Tous les mots de nos silences

72. Cyrano

Je me retourne
Et ce sont ses yeux
Que je ne vois pas. 
Animés par quelque sentiments
De honte ou de repentance
Ils ont préféré chercher
Le regard de ses souliers
Que ceux de mes reproches.

Il faut que je lui parle.
C'est une évidence
Qui s'installe en moi.
Car j'ai décidé d'être forte.
Et que si elle refuse de porter mon amour
Alors c'est moi qui l'amènerait un peu plus haut
Toujours, un peu plus à bout de bras.

Je sais que ce qu'il y a dans mon coeur
Est plus fort que ce qu'il y a dans ma tête.
Et personne, non personne,
Ne pourra me persuader de l'inverse.

Alors
Je lui parle.

- J'ose être enfin moi-même et j'ose, là, ô ma Rose
Devenir ce soir celle qui au ciel s'oppose.
Celle que de tous les temps vous attendiez,
Celle qui devant tous osera déclamer
Combien elle vous a aimé, cette fille-là !
Et combien de larmes que pour vous elle versa !
Si vous saviez ma Roxane - Non, Rose ! comment
Vous rendez chacun de mes rêves innocents,
Comme replongés dans cette tendre enfance où
Tout ce qui comptait était l'émotion, c'est tout.
C'est fou comme l'amour semblait une évidence...
Et voilà qu'avec vous ainsi tout recommence !
Ignorons ces regards, sachant que j'ai raison
Étant tout emportée par cette sensation ...!
Et tout maintenant deviens lucide : je vous aime !
Cessez tous votre air incrédule, j'en suis certaine !
Alors quoi, notre amour serait-il interdit ?
Pourtant, je le sais, sous ce balcon il fait nuit.
Alors que reprocher à des amours diaphanes
Qui vont plus loin que le cœur et plus haut que l'âme ?
Vous ne pouvez nous voir du haut de ce balcon :
Ne tentez pas d'apercevoir notre passion.
Elle ne fait qu'exister dans les cœurs amoureux,
Ceux qui ont su oublier tous ces corps affreux,
Ceux qui ont su tenir dans leur paume l'éclat
Du véritable amour qui lui ne mourra pas.
Je t'aime je suis fou je n'en peux plus c'est trop !
Et pour toi ô ma Rose
Je serai, dès ce soir, le plus amoureux de tous les Cyrano.