59. Yeux

7 4 0
                                    

J'ai ouvert les yeux.

Je n'ai pas tout de suite vu
Ni les téléphones
Qui nous filmaient
Ni les regards avides
De ceux qui les tenaient.

Je n'ai pas tout de suite constaté
Les adultes qui accouraient
Pour les séparer
—Éventuellement—
Pour nous défendre
—Peu probablement—
Pour nous regarder eux aussi
—Très certainement.

Je n'ai pas non plus prêté attention
À l'effondrement total
De toutes ces choses qui habitent en moi
Tous mes sentiments
Poignardés par une cruelle solitude
S'étalant sur le sol.
Ni à tous ses mots
Qui naissant de mon cœur
Voulaient bondir à leur visage
Pour leur demander
« Est ce vraiment grave de ne pas aimer
Un être humain
Pour son corps
Mais pour une beauté plus profonde ?
Est-ce vraiment grave
Si au lieu de quelques cellules bien placées
J'ai aimé
Les mots de son esprit ? »

Je n'ai pas non plus pris garde
A l'air si froid de l'automne
Qui a picoté mes lèvres vides
Lorsqu'elle est partie.
Je n'ai pas regardé
Toute la malveillance de l'incompréhension
Qui s'est élevée autour de moi
Me laissant
Seule.

Non.

J'ai seulement vu
Dans la foule de mes blessures
Ses yeux
Remplis de larmes.

Et je crois que c'est la pire image,
Au delà de leur méchanceté
Au delà de leur incompréhension
Au delà de leur stupidité
Au delà de leur maudite haine de l'amour,
Ce sera là la pire image
Qu'il me restera de ce jour.

Je n'ai jamais su
—Même des années après—
Si c'étaient des larmes de haine
Contre moi
De colère
Contre eux
Ou de déception
Pour nous.

Et je ne le saurai sûrement jamais.

Tous les mots de nos silencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant