Chapitre 60.1

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Chapitre Soixantième - Partie I

James avait pris un taxi entre l'aéroport de Belfast et Portaferry. Il était arrivé en début d'après-midi dans le village. Il avait payé son taxi après qu'il l'ait déposé à l'entrée de l'impasse de chez les Carter. Puis il avait marché jusqu'à la maison où il voulait aller. Il n'avait pas un sac, il avait passablement oublié et pas tellement prévu de s'éterniser. Parce qu'il ne savait pas à quoi s'attendre. Il s'était avancé vers la porte d'entrée bleue et avait fait sonner la petite cloche sur sa droite. C'est Nelly qui avait ouvert, et elle avait fait une drôle de tête en voyant James sur le pas de sa porte.

« James ?

— Bonjour Nelly, je... Je sais que je débarque un peu à l'improviste, mais... Je... »

Il n'avait pas eu à s'expliquer davantage, elle s'était écartée de l'embrasure de la porte pour le laisser entrer.

« Elle est dans sa chambre. »

James avait fait un petit signe de tête à Nelly pour lui dire qu'il avait entendu, et qu'il la remerciait aussi. Il la remerciait de ne pas poser plus de questions, de ne pas lui en vouloir, de ne pas être en colère, de le laisser entrer, de le laisser voir sa fille et de plein d'autres trucs aussi. Mais il n'avait rien dit avec des mots, il avait espéré qu'un mouvement de tête allait suffire. Et puis il était entré, il avait filé vers l'escalier, l'avait monté tout en sachant pertinemment qu'elle saurait qu'il s'agissait de lui, parce qu'elle reconnaissait, sans jamais se tromper, les pas de chacun de ses proches dans les escaliers.

Il avait eu raison, car quand il ouvrit la première porte sur sa droite, elle était assise dans son lit, droite comme un I. Elle l'attendait. Elle savait que c'était lui. Sans un mot, il avait refermé la porte derrière lui et était allé s'asseoir au bord du lit, en posant la pochette bleu délavé qu'il avait reçu à côté de lui. Ils se regardaient.

Okay, James n'avait pas prévu que ce soit aussi facile. Il avait prévu plein de choses à lui dire, parce que même s'il avait voulu se battre pour elle et pour ce qu'ils partageaient, elle avait des explications à lui donner. Pas mal même. Sauf qu'il mourrait d'envie de la prendre dans ses bras, dans sentir de nouveau sa peau contre la sienne, ses lèvres sur les siennes - même si elles semblaient plus sèches qu'à l'habitude. Il voulait pouvoir de nouveau passer ses doigts dans ses cheveux, et pouvoir glisser ses mains sous son t-shirt. Il ne voulait plus sentir cet air qui les séparait. Cet air avait fini par lui faire peur.

« Ashling...

— Je pensais pas que tu viendrais, chuchota-t-elle. Je pensais que tu m'avais oubliée.

— Ashling, à quoi tu joues ?

— À rien...

— Ton départ, ce livre, ton état. À quoi tu joues ?

— C'est le livre que je voulais t'écrire. Tu m'as écrit une chanson, je voulais t'écrire un livre et... Je voulais mettre en mots notre histoire, parce que ça la rendait plus réelle. C'était m'assurer de ne jamais oublier mes souvenirs. Je voulais t'expliquer aussi.

— M'expliquer quoi ? Pourquoi t'es partie en pleine nuit ? Pourquoi je me suis endormi avec toi dans mes bras et me suis réveillé avec un lit aussi vide que tes placards. Putain... Ash'... Ils étaient encore ouverts. Tout était vide de toi et moi, j'étais seul. Dans une grande maison, deux fois trop grande pour moi. Tu m'as abandonné Ashling. »

Elle n'avait jamais entendu James hausser la voix. Et visiblement, cette fois-ci n'allait pas être une première fois. Il restait calme et juste grâce à ça, Ashling prit soudainement conscience de tout le mal qu'elle avait pu lui faire. Et elle se sentit encore plus mal que ce dernier mois - si tant est que ce soit possible.

Elle dégagea doucement sa couette pour découvrir ses jambes et être libre de pouvoir aller s'agenouiller non loin de James. Ils ne se touchaient toujours pas, mais elle avait besoin de le sentir plus proche d'elle.

« Je suis désolée, James. Je suis désolée. Mais... J'ai eu tellement peur. Peur de la vie qui se dessinait avec toi. Parce que je serai à jamais cantonnée au rôle de copine de James, et je ne veux pas être ça toute ma vie. Je ne veux pas qu'on m'arrête dans la rue pour me parler de nous. Je ne veux pas qu'on vienne là où je bosse juste pour me voir. Je ne veux pas me sentir épiée, filée, jugée en permanence. Je ne veux pas lire tout ce que les gens pensent de moi partout sur les réseaux. Je ne veux pas que ma sœur, que ma famille souffrent de tout ça. Je ne peux pas me permettre de les faire souffrir encore une fois, James. J'ai déjà été à l'origine de tellement de larmes ici, je peux pas me permettre de plus. Tu comprends ? Tu comprends ce que je veux te dire ? Je... Je veux te dire que pour toi, j'aurais pu supporter tout ce qu'être à côté implique, juste parce que ça me permet justement d'être à tes côtés, d'être avec toi. Juste avec toi. Mais... Mais je ne peux pas faire ça. Je ne peux pas faire leur faire ça.

— Tu ne peux pas dire ça. Ce n'était pas de ta faute. Tu n'es responsable du malheur de personne. Ash'... Combien de fois il va falloir que je te le répète ? Tu n'en es pas responsable. Et pour ton présent... Je suis là. C'est à moi de te protéger de cette partie de ma vie.

— Mais tu ne peux pas James. Tu peux pas nous protéger du monde entier. C'est pas grave. Je te jure que c'est pas grave. Tu vois, j'ai vraiment l'impression d'être Cendrillon. Mes douze coups de minuit ont enfin sonné et il faut que chacun rentre chez soi. C'était beau. C'était très beau, très fort aussi et... Je suis désolée pour tout le mal que je t'ai fait, James. Je te promets que c'est pas ce que je voulais. Je... Je ne voulais pas te faire du mal, assura Ashling qui commençait à pleurer. Je ne voulais pas parce que je sais que toi aussi t'as assez souffert. Beaucoup trop. Mais... Mais je ne peux pas faire autrement, il faut que je choisisse. Je ne peux pas tout avoir. Parce que je ne peux pas protéger ma famille en les exposant ainsi et, parce que je ne peux pas t'avoir sans cette partie-là de ta vie. Ce sont tes rêves et pour rien, ni personne tu ne dois y renoncer.

— J'ai plus de chez moi Ashling, assura James avant de marquer un blanc puis de reprendre. Si tu ne rentres pas avec moi à Londres, je n'ai plus de chez moi. Tout ce mois loin de toi me fait juste réaliser à quel point ta peau, ta bouche, et même tes pieds froids dans le lit me manquent. Notre chemin en commun, il n'est pas fini. Je le sais. Et tu le sais aussi. Il ne s'arrêtera qu'après une vie dès plus romanesque qui se finit avec une mort tragique, évidemment. Je peux te dire qu'on va rendre Roméo et Juliette, Tristan et Yseult et tous les autres ringards de l'amour réduit à un scénario de roman de gare de bas étage. Je t'aime Ashling. Je t'aime, et moi, je suis prêt à reprendre là où on s'était arrêté.

— James...

— Je peux tout oublier parce que... Parce que je pense que je peux te comprendre. Je te comprends même. Sauf que je ne peux pas accepter de te perdre pour cette raison. Ashling, il faut que tu rentres avec moi. J'ai besoin que tu rentres avec moi.

— Je suis désolée James, réussit-elle à articuler entre deux sanglots. Pardonne-moi. »

Elle sentit à peine les mains de James encadrer son visage et embrasser son front. Et il suffit de ce baiser pour que les dernières digues cèdent aussi que ses larmes reviennent pour tremper le t-shirt de James. Elle s'excusait encore et encore. Parce que ce n'est pas ce qu'elle souhaitait, mais qu'elle n'avait pas le choix.

Ils étaient restés un long moment dans les bras l'un de l'autre, jusqu'à ce qu'Ashling cesse de pleurer ou du moins qu'elle pleure un peu moins.

« Ash... Je... Je vais y aller. J'ai pris une chambre dans le petit Bed&Breakfast à Strangford. Je... Je t'attendrai là-bas jusqu'à demain soir.

— Je ne viendrai pas James. Je suis désolée. Je ne sais pas faire ça. »

James essuya la dernière larme qui creusait un sillon sur les joues pâles et si abîmées par la tristesse et la fatigue d'Ashling. « Juste au cas où », lui murmura-t-il. Il remplaça son pouce par ses lèvres et se leva du lit pour quitter la chambre d'Ashling sans se retourner. Il avait refermé doucement la porte derrière lui. Comme par hasard, ou pas, Nelly semblait rentrer dans la chambre parentale juste en face.

« Merci Nelly. »

Cette fois-ci, c'est elle qui lui adressa un signe de tête avant que l'anglais ne quitte la maison sans être accompagné.

I Want To Write You A Book - [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant