89. Cloé

3 2 0
                                    

Je peux m'asseoir ?

Je me retourne
Face aux éclats
Qui ont brisé mon silence.

- Oui.

- Je m'appelle Cloé.
Sans le h.
C'est important de le préciser.

- Ludivine.

Je n'ose pas la regarder.
Trop honteuse
De mes pauvres réponses estropiées.
J'aime bien me dire
Que je ne parle pas
Uniquement parce que la communication
Détruit le langage.
Mais la réalité
C'est plutôt que je ne sais pas parler.

Alors on reste là
Assis dans l'ombre
Et dans le silence.

J'essaie de noyer
Mes idées noires
Ses poèmes dorés
Et toutes ces choses qui demandent
De m'arracher à moi-même
Pour être oubliées.

Je pensais que traverser les kilomètres,
Parcourir les paysages
Fouler les contrées
Me permettraient
De tourner la page
Et d'oublier.

Mais quand ici
A l'autre bout de la terre
Je regarde la nuit
Toutes mes théories
Se rappellent à moi
Et tombent, vides, là,
Comme insensées :
Les étoiles sont les mêmes
Sur ma tête et sur la sienne.

- Tu aimes bien écouter le silence
Pas vrai ?

Je ne réponds pas.
Elle n'en a pas besoin, elle le sait.
Elle a déjà compris, et elle poursuit.

- Tu penses à celui que tu aimes ?

Je ne me suis pas retournée.
Je n'ai même pas détourné le regard.

Juste un fourmillement dans la paupière.
Rien de plus.

Inutile de le lui cacher, car
Je ne sais pas si c'était la nuit
L'alcool, ou tout simplement la solitude
Mais de mon regard
elle savait déjà tout.

- J'ai été amoureuse un jour.
Un amour à sens unique tu sais
Celui que tout le monde
Nous dit d'abandonner.
Alors naturellement
C'est ce que j'ai fait.
Pas par désespoir non
Mais parce que je pensais
Que le silence serait moins douloureux
Que ses mots.
Ses mots qui arrachent la peau
À en faire dégouliner le sang
Ses mots pour blesser, pour éloigner
Ces mots qui exilent hors d'une frontière
Que l'on a vu naître,
Ces mots créés pour dire non
Et briser des rêves.
Et bien sache que je m'étais trompée.
C'est paradoxal, je sais
Mais il n'y a que les mots
Qui peuvent guérir les plaies qu'ils ont ouvertes
Les laisser à l'air libre
Ne peut
Que les infecter.
On naît tous avec une voix
Et un cœur pour aimer
Avant de s'enfoncer de nouveau
Dans les limbes de l'univers.
Ce serait bien trop dommage
D'abandonner
Nos seules lueurs immortelles
Qui peuvent rendre le ciel
Un petit peu plus bleu
Un petit peu plus beau.
Je suis contente pour toi
Si tu es heureuse et amoureuse,
Mais n'oublie pas que le silence
Ne vaudra jamais une parole.

Pourtant,
Elle m'avait dit tout ça
Dans le plus grand des silences.
J'en suis certaine.
Car quand elle est partie
Il y a eu une clameur immense
Qui a retentit.
Comme si tout se réveillait en moi.

Tous les mots de nos silencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant