Tous les mots de nos silences

30. Robe

- Ludivine !
Interjection
De virulente passion
Émise dans la maison.
- Oui ?
Un oui timide
Faussement innocent
De peur tout tremblant.

- Regarde
Ce que j'ai acheté pour toi
Au halles du centre ville !

Trop d'excitation trop d'engouement
Pour que ce soit une bonne nouvelle.
Peut être redoutait elle ma désapprobation,
Des yeux de tristesse et de déception,
Ceux-là même qu'ont été les miens
Quand ma mère est arrivée une robe à la main.

Elle était noire
Un col à paillettes
Bien trop de déboires
Tout ce que je déteste.

Je ne sais pas pourquoi
Ils ont tous besoin de se rassurer
En voulant voir mes chevilles
Pour leur permettre d'affirmer
Que je suis bien une fille.

Mais bonne diplomate
Sans aucune franchise
Je souris
- Merci maman
Ça me fait très plaisir.

Ses traits se détendent un peu
Et je sais
Que c'est là ma vraie raison
D'enfiler cette robe en dentelle.

- Grand-mère vient
Cette après-midi.
Tâche d'être raisonnable.

Ah.
Il est donc là
Ce fil qui conduit toute cette mascarade

Il est vrai que la dernière fois
J'avais un peu
Élevé la voix.
Ce n'est pas dans mes habitudes
Je le sais
De faire entendre le son de ma colère
Mais s'il y a un combat à mener,
Une cause contre laquelle crier
C'est bien contre la haine.

La malheureuse
Dans ses habits de froufrous et de chichis
Après s'être longuement lamentée
Sur mon physique d'asexuée
Avait dit :
« Bientôt
Toute notre belle race blanche aura disparu
Ces vermines colorées se reproduisent à tout va
Et notre noble couleur de peau
Aura fini par être corrompue
Par ces tentures pigmentées.
Voyez où va le monde !
Les hommes embrassent des hommes
Les grosses femmes s'exhibent en public
L'humanité entière devient noire
Et regarde,
Même ta fille, Marlène,
S'amuse à se travestir.»

Marlène n'avait pas l'air d'être choquée.
Alors pour réveiller un tout petit peu
Et remettre sur terre
L'esprit de ma mère
J'ai été dans la malheureuse obligation
De lui répondre sympathiquement :