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Je sens au regard de mon père sur moi que l'absence de mes lentilles le dérange. Il n'a pas l'habitude de me voir sans. En fait, personne ne me voit jamais sans. Les Enfants estiment que les yeux vairons sont une caractéristique bien trop repérable pour être laissée à la vue de tous. J'ai toujours dû les cacher.

Apparemment, Naïm aussi.

- Comment t'en es-tu sortie ? interroge ma mère alors que nous nous dirigeons vers la gare, n'y tenant plus.

Je lui jette un coup d'œil. Maintenant que le choc des retrouvailles est passé, je me sens tendue. Presque irritée.

- Après combien de temps avez-vous perdu espoir de me revoir en vie ? j'interroge évasivement.

Ma mère me jette un regard indigné.

- Nous n'avons jamais...

- Lorsque les quatre autres jeunes ont mystérieusement réapparu, la coupe mon père, les yeux rivés sur la route.

J'acquiesce doucement. Je reste silencieuse quelques secondes, écoutant le bruit de nos pas contre le bitume. Finalement, fourrant mes mains sales dans mes poches, je déclare :

- Nous devons discuter.

- En effet, répond froidement mon père.

- Pas de moi, je le détrompe.

Il me jette un regard. Il n'exprime aucune surprise mais je sais qu'il est intrigué. Je reporte mes yeux sur ma route. Puis, je donne un coup de menton en direction de ma mère.

- Nous devons parler de toi.

Ma mère hausse les sourcils, surprise.

- De moi ?

Je contracte légèrement la mâchoire.

- Oui. Je sais que tu, que vous mourrez d'envie de savoir où j'ai bien pu disparaître ces trois derniers mois, alors nous allons faire un marché. Vous répondez à mes questions, et je répondrai aux vôtres.

- Que...

Ne trouvant pas ses mots, ma mère referme la bouche. Satisfaite, je hoche la tête. Puis, je décide de ne pas passer par quatre chemins :

- Pourquoi ne nous as-tu jamais dit que tu n'étais pas fille unique ?

Ma question la cloue sur place. Je m'arrête en me tournant dans sa direction, les mains toujours dans les poches. Je suis étonnée que Luc ne m'ait pas reproché le pistolet que je porte à la ceinture. Qu'il n'ait pas encore posé de questions. Que le policier ne l'ait même pas remarqué. Que les gens dans la rue non plus. Mais mon père s'est tendu. Je le sens, un changement presque imperceptible dans sa démarche.

- Comment est-ce que tu sais ça ? s'étrangle ma mère, les yeux écarquillés.

- Un frère, ou une sœur ?

Les yeux de ma mère s'humidifient. Pendant une seconde, je lui regrette de lui balancer à la figure que je sais qu'elle avait un frère ou une sœur décédé. Mais le regret s'évapore aussi bite qu'il est arrivé. Elle m'a caché son identité. Ils ont décidé de nous caché l'arrivée prochaine de Nathanaël dans le cocon familial. Ils nous ont caché son existence à lui aussi. Et peu importe qui il est pour moi, elle m'a caché l'existence de Naïm.

- Un frère, murmure-t-elle alors. Ludovic.

Je hoche doucement la tête. Ludovic PAANANEN.

- Comment est-il mort ? j'enchaîne alors.

- Louise, use un peu de tact, me réprimande sèchement mon père.

SolivagantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant