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Une semaine après que mes quatre compagnons ont été partis, Naïm a décidé d'inviter Nathanaël à manger à notre table. Mon cousin était mitigé quant à cette décision. Il s'est disputé une fois ou deux avec Justin. Quelque chose a changé dans la manière d'être de ce dernier. Il se fait plus petit. Il a l'air plus faible encore que ce jour où nous l'avons trouvé dans la forêt. Il est pâle, maigre, comme s'il était malade. Ses yeux sont gonflés. D'après Naïm cependant, il refuse de voir un docteur.

S'il souhaite se laisser mourir à petit feu, ce n'est pas moi qui irait l'en empêcher.

De son côté, Owen n'a fait qu'augmenter mon ressentiment chaque jour un peu plus. Dans une tentative de contrer sa manie à s'écarter de moi comme si je le brûlais, je me suis mise à faire de même. S'il semblait confus au départ, il me semble avoir remarqué que mon imitation de comportement le met sur les nerfs également.

Ce soir, Nathanaël marche en notre compagnie. Il a pris l'habitude de quitter la table au moment où Owen venait me chercher. Nous marchons tous les trois jusqu'aux escaliers menant au dortoir des garçons, et mon cousin nous laisse continuer jusqu'à ma cellule. Ces « promenades » quotidiennes m'ont appris qu'en plus de partager la même chambre, Nathanaël et Owen s'entendent suffisamment bien pour pouvoir affirmer être meilleurs amis. De fait, les discussions sont plutôt légères, puisque le châtain ne se comporte pas tout à fait de la même manière avec moi qu'avec mon cousin.

- Justin s'est fait démolir par Ejlan, aujourd'hui, déclare Nathanaël.

Je ne suis pas surprise. Ce soir, l'adolescent arborait un œil au beurre noir monstrueux. Il semblait encore moins en forme que d'habitude.

- Je ne suis même pas sûr qu'il ait essayé de se défendre. Ejlan ne le supporte pas, et il le lui a bien fait savoir. Heureusement qu'Alary était là pour le tempérer, je crois qu'il l'aurait tabassé à mort, sinon.

- A ce point ? marmonne Owen en lui jetant un coup d'œil.

Nathanaël acquiesce.

- Je te l'ai déjà dit. Tu as ruiné sa réputation le jour où tu es venu lui en mettre une.

Owen hausse nonchalamment les épaules.

- Il l'avait méritée.

- Je n'ai pas dit le contraire. Ejlan est venu te chercher parce que sinon, c'est mon poing qu'il aurait prit dans la figure.

J'esquisse un sourire alors que le châtain lève les yeux au ciel, légèrement amusé. Nous nous arrêtons devant l'escalier que mon cousin doit emprunter, et il me salue de la main.

- Je ne suis pas sûr qu'il ait encore la détermination à se battre.

- Pour sa vie ?

Nathanaël grimace légèrement, mais acquiesce avant de disparaître dans les marches en spirale. Je laisse Owen m'entraîner jusqu'à ma cellule dans un silence qui, et je m'y suis presque habituée, est toujours pesant. Lorsque ses doigts s'enroulent de mes poignets le temps qu'il abaisse son pistolet pour entrer le code d'accès, je m'écarte d'un pas, et Owen soupire exagérément. Il ne m'a pas paru de très bonne humeur aujourd'hui. Etrangement silencieux.

- Tu vas continuer comme ça longtemps ? s'irrite-t-il pour la première fois.

A moitié surprise, je me tourne dans sa direction.

- Je ne sais pas. On pourrait se mettre d'accord sur une date ?

Il roule des yeux en comprenant que j'ai bien remarqué que pendant un temps, il avait exactement la même manie, et que je ne fais que lui renvoyer la balle. Cependant, après quelques secondes de réflexion, il interroge :

- Quel jour sommes-nous ?

Je fronce les sourcils.

- Aucune idée. Tu penses que j'ai un calendrier dans ma cellule et que je coche une case tous les matins ?

Il sourit, mais secoue négativement la tête et me fait signe de me retourner pour qu'il puisse me retirer mes menottes. J'obtempère, et en attrapant mon poignet, il murmure :

- Je propose aujourd'hui.

Je me mords la lèvre, et après quelques secondes de silence, mes menottes glissent de mes poignets, et Owen soupire :

- J'ai cru que j'étais devenu fou.

Je me tourne dans sa direction. Mon regard croise ses yeux noisette, et j'incline légèrement la tête pour l'inviter à continuer. Il grimace.

- Je pensais que ce que j'avais ressenti... ce que je ressentais était lié à la fatigue.

Il détourne le regard, et j'inspire profondément. Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne chose, mais je vois exactement ce qu'il veut dire. Alors, je me risque :

- Et, tu as rattrapé tes heures de sommeil ?

- J'en ai l'air ?

J'esquisse un sourire.

- Non.

Il soupire.

- J'ai pensé que rester le plus éloigné possible arrangerait les choses.

Je plisse légèrement les paupières. Etrange stratégie. Pas sûre qu'elle aurait fonctionné dans n'importe quel autre cas. Toutefois, je demande :

- Et, ça a fonctionné ?

Il me foudroie du regard.

- Non. Tout n'a fait qu'empirer, parce que tu t'es mise à faire exactement la même chose.

Je hausse les épaules.

- Ce n'est pas ce que tu veux ?

La mâchoire contractée, les yeux ancrés dans les miens, Owen prend une profonde inspiration. Il semble se livrer un véritable combat interne avant qu'il ne lâche, très bas, comme si ces mots lui écorchaient la bouche :

- Ça me rend fou.

C'est plus fort que moi. Je souris.

- C'était le but.

- Naïm me tuerait, s'il apprenait ça, s'irrite-t-il.

Je hausse vaguement les sourcils en soutenant son regard, et il souffle :

- Tu t'en fiche, pas moi.

- Je n'ai pas dit ça. Naïm n'est pas cruel. Non, je pense qu'il te retirerait ton poste et qu'il te renverrait avec Nathanaël...

- Oh, beaucoup mieux, bougonne-t-il.

Je ricane.

- Peut-être que ça t'aiderait. « Loin des yeux, loin du cœur. »

Owen fronce les sourcils.

- Ce n'est pas « loin des yeux, près du cœur » ?

Je hausse les épaules.

- Choisis celle que tu préfères.

Le châtain se pince les lèvres, puis interroge :

- Près des yeux, près du cœur, ça n'existe pas ?

Surprise, je ris franchement en secouant négativement la tête, et Owen esquisse un sourire avant d'attraper ma taille et d'écraser ses lèvres contre les miennes. Je passe mes mains derrière sa nuque alors qu'il me serre contre lui, et lorsque nous nous séparons, il pose son front sur le mien, les yeux fermés, et chuchote :

- Bonne nuit, Lou. 

SolivagantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant