91. Temps

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J'attends, face à la mer.

Difficile de dire pourquoi
Cela paraît si beau à mon cœur
D'attendre sans comprendre...
Mais une seule réponse ose se naître en moi :
Il le faut.

Les vagues semblent blêmir
Dans l'horizon du temps
Alors je reste là,
A attendre le moment
Où elles seront toutes blanches.

Juste pour le plaisir
De regarder passer
Des secondes qui à jamais me resteront inconnues,
Juste pour tuer un peu
L'éternité.

C'est ce qu'il nous faut
A nos mots :
Du temps.
Alors même si je sais
Que l'instant crucial
Est comme déjà vécu,
Je caresse l'espoir
D'étendre un peu plus loin
Nos cicatrices blanches.

Peut-être que nous seront un peu plus vivantes
Si nous osons nous laisser mourir un peu.
Les couleurs seront sans doute plus vives
Si tout se laisse tenter
Par la pâleur de l'écume.
Laisser mourir le temps
Peut faire revivre les choses.

C'est sans doute le plus beau des paradoxes
D'une existence humaine.

A quoi servent les livres d'après tout
Si ce n'est tuer du temps
Pour le sublimer ?

Toutes ces lignes, ces mots inutiles,
Tout ce temps humain gaspillé à écrire
Des mots
Que l'univers ne connaîtra jamais
Que si peu d'âmes vivantes pourront citer dans une phrase
Et qui finiront par mourir
Sur des pages humides de temps
Et d'oubli.

Tous ces signes qui dans mille ans
Ne voudront plus rien dire.
Comment auraient-ils survécu
Si la poésie
N'était pas prophète de la Beauté
Et de la vie ?

*

J'entends ma famille s'affairer
Derrière
Dans la pièce d'à côté.
Le départ imminent me remplit de cette sorte
D'excitation et de souveraineté immense,
Que seuls connaissent
Ces moments où le devoir ne s'impose plus
Mais devient.

Alors je me lève
Et je sais,
Et tout sonne comme une certitude dans ma tête :
Le compte a rebours est lancé
Le sablier a été retourné :

Nous avons une vie pour nous aimer.

Tous les mots de nos silencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant