Solivagant

46-

Je m'engage dans un petit village quand ma moto, qui avait allumé son voyant rouge depuis quinze bonnes minutes, cale brusquement. Je souffle, irritée, et descends afin de m'écarter de la route. La voilà en panne d'essence.

Je me déporte dans une petite ruelle sombre, et me penche pour inspecter l'engin. J'ai bien abîmé les roues également. Je sursaute presque lorsqu'une voix trainante provenant du fond de la ruelle m'interpelle :

- Un problème, mademoiselle ?

Je me redresse pour me tourner vers l'origine de cette voix. Une jeune homme, la vingtaine sûrement, sort de l'ombre, lui aussi capuche rabattue. Il sourit légèrement. Je jette un coup d'œil à la moto.

- Ce n'est qu'une panne d'essence.

- Voilà quelque chose de bien embêtant... marmonne-t-il en s'approchant encore.

Je soupire. Cet homme, typé asiatique, a un très léger cheveux sur la langue, qui pourtant décrédibilise totalement l'air intimidant qu'il tente de se donner. Ses vêtements sont sales et je ne serais pas étonnée qu'il soit SDF. Il s'arrête à moins d'un mètre de moi, et je fronce le nez en identifiant une forte odeur de drogue mélangée à la sueur émanant de lui. Tentant toutefois le tout pour le tout, je me risque :

- Vous ne sauriez pas où est-ce que je pourrais en trouver ?

Il hausse nonchalamment les épaules.

- J'en ai chez moi, si tu veux me suivre...

Seule ma moto m'empêche de reculer d'un pas, et je suis soudainement beaucoup trop consciente du pistolet dans ma ceinture.

- Il n'y a pas de station ? m'irrité-je.

Le jeune secoue négativement la tête.

- Non. Suis-moi, je te fais ça gratuitement...

Il me sourit d'une façon infecte, et je suis à deux doigts de lui brandir mon arme devant le visage, quant une deuxième voix, plus claire, intervient :

- Fais pas le con, Hiram.

Un garçon, plus jeune que le précédent, mais physiquement très semblable au premier, quoique plus propre sur lui, se détache de l'ombre à son tour, bouscule le dénommé Hiram pour venir me tendre une main.

- Raphaël, se présente-t-il. Excuse mon frère, il n'est...

Il jette un coup d'œil à son aîné.

- Pas encore sobre.

Je constate qu'en les regardant de près tous les deux, la ressemblance est encore plus flagrante que de loin. Raphaël toutefois, est légèrement plus petit et plus imposant qu'Hiram, qui lui est étonnement mince. Reluctante, je serre sa main et réponds calmement :

- Lou'.

Le jeune acquiesce.

- Enchanté. Tu as besoin d'essence, si j'ai bien entendu ? interroge-t-il en lorgnant la moto.

J'opine du chef, et après un instant d'hésitation, il me fait signe en direction du fond de la ruelle.

- Hiram n'a pas tort. Nous en avons chez nous.

Il jette un regard lourd de sens à son aîné.

- Tu n'as rien à craindre.

Ce n'est que parce que je me sais armée que j'accepte. Je saisis ma moto et m'engage sur les pas de Raphaël. Son frère fait également demi-tour, non sans me lancer un regard qui me fait serrer les dents.