81. Frontière

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À partir de ce jour-là
On peut dire que ma vie
S'est résumée à l'attendre.
Secondes parfumées du gravier grisonné
Minutes aux mélodies des passants
Tout semble s'unir en un but :
L'attendre.

Je l'aperçois, parfois,
Ses cheveux traînant un peu derrière sa démarche folle.
Leur éclat semble me narguer
Avant de s'enfoncer
Dans un monde merveilleux
Que je ne pourrais jamais toucher.

Alors je recommence le lendemain.

J'ai vu l'aube tendrement s'éveiller avec le printemps.
Il est prodigieux de voir comme ça passe vite, le temps
Quand on est amoureux...
Le froid a quitté sa peau fragile
Chassée par les premiers rayons de lumière.
Ils l'ont habillée comme on vêt un enfant,
Avec une infinie douceur.

J'aurais aimé être de ces rayons de soleil,
Si vifs et pourtant si brefs
Que son éphémérité aurait fondu
Comme de la cire parfumée
Sur sa chair délicate.

Mais je demeure, seule
Debout dans le jour qui fane
A espérer croiser son regard. 

Je voulais juste qu'elle voie
Tous ce que je suis devenue
Pour elle.
Toutes les frontières que j'ai franchies
Toutes les barrières qui m'ont arrachées la peau
Qui ont fait couler une rivière de tout mon sang
Que je n'ai pas dû regarder être absorbée par la terre
A force de crever ma chair
Toutes ces frontières
Que malgré tout j'ai traversé avec toute la hargne du monde
Pour atteindre ma terre promise,
Mon Eldorado.
Au prix de mon nom, de mon estime, de mon identité
Je me suis essoufflée dans un désert sans fin
Étouffée plus par mes pleurs que par le sable qui m'a déchiré les poumons,
Comme on parcourt des milliers de kilomètres suffocant dans un camion
La peur déchirant le ventre
Pour être libre,
J'ai tout perdu de moi

Pour être aimée.

Tous les mots de nos silencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant