Chapitre 59 - Jack

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21 décembre 2011


Depuis trois jours, New-York était recouvert d'un épais manteau neigeux, faisant le bonheur des amoureux de la poudre blanche. Dans Central Park, chacun y allait en batailles de boules de neige et c'était à celui qui était le plus vif pour éviter celles lancées par ses compagnons de jeu. De mon côté, en cette heure matinale, je me trouvais bien au chaud dans un atelier culinaire à expliquer à des élèves de première année d'école de cuisine la réalisation d'une mayonnaise. Pour cette nouvelle occupation à laquelle je consacrais trois heures par semaine, je devais remercier mon ami Barry. De huit ans mon aîné, dès mes débuts auprès du chef Senders au restaurant La Haute, il m'avait appris les ficelles du métier, n'hésitant pas à me montrer tous les secrets de son talent. Il y travaillait en tant que sous-chef depuis qu'il avait obtenu son diplôme dans une prestigieuse école culinaire bordelaise. Il m'enseigna à faire confiance en ma créativité, me rappelant sans cesse les plats très connus nés de cuisiniers ayant suivi leur instinct culinaire. L'une des qualités premières de Barry était sa vocation à partager son amour pour la cuisine, alors comment aurais-je pu lui refuser mon aide ? Mon ami avait réussi le pari fou de réunir bénévolement des chefs de renom pour former au sein de son centre de formation des jeunes venant de milieux défavorisés. Après quatre années passées dans son établissement, diplôme en poche, ils pourraient ainsi travailler auprès des meilleures tables. Avec mon plan de charge déjà très conséquent depuis l'ouverture de mon deuxième restaurant, le bon sens aurait dû me pousser à renoncer d'apporter ma contribution, mais la cuisine m'avait sauvé d'une vie professionnelle ennuyeuse, alors je me devais de lui rendre hommage de la plus belle des façons : en l'enseignant. Les journées n'étant pas extensibles, mon nombre d'heures de sommeil légal se raréfiait et pourtant voir ces jeunes s'épanouir, grandir grâce à la cuisine me confortait dans ma décision.

— Okay tout le monde, avant de commencer l'exercice pratique du jour, l'un ou l'une d'entre vous peut-il me rappeler le ou les secrets pour réussir une mayonnaise ?

Quasiment tous levèrent la main. Sur la poche haute de leur blazer couleur bleu marine étaient brodés en lettres capitales blanches leur prénom ainsi que leur nom de famille. Mais après quelques semaines passées auprès d'eux, je les connaissais tous par leur prénom. Je donnai la parole à Nathalie.

— Chef, il faut de préférence utiliser des œufs à température ambiante, faire monter la mayonnaise en incorporant l'huile progressivement et toujours fouetter en continu dans le même sens.

— Bonne réponse. Maintenant, sur ces belles paroles, l'exercice d'aujourd'hui consistera à sublimer une mayonnaise. Je vous laisse à votre imagination alors surprenez-moi. Pour vous motiver, je vous informe que le gagnant aura le droit de travailler avec ma brigade durant une journée pour le service du midi. Il pourra évoluer entre les postes de préparation des aliments et le dressage des plats.

Des murmures se firent entendre dans la pièce. Visiblement, ma proposition faisait son effet. En même temps, pour ces jeunes élèves, l'expérience sur le terrain était primordiale. Alors quoi de mieux que de rejoindre une brigade pour observer et apprendre le travail en équipe au sein d'une cuisine professionnelle ?

— Allez, allez, dis-je en tapant des mains afin de ramener le silence. On se concentre, s'il vous plaît. À mon top, vous aurez trente minutes pour me surprendre. À la fin de l'épreuve, vous devrez également m'indiquer avec quel plat vous souhaitez associer votre mayonnaise. Est-ce compris pour tout le monde ?

Le silence se fit tout de suite entendre. Mes jeunes élèves s'étaient mis en mode compétition. J'attendis que la trotteuse de ma montre achève un tour complet pour déclencher le début de l'épreuve. Pour être certain de respecter le temps imparti, je mis en fonction le minuteur de cuisine mécanique en forme de smiley. Du Barry tout craché, il aurait pu choisir un véritable minuteur professionnel, mais non. Avec son humour décalé, certains pourraient penser qu'il possédait des origines anglaises, mais je l'avais questionné sur le sujet et aussi loin qu'il puisse remonter, sa famille était d'origine lyonnaise, une commune du sud-est de la France.

Notre valse en trois temps - tome 1 - Les secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant