ses yeux bleus rougis par les larmes dans ma direction. Malgré son choc, elle semble s'apercevoir que son mari est tendu au possible puisqu'elle trouve la force de se lever pour aller poser une main sur son bras. Je me raidis.

Il n'est pas mon père.

- Comment as-tu appris ça ? m'interroge-t-elle d'une petite voix.

Je contracte ma mâchoire.

- Il me l'a dit.

Elle acquiesce en reniflant.

- J'ai rencontré Naïm au lycée, narre-t-elle sans détacher sa main de Luc. Je te passe les détails, nous sommes tombés amoureux. Il m'a révélé l'existence des Enfants. Je...

Ma mère détourne les yeux, et je croise mes bras sur ma poitrine, comme si cela allait me donner d'affronter la suite du récit. Récit que Naïm m'a déjà conté.

- Lorsqu'il a décidé de se détacher d'eux, nous nous sommes enfuis. Au départ, je ne comprenais pas trop... et puis je me suis aperçue que la vie de fugitif impliquait la traversée d'épreuves que je n'étais pas prête à affronter. Du moins, je n'étais plus prête à les affronter lorsque je suis tombée enceinte de toi.

Une larme lui échappe, elle ne prend pas même de l'essuyer. Elle déglutit.

- A ta naissance, je... en te voyant, si petite, si innocente, j'ai décidé de quitter cette vie. De partir loin de la violence, et de t'offrir une vie normale et heureuse. Celle que j'avais pu expérimenter avant de rencontrer Naïm.

C'est plus fort que moi. Je la coupe :

- Alors pourquoi m'as-tu laissée entrer chez les Enfants ?

Ma mère jette un coup d'œil à Luc. Je sens son regard rivé sur moi, sa colère me parvient comme des vagues un peu plus intenses à chaque phrase de sa femme. Finalement, elle soupire :

- J'ai rencontré ton père. Je savais que c'était un Enfant car Naïm me l'avait dit, il avait la charge de le surveiller, surtout depuis que nous sortions ensemble.