Chapitre 51 - Jack

318 20 23
                                    

Débarrassée de ses vêtements mouillés, je laissais Ashley dans le salon quelques instants, enveloppée dans l'un de mes peignoirs, juste le temps de lui préparer un bain chaud. Malgré la douce chaleur régnant dans l'appartement contrastant avec la température hivernale extérieure, elle restait transie de froid et si je ne voulais pas que demain elle se réveille avec une grippe carabinée, je devais impérativement l'aider à retrouver une température corporelle raisonnable. Combien de temps était-elle restée dehors sous la pluie, figée devant l'entrée de mon immeuble ? Je ne saurais le dire et en toute franchise, elle ne semblait pas le savoir elle-même. En tout cas, une chose était sûre, en rentrant chez moi après ma journée de travail, jamais je ne n'aurais imaginé retrouver Ashley. Pour le moment, toute question quant à sa présence à New-York était inutile. Elle semblait être sous une forme de cataplexie et la brusquer avec un interrogatoire était la dernière chose à faire. En plus, au vu de son état, j'étais quasiment certain de n'obtenir aucune réponse. De retour au salon, je la retrouvais dans la même position où je l'avais quittée : repliée sur elle-même. Son visage, partiellement caché entre ses genoux ramenés contre sa poitrine, ne laissait entrevoir que ses yeux bouffis. Ses larmes taries avaient laissé place à un regard vide qui me glaça d'angoisse. Depuis notre première rencontre, comme un miroir sur son âme, les yeux d'Ashley m'offraient ses pensées les plus intimes. Souvent animés de sentiments plus contradictoires les uns avec les autres, son regard reflétait la vie qui l'animait. Mais là, il était inexpressif, ne m'offrant que le néant. Ne voulant la heurter, doucement je m'installai à proximité d'elle. Son corps n'émit aucun mouvement, comme si ma présence lui était imperceptible. Espérant la ramener parmi le monde des vivants, ma main se referma sur son épaule puis exerça une légère pression avant de prendre la parole.

— Ashley, soufflai-je, je vais te prendre dans mes bras pour t'emmener prendre un bain. L'eau chaude te fera le plus grand bien.

Sans relever la tête, elle ancra ses yeux aux miens. Mon cœur explosa en une multitude de petits morceaux, toujours attristé de voir que la force, la détermination, le courage, tout ce qui faisait d'Ashley cette femme unique avait été emporté par le décès de Jacob. Était-ce dû uniquement à la perte de son père ? Cette question germa dans mon esprit, augmentant la boule au creux de mon estomac. Sœur Catherine ou Claire pourraient sans doute m'éclairer sur la question. Je devais impérativement m'assurer que cet état quasi végétatif était lié exclusivement au deuil qui la frappait. Mais avant cela, il me fallait mettre Ashley au lit. Sans attendre de réponse de sa part, mon bras se glissa sous ses genoux pour la conduire dans la salle de bain. Avec une infime précaution, je la déposai sur le rebord de la baignoire. Plongeant mon regard dans ses yeux inexpressifs, je cherchai son consentement pour la débarrasser de son peignoir. N'ayant aucune réaction, je défis lentement le nœud retenant les pans de la sortie-de-bain et l'installai dans l'eau chaude. Totalement nue, l'eau recouvrant son corps jusqu'à sa poitrine, je fus à nouveau frappé par sa minceur. Depuis sa soirée d'anniversaire, elle avait perdu beaucoup de poids. Je déglutis péniblement. Qu'avais-je fait ? Pourquoi avais-je accepté de sortir de sa vie ? Intérieurement, je me détestais. En acceptant de ne plus faire partie de son existence, je l'avais abandonnée et le résultat était sous mes yeux. Je me jurais de ne plus jamais reproduire cette erreur. Tout en me maudissant, je pris une éponge de bain et fis mousser le savon liquide, un mélange aromatique de menthe, romarin et géranium.

— Ashley, dis-je, maintenant je vais te laver.

J'avais conscience que, pour le moment, je n'aurais aucune réponse de sa part. Je venais de parler à voix haute, non pour avoir son consentement, mais juste pour qu'elle sache que mes mains allaient la parcourir. Je frictionnai alors son corps en appliquant de légers cercles concentriques. Je commençai par ses chevilles pour remonter le long de ses jambes et de ses hanches. Puis je me perdis sur son ventre ferme pour aller ensuite à la rencontre de l'espace entre ses seins et de son cou. En d'autres circonstances, j'aurais trouvé cette scène des plus érotiques et me serais glissé dans l'eau pour la rejoindre. Mais ce soir, j'étais juste focalisé sur ses joues pour m'assurer qu'elles reprenaient une teinte plus proche de celle des êtres vivants. Ses paupières fermées avec la bouche légèrement entrouverte, je ne percevais que sa respiration. Comme si elle avait été privée d'oxygène depuis bien trop longtemps, elle emplissait ses poumons par de grandes inspirations pour ensuite laisser s'échapper l'air chaud entre ses lèvres.

Notre valse en trois temps - tome 1 - Les secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant