Absorbée dans la lecture de mon magazine, je ne prêtais pas attention aux aiguilles de l'horloge. Si bien que je sursautai comme une enfant prise en flagrant délit en entendant la sonnette de la porte. L'article intitulé Quand le cerveau perd la tête, écrit par un brillant neurologue, exposait les points communs et les différences entre toutes les maladies du cerveau, ainsi que les méthodes de diagnostics et les traitements pour ralentir leur progression. En dépit de mon désir de rester accrochée à ma lecture, j'allai ouvrir la porte. Il s'agissait tout de même du déjeuner et j'étais bien trop gourmande pour laisser s'échapper un bon repas. De plus, après tout ce mystère, j'étais extrêmement curieuse de connaître le menu choisi par Catherine. La sonnette retentit à nouveau.
— Un instant j'arrive, dis-je en accélérant le pas.
De toute évidence, le livreur était pressé d'en finir. Sous le mécanisme de la clé tournant dans la serrure, les trois points de sécurité de la porte cédèrent. Sur le palier se tenait un homme de haute stature dont la moitié du visage était dissimulée par trois sacs en papier kraft. Un bermuda à rayures blanches et roses couvrait ses cuisses jusqu'au-dessus du genou, laissant apparaître la légère pilosité châtain clair de ses jambes. Quelque chose dans sa posture m'était familière, mais quoi ? Mon regard se posa ensuite sur son poignet habillé de trois bracelets. Quant à ses mains, elles me replongèrent dans mes rêves des dernières semaines et dans le souvenir d'un baiser échangé sur le trottoir dans le quartier de Distillery District.
Pour être certaine que mon imagination ne me jouait pas un mauvais tour, j'ancrai mon regard au sien. L'intensité de ce bleu azur raviva les picotements ainsi que la chaleur sur ma peau. Tout comme la première fois, le sentiment d'être happée par un désir que je ne maîtrisais pas me percuta en plein estomac.
— Si tu en as fini de me détailler, dit-il d'un ton taquin, je veux bien que tu me laisses entrer. Comme tu peux le constater, je suis légèrement chargé.
Super en quelques mots, il venait également de me rappeler pourquoi sa présence ne m'était pas acceptable. Ma stupéfaction laissa place à de la contrariété. C'était donc lui sa surprise. Je comprenais mieux pourquoi elle avait voulu garder le mystère. Le visage fermé, sans prononcer un mot, je m'écartai de la porte pour le laisser passer.
— Où puis-je déposer les courses?
Ma gorge toujours nouée était dans l'incapacité d'émettre le moindre son. D'un mouvement de tête, je l'invitai à me suivre. Comment Catherine avait-elle osé? Elle savait ! Je lui avais expliqué ce qu'il éveillait en moi. Mais comme à son habitude, elle n'en avait fait qu'à sa tête. Et lui, pourquoi avait-il accepté son invitation ? Il se doutait bien que je serais présente. Lors de notre dernière rencontre, j'avais pourtant été très explicite quant aux sentiments qu'il m'inspirait. Sans cacher mon exaspération, la question s'interposa sur mes lèvres.
— Que fais-tu ici, Jack?
Avant de me répondre, il me détailla sans aucune pudeur. Et à son sourire satisfait qui s'élargissait au fur et à mesure de son introspection, il appréciait le spectacle.
— Je réponds présent à l'invitation d'une amie. Sœur Catherine ne t'a pas prévenue?
— Quelle perspicacité!
Je me détestais de réagir ainsi. Cela me renvoyait l'image d'une gamine de huit ans s'amusant à faire des croches-pattes à son voisin de pallier, afin de lui cacher qu'elle avait le béguin pour lui. En plus même si je ne connaissais que très peu Jack, mon petit doigt me disait que c'était le plus sûr moyen de l'attiser. Cependant, pour ma défense, c'était plus fort que moi. Le seul fait de le voir faisait ressortir trop d'émotions toutes plus contradictoires les unes que les autres. Et dire qu'après ces longs mois, je pensais être définitivement guérie, mais je devais me résoudre à l'évidence, mon premier traitement était un échec total. La voix de Jack s'interposa dans le cours de mes pensées.
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Notre valse en trois temps - tome 1 - Les secrets
RomanceIl y a des rencontres qui bouleversent une vie. Qui vous font entrevoir un avenir terrifiant mettant à nu toutes vos fêlures. Et à 27 ans, mes blessures d'hier me tourmentaient toujours mais j'avais appris à les enfouir très profondément derrière le...