Chapitre 7. Chronos

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—— Violette——

— Pourquoi t'es tout le temps grognon Deen ?demandai-je au rappeur qui semblait perdu dans ses pensées.

Je le trouvais tellement triste, cela m'avait sauté aux yeux au mariage de Clem, je ne comprenais pas pourquoi, il traînait avec lui cette espèce de mauvaise humeur chronique.

Il ne souriait pas, il grimaçait.

Il ne riait pas, il ricanait.

Deen dégageait une sorte de lassitude et d'aigreur qui m'interpellaient, l'ayant côtoyé les années précédentes, je savais qu'il n'avait pas toujours été comme ça. C'était quelqu'un de bon vivant, drôle et affectueux et même s'il avait un côté grincheux, on l'oubliait vite pour sa chaleur humaine et son humour.

Mais là, il semblait vraiment dans une sale période.

— Je sais pas, souffla-t-il, Je... j'y ai pensé ce matin. Je suis dans une phase chelou où j'ai envie de rien, tout me pèse et clairement, c'est plus facile d'être un connard que de faire des efforts pour être aimable.

Je fus très surprise par la lucidité de sa confession. Pour moi qui étais quelqu'un qui avais plutôt tendance à voir le bon côté des choses et à me réjouir de tout, c'était invraisemblable de se laisser aller ainsi.

— C'est la crise de la trentaine ? Tu sais qu'il te reste deux tiers de siècles à tirer ? Si t'es déjà déprimé maintenant tu vas pas t'en sortir.

Il soupira et se leva pour sortir de la rame, je le suivis.

— J'ai l'impression que c'est vraiment un truc qui revient chez tous les mecs qui ont un talent littéraire, fis-je alors nous montions les escaliers, même les filles en fait.

— Quoi ?

Deen avançait trop vite, j'étais à bout de souffle.

— Ralentis et je t'explique.

Nous arrivions au grand jour. Il se retourna brusquement devant moi.

— T'es vraiment pressée ? demanda-t-il, t'as le temps pour un café ?

Surprise, je hochai la tête, les tonnes de projets à rendre pour lundi attendraient, je n'étais plus à une nuit blanche près. Pour une fois qu'il n'avait pas l'air d'avoir envie que je lui lâche la grappe.

Une paire de minutes plus tard nous entrions dans un café.

— Alors, explique ta théorie gamine, on a quoi les mecs talentueux ?

Je souris, sa façon de poser la question était limite agressive.

— Tranquille cousin, on se détend. Je pense que les personnes qui ont une intelligence comme la tienne, celle de Nek, d'Orelsan, ou même des écrivains en général, je pourrais t'en citer à la pelle, ont une propension plus forte à déprimer que les autres.

— Pourquoi ?

Il se frottait la barbe, me regardant presque avec défis. Je voyais bien qu'il avait peu confiance en mon jugement, pour lui j'étais qu'une gamine qui ne connaissait rien à la vie, j'allais lui sortir une théorie fumeuse de psychologue de comptoir. Pourtant j'étais certaine de ce que j'avançais.

— Votre imagination travaille tout le temps, vous passez beaucoup de temps à analyser ce qui vous arrive, à penser au futur, au passé. Vous n'arrivez pas à empêcher vos pensées de divaguer. Quand tout va bien dans votre vie, vous êtes à fond et vous êtes les personnes les plus drôles et agréables du monde. Mais une merde, une peine, un manque, une incertitude, et paf vous pensez plus qu'à ça. Ce qui se passe autour de vous, vous affecte plus que vous ne voudriez l'avouer, l'état du monde vous pèse. Vous intériorisez, vous ressassez, vous écrivez des textes déprimants. Et par la même occasion vous êtes insupportable pour votre entourage, parce que votre état dépressif vous empêche de vous décentrer de vous même, et que « personne vous comprend ». Je pense que c'est un truc qu'ont en commun les littéraires et les artistes, et vous, vous êtes les deux en même temps. Encore pire.

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