Chapitre 10 - Ashley

728 19 15
                                    

Le ciel d'un bleu éclatant, sans un quelconque nuage, annonçait une belle journée en perspective et cela même si le thermomètre affichait tout juste deux degrés. Tout en savourant mon thé vert aux saveurs de bergamote et orange confite, je profitais des rayons du soleil filtrant à travers la fenêtre du salon. Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis notre soirée Plateau confidences intimes et m'être confiée à Claire m'avait été salutaire. Jack n'occupait plus mes pensées, j'avais réussi à classer ce petit intermède au rang qui était sa place, c'est-à-dire rien. Tout était redevenu parfait et, pour cela, je devais remercier ma meilleure amie, même si nos points de vue divergeaient concernant l'apparition de Jack dans ma vie. Selon elle, je devais admettre qu'il ne m'était pas indifférent et que notre rencontre n'avait pas été sans conséquences.

Avec tout le culot qui faisait son charme, elle avait tenté de me replonger dans la saveur de notre étreinte avec une boîte cadeau noire entourée d'un joli nœud satiné fuchsia. À l'intérieur se trouvait, posé sur du papier de soie, un vibromasseur et une carte « Il s'appelle Amaizing Jack, amuse-toi bien avec lui et traite-le mieux que l'original ». Je ne pus m'empêcher de sourire à l'évocation de mon cadeau coquin. Je n'avais pas encore eu le temps de m'en servir. Pour le moment, il était sagement posé sur mon bureau dans ma chambre. Mensonge, Ashley, tu as trop peur qu'il réveille le souvenir des mains de Jack sur ta peau. À cette pensée, le flot de picotements qu'il avait fait naître revint comme une douce caresse. Et merde, me dis-je. Finalement, je n'étais peut-être pas totalement guérie, donc raison de plus pour laisser Amaizing Jack rangé sagement dans sa boîte.

L'enceinte Bluetooth du salon se mit à jouer une des musiques de l'album The Resistance du groupe Muse. Le meilleur groupe de Rock selon Claire et moi. Ma colocataire avait dû lancer l'album depuis sa chambre.

— Puis-je entrer ? demandai-je sur le pas de la porte.

Claire était allongée sur son lit avec la tête enfouie dans son oreiller.

— Dure journée hier à l'hôpital ? Je ne t'ai pas entendue rentrer!

Claire me fit face. À ses yeux rougis et son visage bouffi, je compris qu'elle avait dû pleurer une bonne partie de la nuit.

— Dure journée est un euphémisme, je dirais plutôt journée de merde, ajouta-t-elle entre deux sanglots. Eloïse est...

Sa voix se brisa, dévoilant une profonde détresse. Mon cœur se comprima douloureusement dans ma poitrine. Oh non !!! Pas ça, soufflai-je. Sans réfléchir, je m'allongeai dans son lit pour la prendre dans mes bras, la laissant pleurer tout en la berçant. Perdre un patient était toujours une épreuve. Ce sentiment d'échec à chaque vie perdue pouvait engendrer des dégâts irréversibles et Claire le savait. Enfant, l'incompétence du médecin en charge du cas de sa petite sœur âgée de cinq ans avait entraîné son décès à la suite d'une erreur de diagnostic. D'ailleurs, c'était pour cela qu'elle avait choisi comme spécialité la pédiatrie.

— Elle n'avait que six ans, Ashley et toute la vie devant elle. Ses parents sont anéantis. Ils ont perdu leur petite princesse. Cette famille ne s'en relèvera pas. Et c'est ma faute, j'ai été impuissante.

Les stigmates du passé de Claire refaisaient surface. Ses parents s'étaient déchirés en s'accablant l'un l'autre de la mort de leur enfant. Ils ne s'en étaient jamais remis. Ils n'avaient pas trouvé la force de traverser cette épreuve ensemble et, au milieu de tout ce chaos, Claire avait dû faire son deuil. Après quelques mois, sa mère avait demandé le divorce pour s'exiler à Dubaï où elle avait depuis refait sa vie. Le jour de son départ, elle avait dit adieu à ses deux filles et n'avait plus jamais repris contact avec ma meilleure amie. Elle et moi étions les dommages collatéraux de familles brisées : deux éclopées...Mais elle s'ouvre aux autres tandis que toi, tu ne laisses plus personne t'approcher. Je chassai cette pensée pour ne pas me laisser à mon tour être envahie par mes blessures et me concentrai sur mon amie.

— Je t'interdis de dire cela, tu n'as pas à t'infliger ça. Le coupable de l'état d'Eloïse c'est son médecin traitant, mais toi tu n'as rien à te reprocher. Tu m'entends, Claire ?! Tu as fait tout ce que tu pouvais pour la sauver.

— Alors pourquoi j'ai si mal? demanda-t-elle.

Parce que tu as un cœur, aurais-je voulu lui dire. Mais à la place, je l'étreignis et nous restâmes ainsi plusieurs minutes, comme si le temps était suspendu, que les horloges s'étaient arrêtées. Faire de grandes déclarations n'était pas mon fort. Claire rompit le silence pour me rappeler mon déjeuner avec Catherine, j'avais promis de venir l'aider pour faire le point sur les dons perçus lors du dimanche de Pâques. Mon aide ne lui était pas nécessaire, elle était douée avec les chiffres, mais j'avais besoin de sa présence pour m'aider à me recentrer sur mes objectifs.

— Non, je reste avec toi. Je nous commande un plat chinois et on reste dans le lit à regarder des films.

— Tu es un amour, mais je vais décliner ta proposition, me dit-elle tout en reniflant.

— Claire, tu es sûre? Au pire viens avec moi, tu sais que tu es la bienvenue au centre.

Un sourire triste se dessina sur ses lèvres.

— Non ! Vas-y sans moi, j'ai besoin de rester un peu seule et en plus tu n'as pas vu Catherine depuis plus de quatre semaines donc vous aurez beaucoup de choses à vous raconter.

— Je ne crois pas que Catherine ait envie de m'entendre parler durant plusieurs heures de mes dernières prouesses au bloc.

— J'te le fais pas dire! Mais je pensais que ce serait l'occasion d'enfin lui raconter le doux baiser échangé avec Jack.

— Tu n'en rates vraiment pas une, lui dis-je sur un ton faussement outré.

— Non!!! Et puis, si ça se trouve, Catherine et moi serons du même avis concernant cette romance.

— Romance? m'offusquai-je en levant les yeux au ciel.

Et voilà que ma meilleure amie recommençait, décidément elle ne lâchait pas l'affaire. Je l'embrassai sur le front pour mettre fin à cette discussion, tout avait déjà été dit.

— Ok, je t'appelle dans la journée pour prendre de tes nouvelles et, si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas.

À regret, je la laissai seule en espérant que ses vieux démons ne viendraient pas trop la tourmenter.

Notre valse en trois temps - tome 1 - Les secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant